
M. le préfident fe difpofe à la mettre aux voix.
— Après une longue .oppofition de la part d’un
grand nombre de membres, il reprend la parole , &
dit d’une voix fatiguée & entre-coupée : je ne fuis
pas en état de foutenir une telle difcuffion, & fi
elle doit durer .encore je prierai M. de Bonnay
de prendre le fauteuil.
M. de Bonnay faifant les fondions de préfident,
fe prépare à pofcr la queflion préalable.
M. Charles de Lamtth. J’obferve que la queflion
préalable efl très-adroitement demandée par M. de
Bonnay... ..
M. le marquis de Bonnay. Je ne regarde pas l’inculpation
d'adrefle comme une perfonnalité , 6c je
ne vous rappelle point à l’ordre; mais elle -eft
défobligeante , & je vous prie de la retirer.
M. Charles de Lameth. La queflion préalable,
très-ingénieufement propofée par M. de Bonnay,
ri’eft point admiffible ; la difcuffion eft commencée ;
elle n’efl point fermée ; il efl impoffible d’invoquer,
foit l’ignorance , foit la parfaite connoiffance de
la caufê. Mais de quoi s’agit-il ? D’une déclaration,
d’une proteflation., ou d’un acte quelconque qui a
inquiété le public-& un grand nombre des membres
de i’affemblée. Je ne fais pas quelle a été l’intention
de M. Bouche, en propofarit la motion que
vous avez décrétée; mais nul ne peut douter qu’il
n'ait eu pour -objet de faire dire à M. le préfident,
s’il avoit figné une proteflation , ou tout autre aéle
contre les décrets de l’affemblée. Vous avez dû .
voir avec inquiétude, qu’il fût poffible d’aeeufer
votre préfident d’avoir manqué au refpeâ qu’il doit
à vos décrets, votre préfident qui ne veut pas
même être foupçonné ; vous avez demande un
ferment folemnel , qui n’efl antre chofe que le
ferment civique avec un peu d’extenfion ; vous
avez voulu que votre préfident s’engageât à ne
rien écrire , rien fouferire, rien avouer qui tendît
,à mettre en q u e flio n fo it le, pouvoir, foit les
intentons de faflemblée, foit le tefpeél dû à fies
décrets. Le ferment porte ces mots : Sanctionnés
ou acceptés par le roi ». Si M. de Virieu a figné
des proteflations contre quelques décrets avant
qu’ils fulTent fan&ionnés, ces a&e's n’en font que
plus coupables , puifqu’iis ont èu pour objet d’in-
filuencer l’efprit du monarque même. Quand M. de
Virieu voudrait s’exeufer par une réticence, au moins
«fi-il vrai qu’à l’époque du ferment, les décrets
étoient fanéfionnés, & que fi la proteflation a
jamais exifté, elle exiftoit toujours. Au refie, je
demande, & j’en appelle à la confidence de tous
ceux qui m’entendent, 1} dans le moment où M. de
Virieu a prononcé fon ferment, malgré le petit
entortillage qui l’a précédé, fl efl refié à un feul
membre de l’affemblée l’idée que M. de Virieu
eût figné un aôe de cette nature? Pour moi, je n’ai
.pas cru, d’après fon ferment, qu’il eût jamais fait
de proteflations. Quelques membres ont annoncé
un fientiment différent ; il s’efl élevé contre eux un
cri d’indignation, qui étoit celui de la confidence.
Je vous demandé de quel oeil vous pouvez voir
de' quel ceil le public verra cette reftri&ion mentale
& vraiment jéfiuiùque1? A Dieu ne plaife que je
veuille qualifier de fiemblables. moyens ! Je les
abhorre fans ofer les combattre, & la confidence
de l’afiemblée les jugera bien mieux que la raifon ;
mais je demande comment M. de Virieu a pu
avouer qu’il a figné des proteflations, & jurer,
enfuite qu’il n’a rien figné qui tendit à affaiblir U,
rcfpett & la confiance dus aux décrets de fajfemblêe
nationale. . . . On vous propofe la. queflion préalable.
Par refipeâ pour la majorité du corps légiflatif,
pouvez-vous ne pas délibérer fur un femblable
objet? Cette circonftance peut avoir une grande
influence fur le fort de l’état : vous allez jetter un
nouvel éclat fur vous-mêmes, ou ternir la majeflé
de Y affemblée nationale.
M. l’abbé Maury. La délibération qui vous occupe
efl liée à plufieurs principes que je demande la per-
miflïon d’expofer, 6c parce qu’ils ont été totalement
oubliés. C ’eft un premier principe reconnu
par vous, qu’une loi ne peut être décrétée à l’instant
de fon exécution ; car alors elle feroit plutôt
un jugement qu’une loi : c’efi un principe que votre
réglement donne à tous les membres de cette
aflemblée le droit de parvenir aux fondions honorables
qu’on peut obtenir de votre confiance : c’efi
un principe que le ferment particulier exigé de vos
officiers feroit une injure pour votre aflemblée :
c’efi un autre principe que perfonne n’a le droit
d’interpeller légalement, non-feulement le' préfi-
dent, mais un membre de cette aflemblée, quel
qtfîî fbit ; une interpellation n’appartient qü a un-
juge , '■ après, un commencement de preuve aeqùife ;
quand elle n’a pas la certitude d’un fait, une
aflemblée telle que celle-ci ne doit pas s’en, occuper.
Je n’examinerai pas fi le décret dont il s’agit
a été accepté; mais je dis que je regarde comme,
naturel à tous les membres de l’affemblée d’être
perfudé que quand les circonftances les obligent à
fiouffrir un a&e de précaution,- ce n’efl: pas à l’aflèm-
blée, mais à leurs commettans qu’ils doivent compte
de leurs allions. Ce principe tient au droit qu’ont
eu nos commettans de nous donner leurs ordres;
mais je penfe que quand un homme d’honneur eft
interpellé , même fans qu’on ait droit de le faire,'
il doit dire la vérité.
Je n’ai donc pas approuvé le filence de M. le
comte de Virieu ; & fans m’expliquer fur la conduite
que, pour fa gloire, j’aurois voulu qu’il eût
tenue , je me bornerai à dire que le voeu.exprimé
dans un ferutin par la majorité , eft lin décret. Je
ne réclamé pas contre le décret par lequel vous
exigez un nouveau ferment. Je déclaré publiquement
que j’ai figné_le même ade que M. dé Virieu.
(Une partie des membres placés au côté droit
fe lèvent pour s’unir à cette déclaration). En con-
fiéquence , comme il eft injpoffible que la minorité
donne des loix à la majorité, fi tous perfiftez à
exiger le ferment, je ne dis pas à M. le comte
de Virieu ce qu’il doit faire , mais je déclare que
je me regarde comme à jamais exclus de cette
aflemblée.
M. le comte de Virieu. Rendu dans ce 'moment à
moi-même., à ma qualité de finiple membre de
cette aflembléeil m’efl permis de m’expliquer ;
peut-être ne le pouvois-je pas quand je n’étois
pas moi, & que j ’étois à l ’aflemblée. Je n’ai pas
répondu avec détail pour éviter des queflions épi—
n.eufes qui pourroient exciter du trouble., non-
feulement dans l’affemblée, mais même dans le
royaume entier. J ’attefte tous, ceux de mes collègues
qui m’ont témoigné quelque confiance , 6c
je les prie de fie reffouvenir combien j’ai defiré
de relier fiznple „.citoyen ; on m’a vu repoufler
toute efipèce d’idées anibitieufies ; on m’a v u , le
13, juillet, propofier des décrets dont le fiuccès a
été utile à la liberté ; 6c fi jamais les excès auxquels
ont s’eft livré, permettent qu’elle.s’établifle en
France, on me devra la juflice de dire que j ’ai concouru
à la faire triompher. Quand les choies ont
changé, j’ai mis ce même caraélère à réfifter à
l’oppreffion de la multitude, la plus dangereufe.
de toutes les oppreffions ; j’y ai réfîfté au péril
de ma fortune, de ma liberté , je dois dire .de ma
vie, puifque pçrfonne rie l’ignore.
C ’ëft d’après -toutes ces circonftances que j’ai
confidéré la fituation où je me fuis trouvé ce matin :
j’ai cru qu’il ne m’étoit pas permis de refufer l’honneur
que vous m’accordiez, j’ai dû prendre les
qualités de la place où vous m’aviez, élevé, &
l’oubli de mon caractère a été' mon premier facri-
fice-. Quand-011 a propofé le décret, je n’ai pas
cru devoir des explications qu’on rie me deman-
dpît pas & qui auroient pu devenir dangereufes.
I.e décret prononcé , j’ai dit un fait certain. J ’ai
vu depuis , par un fingulier contraftej des personnes
bien oppofées prendre foin de ma gloire.
Je demande d’abord , comme individu , dans quel
c^s, dans quel teins,. dans quel lieu il peut fe faire
qu’un homme foit obligé à plus que la loi n’exige,
& qu’il foit inculpé pour n’avoir pas préfumé plus
que la loi ne renfermoit ?
J’ai dû, comme homme revêtu de la confiance
de l’afTemblée , éviter ce- qui pouvoit en troubler
la paix: j’ai offert toute efpèce d’explicationsavec
la loyauté de mon caraélère ; j’ai dit que s’il s’éle-
voit quelque réclamation, je defeendrois à Pinftant
du pofte où vous m’aviez placé. Me fuis-je mal
expliqué ? C ’efi un tort de ma diélion & non de
mon coeur. Je me fuis renfermé dans le texte précis;
du décret ; maintenant l’aflemblée peut en expliquer
le fiens. Si on y avoit mis autre chofe, j’aurois
quitté cette place darigereufe, & j’aurois fait ma
profeffion de foi. Que l’aflèmblée déclare donc ce
AJTemblèe Nationale. Tome II, Débats,
qu’elle a voulu dire ; qu’elle prononce : je remplirai
alors les devoirs que mon caraélêre m’im-
pofe. Il s’agit ici d’une fimple explication , & rien
ne m’efl: pcrfonnel. Je ne me fuis jamais regardé
comme inculpé; je n’ai pas mérité de l’être; 8c
quand on m’açcuferoit, je crcirois devoir braver
des jugemens que je regarderais comme l’effet de
l’égarement.
Une partie du côté droit applaudit.
On fait lèéhire d’une motion de M. Alexandre
de Lameth ; elle confifte à ajouter au ferment :
« Ou contre les décrets qui ne devraient pas être
acceptés ou fan&ionnés ». Elle a encore pour objet
de décider que dans le cas où M. de Virieu ne
pourrait pas prêter ce ferment, il foit nommé un
autre préfident.
M. Dubois de Crancè. La queflion n’efl pas de
favoir fi le feus du ferment doit être étendu ; il
s’agit feulement de demander à M. de Virieu s’il a
figné Un aâe quelconque tendant à affaiblir le refpzct
& la confiance dus à vos décrets.
M. Garat l’aîné. Si le fermentn’étoit clair, n’étoit
précis , il feroit odieux. On ne fe joue pas du ferment
; il ne doit jamais être un piège pour la confidence
de celui auquel on l’impofe. Le fens du vôtre
eft de déclarer n’avoir jamais figné, ne vouloir pas
ligner, être déterminé à ne ligner jamais des a&es
contre les décrets fan&ionnés ou acceptés. Le ferment
eft indivifible de l’acceptation ou de la fanélion :
cela eft fi évident, que le provocateur du décret^
quand il a voulu le faire entendre d’une autre
manière, a été obligé d’ajouter un mot à la-formule
du ferment, puifqu’il a dit*: les décrets rendus par
l’aflemblée ; le mot rendu ne fe trouve, pas dans la
formule. Au furplus , je ne puis concevoir que des
membres puiffent être exclus dés dignités de l’aflèm-
blée fans être exclus de l’affembLée même ; je rie
puis concevoir qu’une aflemblée foit divifée eri deux
efpèces d’individus , les uns incapables d’occuper
dès places , les autres admiffibles à ces places :
voilà une bifarerie qu’il eft impoflible d’admettre ;
quiconque eft indigne de nos places, eft indigne d e .
cette aflemblée. Cela pofé, on' parle d’un acre particulier
, & j’entends une partie dev l’aflemblée. déclarer
qu’elle a fouferit cet a6le, qui eft , dit-on,
celui fur lequel on a entendu faire porter le ferment.
Le ferment prononcé par. M. de Virieu eft v ra i,
fi cet aéle ne regarde pas des décrets fanélionnés 6c acceptés. Comment fe peut-il que nous nous
occupions pendant trois heures d’un aéle qui n’efl:
pas connu de l ’affemblée, dontl’exiflence eflavouée
& que plufieurs membres fomblent s’honorer d’avoir
fouferit ? Je demande que cet aéle foit connu ; ou
il efl dans l’intention du'décret accepté , ou il efl:
diffamateur de ce décret ; dans ce. dernier cas , je
ne croirais pas que nous.duffions fiouffrir ici aucun
dé fiés fignataires.
E e e e