
l ’opinion publique donnoit une valeur que l'opinion
de M. Chamfort ne peut leur ôter.............. .
Après avoir décrié ainfi l’une après l’autre ce
qu’il appelle les fondions de T académie., M. de
Chamfort voulant frapper fes grands coups , entreprend
donc de prouver que l’académie eft un
corps créé pour la fervitude........... qui cherchera
toujours à prolonger les efpérances infenfées du
defpotifme , en lui offrant des auxiliaires & des
affidés , & fi les circonftances le permettoient ,
des complices ; fervant aux rois à perpétuer l’ef-
clavage des peuples, leur faifant payer fes paroles
©u fon filence ; facrifiant le bonheur des hommes
à des faveurs de cour , par le plus infâme des trafics
, celui de la liberté des nations, pag. 3 1 ,
& 34.
Voilà de terribles inculpations : il ne s’agit plus
de Y inutilité , des ridicules 3 d e là maladie & incurable
petitejfe 3 ni même feulement de Yefprit
de flatterie , de fervilité & d'abjettion de Y académie
j M. de Chamfort nous la montre comme
eonfpirant contre la liberté nationale, comme
auxiliaire & complice du defpotifme 3 & par con-
féquent comme ennemie de tout bonheur public.
S f ces accufations ont quelque fondement 3 il n’y
a rien de plus néceffaire & de plus urgent que d’extirper
l’academie du milieu de nous.
M. de Chamfort a Tans doute dans les mains
des preuves inconteftables de crimes fi odieux. 11 a
eu communication des pièces de plus d’un greffe
criminel où il aura trouvé & reconnu les complots
académiques contre là liberté des peuples ; & il
nous dit, en effet : En -voulez-vous la preuve ? je
puis vous la produire > je puis mettrejous vos yeux les
bafes & les articles de ce traité.
E t quelle eft cette preuve-, où fe trouvent ces
bafes & ces articles ? C ’eft , quLJ’auroit foup-
çonné avant la découverte de M. de Chamfort !
c’eft 3 on ne peut l’entendre fans le rire de l’indignation
5 c’ eft dans la préface des éloges des académiciens
par d’Alembert : c’eft d’Alembert qui a
biffé échapper ce honteux fecret de Y académie
françoife & de toutes les académies : le grand
ufage que les rois font de ces corporations pour perpétuer
Vefclavage des peuples.
J’avois lu , comme tout le monde , cette préface
fans qu’aucune des idées que M. de Chamfort
cherche à en donner , fe fût préfentée à mon
efprk. Je la relis cependant 5 & quelle eft ma fur-
prife , lorfque loin d’y trouver aucune trace de
cet infâme traité de Y académie avec les defpotes ,
approuvé & ratifié par d’Alembert, j’y trouve cet
amour de la liberté, décent & fage à la vérité ,
mais toujours aétif & courageux , que cet.eftima-
ble philofophe a confervé toute fa v ie , & qui anima
tous fes écrits».
Depùis le commentaire du Pater qu’Erafme a
fait à la manière des inquifiteurs de fon temps ,
pour prouver qu’avec l’envie de nuire & un faux
& mauvais efbrit il n’y a rien de bon qu’on ne
puiffe empoifonner , . je*ne penfe pas qu’ on pût
trouver un exemple plus révoltant d’infidélité
dans les fuppreffions Sz de fauffeté dans les explications
, que dans le commentaire fuivi que M. de
Chamfort a ofé faire de cette préface.
Il fuffiroic, pour en convaincre mes le&eurs,
de les renvoyer à ce petit écrit qui n’a qu’ une
trentaine de pages, dont trois ou quatre feulement
font relatives à l’objet que je touche ici >
mais pour mettre dans Ton jour l ’infidélité du
commentateur, je fuis bien forcé de rapporter le
texte qu’il a fi indignement défiguré.
* I. Selon le philofophe : ce L’ambition >( qui
« fait defirer aux gens de lettres la couronne aca-
cc démique ) peut produire beaucoup de bien
ce entre les mains d’un gouvernement éclairé, en
ce portant les écrivains diftingués à joindre au
ce mérite des ouvrages l’honnêteté dans les moeurs
ce & dans les écrits. . , .
II. «e L’homme de lettres qui tient ou qui afpire
ce à l’académie, donne des otages à la décence,
ce Cette chaîne, d’autant plus puiffante qu’elle eft
«« volontaire, le retiendra fans effort dans les bor-
«e nés qu’il feroit tenté de franchir. Il en fera
« moins fujet aux écarts.
* III. ce S’il y eût eu à Rome une académie flo-
« riffante & honorée, Horace eût effacé de fes
« vers quelques obfcénités qui les déparent, &
«c Lucrèce nfeût pas donné en vers profaïqùes des
<e leçons d’athéifme
* IV. Ce pointde vuefiintéreffant (les moeurs)
n’ eft-pas le feul fous lequel Y académie puiffe être
envifagée j tout gouvernement fage a intérêt que
fa nation foit éclairée, parce que l’ ignorance &
Terreur font également funèftes aux fouverains &
aux fujets , & ne peuvent être utiles qu’aux tyrans.
. . . , . »»
V . ce Parmi les vérités que les gouvernemens
ont befoin d’accréditer , il en eft qu’il leur importe
de ne. répandre que peu à peu et comme par
transpiration infenfible. « ^
*VI.ee Parce que le préjugé de la nation foi^*
vent plus fort que l’autorité même , fe révoîte-
roit contre ces vérités fi elles Te montroient trop
à découvert; témoin lesfuperftitions furies épreuves
judiciaires , fur les croifades , fur la crainte
d’obéir aux monarques excommuniés, qu’ on n’au-
roit ofé heurter dé front au douzième fiècle ,
même avec l’appui des fouverains Chaque fiècle
a fes erreurs chéries , toujours contraires aux intérêts
des peuples ; . . . & c ’eft à la deftruétion
de ces erreurs que le gouvernement peut emp,!©?
ÿerles compagnies littéraires } fur-tout une compagnie
femblable à celle-ci. »»
V IL ce Un pareil corps également inftruit &
fàge , organe de la raison par devoir & de la
prudence par état, ne fera entrer de lumière dans
les yeux des peuples , que ce qu’ il en faudrarpour
les éclairer fans les Bluffer. »
*VIII. «c iîfe gardera bien de jetter brufquement
la vérité au milieu de la multitude , qui la ré-
poufferoit avec violence. Il lèvera doucement&
par degrés le voile qui la couvre. Réconciliée
ainfi avec ceux qui auroient pu la craindre, elle
fe verra infenfiblement conduite & établie fur
fon trône fans qu’ il en ait coûté de troubles &
d’efforts pour l’y placer. Si Louis le gros eût inf-
tkué une academie , les fuperftitions de fon
fiècle auroient disparu deux fiècles p lu tôt, au
grand avantage de la raifon , du monarque &
du royaume. » . . .
A tout, homme fenfé qui a lu ce texte de fuite
il pàroîtra impoflîble qu’ on en ait tiré de quoi
décrier , avec la moindre ombre de juftice , &
Y academie & d’Alembert comme ennemis des lumières
, de la liberté , du bonheur des nations ;
mais M. de Chamfort, en homme habile qu’il
eft, a deux moyens pour cela , les interprétations
forcées et les omiffions adroites.
Dans Ton commentaire , M. de Chamfort
commence par nous Expliquer que \es bornes
entre lesquelles d’Alembert dit que Indécence contiendra
1 académicien , font celles-là même que
l’ancien régime , c’eft-à-dire le defpotisme ,
ne vouloit pas qu’on franchît, lorfqu’il empêchoit
d*écrire des vérités utiles aux hommes & nuifibles a
leurs opprejfeurs; & que la hardieffe d’ enfeigner ces
vérités eft précifément.ce que d’Alembert entend
par les écarts qu’il veut que l’on réprime.
Eft-il néceffaire de faire obferver à mes leCfceurs
que dans cette partie du texte de d’Alembert la
décence 8z les bornes que prescrit le philofophe,
ne font relatives qu’aux moeurs , ainfi qu’ il le dit
nettement lui-même , & que les écartsqu’ il veut
qu’on évite , & dont il donne les exemples dans
les obcénités d’Horace & dans les leçons d’a-
théîfme de Lucrèce , n’ont rien de commun avec
la hardieffe d’ écrire des vérités politiques utiles
aux hommes & nuifibles a leurs opprejfeurs ; ceux-ci
«’.ayant rien à gagner en effet à ce qu’ort imprime
des ouvrages obfcènes, ou qu’on enfeigne l'athéisme
en profe ou en vers.
Le commentateur nous dit enfui te que les vérités
importantes que les gouvernemens ont befoin dé accréditer
j d’Alembert veut qu’on les traveflïjfe &
quon les. défiguré , quand on ne peut plus les dijfimu-
ler entièrement. Il eft aiféde défendre d’Alembert,
en obfervant que voiler.U v é r ité , ce n’eft pas la
travefiir ; Bc que ce n’eft pas pareequ’on ne peut
pas ladijfimuler entièrement3 que ci’Alembert veut
qu’on la voile , mais au contraire parce qu’on ne
peut pas la montrer tout-d-coup toute nue & toute
entière , fans l’expofer à être repouffée par le
peuple , dont l’intérêt eft de la recevoir.
Sur ce que d’Alembert dit qu* i l importe a certaines
vérités de ne fe répandre que peu a peu. & par tranf-
piration infenfible , M; de Chamfort remarque spirituellement
que Y académie laijfoit peu tranfpirer„
Il paroît que M. de Chamfort e f t , au moins
aujourd’hui , de ces philosophes hardis, qui
croient non-feulément qûe toute vérité eft bonne
à dire ; principe qui ne peut être vrai que dans
un fens abftrait & général 5 mais encore que toute
vérité eft bonne à dire à toute heure , en. tout
temps, en toutes circonftances, à toutes perfon-
nés , & . plutôt aujourd’hui, que demain.
D’Alembert & beaucoup de bons efprits , qui
dans des temps difficiles fe font montrés plus courageux
que M. de Chamfort , ont penfé différemment
; & il meTemble que beaucoup de faits
prouvent aujourd’hui même , qu’ il peut y avoir
des inconvéniens graves à vouloir tout dire à la
fois & tout faire en un Coup.
Quant au reproche fait à Y académie , d’avoir
laiffépeu tranfpirer : il eft le plus injufte du monde %
& déplacé fur-tout dans la bouche de M. de
Chamfort.
M. de Chamfort fait bien que l’académie ^
comme corps , n’a point • d’ouvrage didactique
à faire fur les grands intérêts des peuples. Un
dictionnaire , une grammaire, une rhétorique, des
remarques fur les auteurs claffiques de la langue,
voilà les objets uniques , & , quoi qu’on en puiffe
: dire , affez importans , de Tes occupations qui ne
lui fourniffent pas les occafions d’enfeigner ces
vérités fortes dont parle d’Alembert.
C e n’eft donc que par les individus qui la com-
pofent & qui l’ont compofée depuis fa fondation ,
qu’ ellè a pu laiftèr tranfpirer ces vérités ; mais
eft-il vrai qu’elle les ait tenues fi bien cachées ?
Eft-il vrai que Fénelon, F leury, Fontenelle ,
Maffillon , Montefquieu ,. Voltaire , Buffon ,
d’A'embert, Thomas , Condillac , & parmi les
vivans mêmes , meffieurs Marmontel , Saint-
Lambert , Malesherbes , Gaillard, Condorcet ^
& c . , n’aient point laiffé tranfpirer de vérités !
L * académie 11’ a pas laiffé tranfpirer de vérités ,
& pourquoi donc a-t-elle été fi fouvent, depuis
plus de cinquante ans , un objet d’ inquiétude &
de crainte pour l’autorité dans les mains des mi-
niftres ombrageux & foibles ? Pourquoi a-t-elle
éprouvé fi fouvent l’improbation du gouvernement
? Pourquoi M. de Maupeou lui a-t-il fait
donner des cenfeurs théologiens ? Pourquoi
D t