
pour chaque individu. D ’après les calculs dépopulation
du royaume, on oie affurer , que meme en
fuppofant dix années de guerre fur les vingt ou vingt-
deux ans pendant lefquels chaque individu pourroit
être tenu a fervir , aucun ne feroit dans le cas d’etre
commandé une fécondé fois. Quatre années de fer-
vice acquitteroient conféquemment la dette de chaque
citoyen envers la patrie , & certainement ce
Sacrifice ne doit pas paroître exorbitant à des coeurs
françois : un pareil moyen procureront, fans contredit
, à Marnée, une efpèce d’hommes, meilleure &
plus sûre que celle qu’elle obtient du recrutement
à prix d’argent, en ufage dans le fÿftême aéhiel ,
puifqu’elle ne feroit plus compofée que de propriétaires
& de domiciliés, ou , au moins , de gens
avoués par eux, & reconnus fufceptibles de les repréfenter
par les municipalités ou affemblees chargées
de cette furveillance. Les dépenfes de l’entretien
de l’armée diminueroient confidérablement.Le
citoyen fervant perfonnellement ou par repréfen-
tant, feroit foldé , mais ne feroit plus acheté , &
cette dépenfefupprimée épargneroit au tréfor public
trois raillions à-peu-près, auxquels montent ajujé-
fent, tous les ans, les frais des enrôlemens a p x
d’argent. Le fervice perfonnel, exigé fans exemption
de tous les citoyens, fourniroit facilement à toutes
les augmentations fucceffives que les befoins d’une
guerre pourroient nécefliter dans Varmée. Toutes les
claffes des citoyens quelconques y contribuant ,
perfonne ne pourroit être humilié d’y; être affujetti.
Chacun ayant le droit de fe faire repréfenter par un
avoué, perfonne ne pourroit fe plaindre d’être obligé
de fe livrer à une profeffion à laquelle il ne feroit pas
appelé par fon inclination. En compofant Yarmée de
toutes les claffes des citoyens, on rendroit au métier
de foldat la confidération qu’il devroit avoir, un
meilleur efprit s'introduisit dans les troupes; &
en limitant à quatre ans, au lieu de huit, le temps
de fervice à faire par chacun , on diminueroit pro-
digieufement les funeftes effets de la défertion. Elle
tient principalement au caractère du François : il
chérit la liberté & calcule toujours avec peine le
facrifice trop long qu’il en a fait fou vent trop légèrement.
Cette maladie facheufe, qui enlève à préfent
annuellement à l’état environ trois mille citoyens
qui vont groffir à nos dépens les troupes de nos yoi-
2 n s, feroit par-là bien diminuée, dans le cas même
où elle ne feroit pas totalement détruite par cette
rédu&ion du temps forcé de fervice, & par l’amélioration
du fort du foldat. Enfin, en établiffant que
Cous les célibataires marcheroient feuls, ou tout au
moins en totalité, avant qu’aucun homme^marié
puiffe être appelé au fervice, il en réfulteroit que
tel homme jouiffant d’une fortune honnête, & qui
par goût fe feroit déterminé au célibat, fe marie-
roit pour être difpenfé de fervir perfonnellement :
ainfi cette loi militaire feroit encore, fous ce point
de vue, auflï avantageufe à la population qu’à la
compofition de Vannée.
Si cette manière de recruter offre les avantages
détaillés ci-deffus , elle peut au fil reflcoiltrér dt !
grands obfiacles dans fon exécution ; & dans une
queflion aufli importante &. aufli conftitutionnelle
il eft fage de ne pas fe décider avant d’avoir pelé
même jufqü’aux plus légers incorivéniens.
Pour établir avec équité là répartition du fervice
perfonnel fur tous les individus qui devroient y concourir
, il faut qu’elle fe faffe d’abord fur toute*
les provinces du royaume. Quelle proportion con-,
fervera-t-on dans cette répartition ? Sera-ce celle de
leur population ? Elle feroit jufte, fans doute, fi
tous les individus quelconques de l’âge prefcritpou-
voient marcher; mais fi Tonne peut exiger le fervice
que de ceux qui auront la complexion & la taille
néceffaires au métier habituel des armes, cette bafe
cefferoit d’être équitable ; il eft évident, d’après le
relevé de la population militaire des différentes provinces
, que le nombre des hommes en état de faire
la guerre, n’eft pas , dans chacune d’elles., dans leur
même rapport que leur population refpe&ive. Dans
les provinces du nord de la France , il n’exifte
qu’un feptième des hommes que leur défaut de
taille ou leurs infirmités' mettent hors d’état d’être
foldats, tandis que dans.les provinces du midi, ils
y exiftent fur le pied d’un cinquième. Un homme
petit & foiblen’en doit pas moins, dira-t-on, contribuer
aux charges publiques ; il pourra fe faire repréfenter
par un avoué ,cela eft vrai ; mais, fi fa
fortune ne lui permet pas cette dépenfe, il fendra
donc qu’il marche en perfonne ; & fi tous ceux qui
font dans cè cas compofoientles armées, quel fervice
en pourroit-on attendre ? Premier inconvénient du
fervice perfonnel.
La population de chaque province fervant de bafe
au contingent d’hommes qu’elle devroit fo u rn ir , il
en réfulteroit que chacune d’elles contribueroitau
recrutement de Y armée dans fa proportion refpeclivc
avec les autres mr mais toutes n’ont point T efp rit également
militaire, toutes par leurs habitudes aftuelles
ne fe confacrent pas de même à cet état. L’expérience
démontre que les habitans du nord de la
France font non-feulement plus propres au fervice,
mais encore qu’ils ont plus de goût pour cet état,
puifqu’ils y contribuent dans une proportion beaucoup
plus confidéraple par la voie des engagement
volontaires. Pour rendre cette vérité plus fenfible,
nous allons vous rapporter des faits pris d’après les
relevés comparatifs qiii en ont été faits au mois de
mai dernier, par'l’auteur du mémoire qui vousaetè
préfenté fur la population du royaume. C e s .faits
font conftatés par le tableau qu’il en a rédige avec
toutes les connoiffances qu’il a acquifes par un travail
réfléchi fur cette partie intéreffante, ff°P
long-temps négligée, & qu’il a , pour ainfi air?>
tirée du chaos dans lequel ‘l’irifouciance & la négligence
du gouvernement l’avoiént laifle plongée
trop long-temps. Il eft démontré par ce tableau,
que les f e iz e généralités du nord-, fur une population
connue de 14,641,285 âmes, fournirent t
Y armée 98,068 hommes, c’eft-à-dire, un fur M9 ï»
■ jî, «ue les quinze généralités du midi, fur une
L i t t o n de 10,420^598 âmes, n’en fourniffent
S .C e ft-à V e ? u n fur 279 i , Si l’on avoit
\lîeeces généralités du nord & du midi a fournir,
chacune en raifon de leur population refpeffive,
T" ,46 François qui conipofoient réellement
Vamit a cette époque , il en feroit réfulté que les
feize généralités du nord auraient dû fournir 79,070
hommes & les quinze généralités du midi 56,276
hommes c’eft-à-dire ,18,998 hommes de moins par
les premières , & pareille quantité de plus par les p
fécondés. Les arts , le commerce., lmdtiftrie ,
l’agriculture même, ont pris dans chacune de ces
nrovinces t le niveau de la quantité de bras qu elles
ontà y employer. En fuivant ce fyftême, & d’apres,
ces calculs7, lesfcfeize provinces du nord feroier.t
furchargées de 18,998 hommes qu’elles ne pourroient
occuper, & qui, portés par inclination au fervice
militaire , iraient en chercher chez les puiffances
voifines : car il n’eft pas vraifemblable que ues citoyens
des provinces, répondant des avoues par
lefquels ils fe feraient repréfenter , vouluffent les
1 choifir parmi des étrangers à leur Canton , qu ils lie
cohnoîtroient pas, ou qu’ils puflènt les prendre dans
d’autres provinces , q u i, voyant par-là diminuer la
maffe de leurs contribuables au fervice perfonnel,
ne voudroient pas certainement le fouffrir.
Les quinze provinces du midi , au contraire ,
obligées de fournir un nombre d’hommes excédant
de beaucoup la proportion dans laquelle elles font
dans Mage de contribuer habituellement à prefent
| au fervice, éprouveroient un déficit confiderable
dans leurs travaux ordinaires, ce qui deviendroit
très-préjudiciable à leurs intérêts. Ce contrafte ,
.meilleurs, vous paroîtroit encore plus frappant,
fi au lieu de vous le préfenter en maffe, on vous j en pffroit l’application particulière à quelques pro- I vinees : par exemple, l’Alface , fur une population
de 654,881 âmes, fournit par le recrutement vo-
! lontaire io,6|>7 foldats; par le fervice perfonnel,
I "n’en■ donneroit plus que 5339» tandis que lage-
I néralité d’Aueh, fur 887,731 âmes, n’en fournit
I que m m & feroit obligée d’en donner 5683.
t Combien de difficultés ne rencontreroit - on pas
K pour changer les habitudes de ces deux provinces,
I & y rétablir le niveau ! Second inconvénient du
I fervice perfonnel. . , ,
La majeure partie des recrues que Ton fait a pre-
I fent, eft compofée d’artifans, d’ouvriers, prefque
citoyen, fans doute, ne voudrait choifir parmi
ces coureurs un avoué dont il répondrait) , force-
roit à enlever réellement aux campagnes plus de
bras qu’elles n’en fourniffent actuellement. Les villes,
aujourd’h u i, contribuent ainfi de près des deux tiers
au recrutement de Y armée ; d après les bafes de^ la
population, elles en fourniroient à peine le cinquième
tous habitans dès villes dans lefquelles ils paffent
fucceffivement, én faifànt ce qu’ils appellent leur 1
tour de France ; le befoin, le libertinage meme les
y font engager : ce font des hommes déjà perdus
pour les campagnes qu’ils ont abandonnées , &
pour l’agriculture dont ils ont craint les travaux.
Errant continuellement de villes en villes, n’ayant,
pour ainfi dire, de domicile fixe dans aucune , ils ■
ne pourroient être inferits fur aucun regiftre public
de fervice perfonnel, & çette claffe d’hommes , !
«tant, pour ainfi dire, perdue pour lui (car aucun I
î quel tort cela ne feroit-il pas. a 1 agricub
ture, non-feulement en lui enlevant des bras néceffaires,
mais encore en dégoûtant de fes travaux
des hommes qui en ayant perdu l’habitude »J?cn-
dant le temps de leur fervice , dans i oifivete ces
garnifons , y feroient peut-être peu propres à leur
retour ? Troilième inconvénient du fervice perfonnel.
. , ,
L a majeure partie des citoyens, accoutumée a
un autre genre de vie que l’état de foldat, quit-
teroit avec peine fes travaux, fes foyers , fes habitudes
ordinaires ; elle chercheroit à fe faire repre-
fenter. Chacun, répondant de fon avoue, ne vou-
droit prendre que quelqu’un dont il croirait pouvoir
être sûr; il voudrait choifir dans fa province ,
dans fon canton même. Les hommes dans le cas
de fervir ainfi, fentantla néceffité dont ils feroient,
voudroient tirer parti du befoin qu’on auroit d eux ;
ils feroient la loi ; les gens aifés ne regarderaient
pas à la dépenfe pour avoir un homme qu’ils croi-
roient sûr. En vain les ordonnances^ fixeraient le
prix des avoués ; il s’établiroit bientôt à un taux
plus haut que celui auquel il feroit détermine. La
généralité de Lille , par exemple, engage pour fes
milices aauelles. Chaque homme lui revient, 1 un
dans l’autre, à plus de 320 liv ., tandis : que les
recrues deV armée ne coûtent que de^ 120.a 130 liv.
On voit par-là, que fi le tréfor public fe trouve
en ' apparence foulagé par la fuppreffion des de-
penfes du recrutement à prix d’argent, dont 11 ne
. feroit plus les fonds, elles monteroient à des fomtnes
bien plus confidérables payées par les particuliers $
ce qui reviendrait au même dans le fait ^attendu
que ce qui feroit ainfi payé par eux particulièrement,
n’en doit pas moins être regardé comme une charge
publique, qu’ils feroient obligés de fupporter fous
une autre dénomination. Quatrième inconvénient
du fervice perfonnel. ,
Enfin, le fervice perfonnel, quelques précautions
qu’on prenne pour le répartir egalement ,
plaira-t-il à toutes les provinces ? Les milices ac«»
ruelles ne marchoient pas. Quel effroi cependant ce
fervice, fufeeptibleau plus d’être prevu , n mipiroit-
il pas ! combien de réclamations n’excite-t-u pas
dans tous nos cahiers, qui demandent fa deftruction f
Oue feroit-ce donc, fi ces mêmes provinces, peu
militaires fans doute, & c’eft le grand nombre;
fe voyoient affujetties de droit a un fervtce aftif,
& qui tirei;oit de leurs foyers des citoyens peu
curieux de ce métier, ou les obligerait a fe procurer,
à prix d’argent, un avoué dont ils répondraient!
Pour établir le fervice perfonnel avec leï
avantages qu’on auroit droit d’en attendre, u tau,
0 * F. e e 2