
d’en ufer. Le tableau de la fituation politique de
l’Europe doit nous faire fentir que ce n’eft pas le
moment d'exécuter ce projet. Je n’ai pas les lunettes
à longue vue du cabinet diplomatique ;
mais il foudroie fe boucher lés yeux & les oreilles
pour ne pas voir & pour ne pas entendre ce qui
fe paffe autour de nous.
L ’Angleterre eft dans un état d’armement formidable
qu’elle n’a pas diminué depuis que le prétexte
frivole qui l’a occafionné à- celle. L ’Efpagne
eft dans la même mefure. L ’empire eft couvert
de troupes prêtes, au moindre fignal, à fe porter
par-tout où l’on voudra les conduire.
Les puiiïances réunies font mécontentes de ce
qui fe paffe en France. Un membre de votre comité
diplomatique vous l’a dit avec beaucoup plus de
fincérité peut-être que de difcrétion ; elles peuvent,
fous mille prétextes , fe réunir pour vous
nuire ; ne leur en fourniffez pas pour autorifer les
hoftilités dont elles vous menacent. Quand un
grand peuple travaille à fa conftitution, & s’occupe
du rétabliffement de fes finances , il a
bèfoin des douceurs de la paix. N ’indifpofonspoint
dès puiffances rivales & jaloufes de notre prof-
périté future , quand nous avons déclaré que toute
idée d’agnndift'ement étoit contraire à notre politique.
L ’Europe envifagera l’énvahiffement d'Avignon
comme une pierre d’attente pour s’emparer
du Cointat Venaiflin. On vous dit que cette contrée
eft un foyer de mécontens qui fe diftiperont
lorfqu’elle fera fous la domination françoife. Je
répondrai que l’occupation feule d'Avignon ne fuffit
pas, jîuifque. vous ne redoutez pas le Comtat
Venaiflin qui fe refufe à ce fyftême de réunion.
Quelles craintes d’ailleurs pourroit vous infpirer
un pays contre lequel , en 1768 , il n’a fallu
qu'un régiment françois pour le foumettre ? Si vous
craignez*ce foyer de ce qu’on appelle ariftocratie
dans Avignon, le Luxembourg vous en offre un
autre où il y a des troupes & des mécontens; vous
emparerezrvous aufli de cette dernière province....
Si la .pofition géographique des deux Cqmtats
fi les intérêts politiques, commerciaux ,-tndiiftriels ,
adminiftratifs , fe réunifient peur en defirer la
réunion à l’empire François, il faut y travailler
fans fecouffe & fans ufurpation. L ’acquifition én
argent feroit- peut-être le moyen le plus, fimpie,
fi le.pape vôuloit s’y prêter ; fi cet arrangement
pécuniaire ne lui convenoit pas, un échange contre
quelque petit état d’Italie , qui feroit plus à portée
de fon gouvernement & plus lucratif pour le
tréfor apoflolique. Cet échange pourroit être négocié
& effectue comme celui qui fut fait en 1736,
pour, l’éjchange de la Lorraine qui étoit enclavée
dans la France, contre le grand duché de Tofcane.
Le duc de Parme poffède le Plaifantin ; on poùr-
roit engager ce prince à le céder au pape , &
céder au duc de Parme, en dédommagement, la
Corfe, avec le titre de roi, ( I l s’élève de très-
grands murmures. ) fi les Corfes vouloient fe
prêter à cet arrangement, fous la protection de
la France, qui n’oublieroit jamais cette marque
éclatante de leur patriotifme, & ne les dépouil-
leroit d’aucun des privilèges de citoyens françois.
Je penfe que pendant cette négociation, ou toute
autre qui tendroit au même but, il ' fâ 11 droit, de
concert avec ie pape, fupplier le roi de prendre
cette malheureufe contrée fous la prote&ion immédiate
de la France , d’y envoyer des comtnif-
faires pacificateurs ; & en cas de non-fuccès, d’y
faire défiler des troupes pour protéger les bons
citoyens contre les ennemis de la paix, qui fe
refiiferoient à la conciliation. Il n’eft ni de la dignité,
ni de la jùftice, ni de la fageffe, ni de la
politique de la nation de s’incorporer le peuple
avignonois, fans le concours du fouverain qui
le gouverne.. . . En conféquence , je penfe qu’il
n’y a pas lieu à délibérer fur la pétition des A v ignonois.
Séance du 10 novembre 1790.
M. de Clermont - Tonnerre. Je ne parle pas fans
quelques regrets fur la queftion qui eft agitée ,
& fans être affligé de la perte de temps qu’elle
vous a déjà occafionnée. J e regarde comme une
injure faite à votre loyauté , cette délibération
fur une queftion qui me paroît elle - même une
injuftice. En vain a-t-on accumulé les argumens
& entouré de mille circonftances ce projet de
réunion dé Avignon à la France ; on n’a pas tellement
obfcurci la queftion , qu’elle ne, puiffe fe
.réduire à un feul point & fe réfoudre par oui
ou par non. Je fuivrai la marche tracée dans cette
difeuffton par M. Pétion. J’envifagerai d’abord l'a
queftion fous le rapport du droit pôfitif. On- dit
qu Avignon- a été cédé aù pape pouf prix d’une
abfolution. J ’obferve que cette abfolution n’a été
donnée que trois ans après la ceflion. Les 800,000
florins , dit-on , qui dévoient être payés, par le
pape , ne l’ont point été. On n’a point fait attention
que Robert,' que Charles I X font, dans
plufieurs aftes, une mention expreffe de ce paiement.
On a , fecondement, donné pour motif que
le comté d'Avignon étoit inaliénable. Toutes les
fois que nos rois ont reftitué au pape la pofiëfiion
de cette ville, l'aliénabilité en a été reconnue &
juftifiée par la nobleffe.. . .
Je veux bien cependant accorder que la pof-
feffion d’Avignon étoit , entre les mains, de la
reine Jeanne , grevée de fubftitution , quoiqu’il
foit prouvé que ce comté étoit difiinét de celui
de Provence. Jè demande fi les Avignonois n’ont
. point légitimé la poffeflion du pape , par le ferment
de fidélité qu’ils lui ont prêté ; c’eft fur la
foi de ce ferment que le piape leur a confervé
leurs liber tés, libertates antiquas. Ils ’élèvè plufieurs
éclats de rire ).. . . Il m’eft plus facile de prouver
la légitimité de la poffefiïon du pape , par les ref-
titutions qu’ont fait trois fois à un prince foible
des monarques abfolus, Louis XI , Louis XIV
& Louis X V , qu’il ne l’a été aux préopinans de
la combattre par ces motifs. Mais je m’arrête à
d’autres confidérarions : Avignon & le Comtat
font le même peuple ; on trouve la preuve de
cette affertion dans l’organifation des états-généraux
du Comtat, dans lefquels il étoit convenu
qu’ils feroienf compofés d’élus choifis parmi les
Avignonois & les Comtadins'.
Des billets ont été répandus dans les campagnes
, portant ces mots : Conftitution françoife,
fidélité au pape ,• plus de chaperons : tel eft en effet le
voeu le plus probable des Avignonois, Celui qu’on
vous préfente eft exprimé par 1400 fignatures ,or,
je vous demande ce que c’eft que 1400 fignatures :
quand le temps ni Pa&ivité n’ont manqué pour
les recueillir ? Qu’eft-ce qu’une délibération prife
dans les diftriéls par 12,000 habitans fur 30,000?
Qu’eft-ce que des liftes, fur lefquelles fe trouvent
les fignatures d’enfans allant aux écoles chrétiennes
, que des fufiliers ont fait figner ? F.ft-ce en
la préfence d’une armée étrangère qu’un peuple
libre délibère ; difens plutôt un peuple tellement
enragé, qu’il a fallu des troupes étrangères pour
empêcher qu’il ne s’entre-déchirât?.... La ville
dé Avignon ne peut donc , aux yeux de l’Europe ,
manifefter fon voeu , ce voeu que les intrigues,.
les fuggeftions, les violences ont préparé. On ,dira
que c’eft dans des temps calmes , lorfqu’oii ne
penfoit pas à Avignon, à la réunion aujourd’hui
demandée, qu’un député , que M. Bouche en a j
fait la motion. Il n’appuyoit alors fa ■ propefition
que fur les droits de la France. Depuis, de nouveaux
argumens ont paru , mais toujours comme
line fuite du même fyftême.
Les citoyens honnêtes , les propriétaires ont
été proferits ; des familles ont été maffacrées.. . . ;
quelques foétieux armés, aflùrés de votre protection
, ont opprimé le plus grand nombre ; les
gardes nationales d’Orange ont fécondé' leurs def-
feins. Si vous accueillez ce voeu illégal, les cours
étrangères diront avec raifon : Ce peuple, gé-
miffant fous un roi abfolu, nous attaquoit avec
fierté ; aujourd’hui il fe fervira de toute la force
de fa liberté pour nous attaquer fans motifs, &
pour envahir nos poffeflions.. . . Pour repôuffer
ces inculpations , je demande la queftion préalable
fur la pétition d’Avignon ; mais fi vous perfiftiez
dans l’opinion contraire , adoptant l’avis de M.
du Châtelet , je me référerai à l’ajournement.
M. Bouche paroît à la tribune.
M. Males. L ’affemblée a entendu M. Pétion
parler au nom du comité d'Avignon : je demande
qu’elle entende en ce moment le comité diplomatique,
M. de Mirabeau, organe de çe comité, monte
à la tribune.
M. Bouche. L’affemblée. a décidé que la queftion
feroit difeutée fans rapport ; cependant fi elle
veut entendre le comité diplomatique , je cède
mon tour de la'parole.
M. l'abbé Maury. Lorfque les comités ont voulu
parler, i’affemblée les a toujours entendus ; mais
lorfque la divifion des comités a neutralifé leur
avis par le partage des opinions , il eft fimple
de difeuter. Je ne m’oppofe pas à ce que M. de
Mirabeau foit entendu ; mais l’aflemblée , fatiguée
d’une difeuftion déjà trop long-temps prolongée,
pourroit fermer la difeuflion avant que mon tour
de la parole arrivât. Je demande expreffément à
être entendu après M. de Mirabeau.
M. de Mirabeau. Votre comité diplomatique n’a
point fair de rapport, & n’a jamais été appelle
à vous en préfenter ; mais ce comité a pris un
avis fur la queftion , quoique fes membres foient
encore partagés fur les diverfes modifications
qu’on a voulu y enter. I l a penfé qu’il ne s’agif-
foit dans cette affaire , ni de chercher les droits
des hommes dans des Chartres , ni de s’occuper
de dif Fer tâtions philofophiques. Chargé de veiller
à vos intérêts extérieurs , il a cru que vous ne
deviez vous occuper encore dans cette queftion ,
que de l’intérêt du moment, que de votre plus
grand avantage aâuel. Or , il n’a pas apperçu
dans cet examen, qu’il fût de votre intérêt aétuel
d’entrer en poffefiïon d'Avignon. Vous avez in-
conteftablement le droit & le devoir de protéger
les établiffemens françois dans cette ville ; vous
avez le droit & le pouvoir d’y protéger la paix
publique , 8c vous mériterez , par cette conduite,
la reconnoiffance des Avignonois. Je penfe que
vous devez prier le roi d’envoyer des troupes à
Avignon, & laiffer le refte de la queftion indéfiniment
ajourné. On a interpellé le comité diplomatique
de fe déclarer, Sc mes collègues, m’ont
autorifé à vous préfenter l’avis que je vous pro-?
pofe.. . . S’il s’agiffoit de décider la queftion de
droit public , de reconnoître les droits naturels
des hommes & les droits imprescriptibles des nations
, nous n’Iiéfiterions pas à donner notre opû
nion ; mais nous penfons qu’il eft de la prudence ,
de l’intérêt du moment, d’ajourner indéfiniment la
queftion. ( On applaudit).
M. Fabbé Maury. J’applaudis , comme i’affemblée
, à l’avis du comité diplomatique. Lorfqu’on
a propofè l’ajournement , je ne m’y fuis jamais
oppofé ; mais relativement à l’envoi des troupes,
vous devez adopter une conduite ^diamétralement
contraire, pour que la queftion refte inta&e. ( Il
s’élève des murmures ). Je ne m’oppofe pas à l’envoi
des troupes, ( nouvelles rumeurs ) ; mais je
vous demande la permiflion de vous faire deux
obfervations , en appuyant la demande que vous
a faite le pape, par une lettre de fon nonce au
miniftre des affaires étrangères. ( Les murmures