
des efpèces courantes; je prouverai le contraire:
tout papier,non convertie en argent à volonté
& fans intérêts , quelle que foit fon hypothèque,
quelque confiance qu’il puiffe infpirer, doit‘perdre
dans fes -tranfaélions libres : une valeur numérique
en ecus doit avoir un plus haut prix qu’une
pareille valeur numérique en prpier de cette éfpèce.
Il eft reconnu que les métaux précieux , quoiqu’ils
foientune marchandife univerfcllement recherchée,
tiennent plus de leur nature que d’une convention
légale, la propriété de feryir de terme de
comparaifon & d’echange entre les différentes
' valeurs.
Vouloir inveftir le papier des fonâions dè la
monnoie métallique , c’eft vouloir changerTeffence
des chofes , c’eft tenter l’impoffible. Pour que la
valeiir numérique d’un papier foit égale à celle
cfune pièce de inonnoie, il faut qu’il procure complètement
à fon poffeffeur tous les avantages de
la pièce de monnoie , & qu’il en obtienne le même
Service. Comparons XaJJignat qu’on vous propôfe '
folidement hypothéqué avec les écus, & voyons
lès fervices qu’on peut obtenir des uns & des autres.
Vaffivnat peut payer une fomme égale à celle qu’il
reprefente , - les écus le peuvent aufli ; l'ajjignat
eft propre à l’açquifition d’une portion de terre
qui lui fert d’hypothèque, les écus le peuvent aufli;
& dans l’acquifition d’un domaine qui ne feroit pas
national, il eff vraifemblaBle qu’ils obtiendront la
préférence. Première différence. Vajjignat de gré à
gré peut procurer l’achat des diverfés marchandifes;
mais ils peuvent être refufés ou acceptés avec perte ;
les écus ne courent jamais ce danger. Seconde différence.
SW ajjignat n’a pas de fous-efpèees aufn
divifées que les valeurs métalliques, il ne peut
iervir à i’ufage indifpenfable & multiplié des appoints,
Il eff vrai qu’on a propofé cette divifion ;
mais eff-on sûr' de la faire adopter à cette clafte
de la fociete , que l’habitude a profondément prévenue
en faveur du métal ? Si elle tient trop fortement
à fes habitudes, il faudra concentrer l’ufage
• <ies ajjignats dans le,cercle de ceux qui peuvent
pofféder deux cents, cent ou cinquante livres, Troisième
différence en faveur des écus. Il en exifte
une quatrième, qui réfulte de nos rapports extérieurs,
& elle eff inévitable.
Le commerce avec l’étranger fe fait argent comptant,
ou par le moyen de leitres-de-change qui
le balancent mutuellement de nation à nation,
lorfque le change eft au pair, que la valeur des
importations égale celle des exportations : lorfque
cette partie n’exifte pas , il fautfolder la différence
en efpeces fonnantes ; le change eft à notre défa-
yantage; il faut faire paffer des efpèets chez
1 etranger, & les ajjignats ne peuvent remplacer
les ecus pour cet objet. Je me hâte donc de conclure,
avec plufieurs préopinans , qu’une valeur
numérique en ajjignats ne pouvant point procurer
a ion poffeffeur les mêmes avantages qu’une pa-
jÆille valeur en écus, tout le monde s’appercêyra 1
de cet inconvénient, & VaJJîgnat-monnoie perdra
nécefïairemenr.
Quelle confiance peuvent donc infpirer lés parti-
fans du papier-monnoie , lorfqu’ils affirment que
loin de perdre, ce papier forcera l’apparition de
1 argent? Je ne vous ferai point l’injure de combattre
une pareille aftertion. On a ajouté qu’ils per-
drôient moins que les lettres-de-change'; mais c’eft
parce que les lettres-de-change doivent être payées
en ajjignats. Ce fiez de les forcer pour l’acquit des
lettres-de-change, & vous verrez laquelle des
valéürs hauffera de prix. Les ajjignats ne font, au
reffe, que des lettres-de-change à terme inconnu
& payables en immeubles ; ce dernier point de vue
conftate la perte ou l’efcompte de ces fortes d’effets ;
c’eft fur cette perte qu’eft fondée l’abfurde iniquité
des ajjignats-monnoie. Pourquoi M. de Mirabeau
a-t-il éludé cette difficulté ? Que ceux qui parleront
après moi ne divaguent pas fur ce point, qu’ils prouvent
féchement, fans ■-éloquence, que les ajjignats
ne feront point inférieurs aux écus dans les tran-
faâions libres, ou qu’ils avouent franchement .la
propofiîron contraire. Dans ce dernier cas , qu’ils
difent fans détour quels font ceux qui doivent payer
1 intérêt de l’anticipation fur les domaines nationaux
, ou les créanciers direéts du. tréfor public,
ou les citoyens de l’empire, que le hafard ou leur
maL-adreffe aura rendus derniers porteurs des ajjignats.
Comment ofé-t-on propofer à l’affcrnblée nationale
de contraindre les créanciers, de l’empire à
recevoir des valeurs inférieures à celles qui leur
font dues ,' & de les forcer à fouffrir un dommage
proportionné à l’infériorité du papier dont on les
menace? Si 4 0 0 millions à'ajjignats déjà émis &
portant trois pour cent d’intérêt, perdent fept pour
cent, 6-00 millions perdent quatorze pour cent,
parce qu’une marchandise s’avilit en raifon de fon
abondance.
Je n’évaluerai point la perte fcàndaleufe de deux
milliards de papier-monnoie, parce qu’il paroît
que perfonne n’infiffe fur une émiffion âuffi immodérée.
Suppofons un inffant une perte de dix
pour cent ; le fyftême qu’on propofe reffembleroir,
par ces réfultats, à celui qui vous détermineroit à
déclarer par un décret que .la valeur de toutes les
monnoies eft forcément augmentée d’un dixième
pour faciliter le paiement de vos dettes en écus.
Le tréfor public gagneroit zoo millions fur deux
milliards; les derniers créanciers de fes créanciers
eftuieroit cette perte, & dans les tranfaâions libres,
l’argent ne feroit pris que pour fa valeur intrin-
feque. Si cette hypothèfe mérite le nom de banqueroute
, comment qualifier le réfultat de celle que
je combats ?. . .Mais , nous dit-on , le créancier
direét reçoit les ajjignats, i l . les tranfporte à fon
créancier; fi celui-ci ne trouve point de débouch
e , il n’a donc foefoi-n que de capitaux ; les
domaines nationaux lui offrent une refiource fuffi-
fante. Je demande à ce calculateur , fi celui qui a
befoin de fes foiblès rentrées pour folder les ou-
Vriers d’itfte manùfaélure , la journée-d’un manoeuvre
<t qui a des paiemens à faire chez .l’étranger,
ne devient pas tributaire des capitaliftes : cette
efpèce de créanciers eft iminenfe. Faut-il que fans
avoir eu jamais d’affaires d’intérêt avec le gouvernement
, il fuppôrte tout le fardeau d’un rembour-
fèment inutile, & fe trouve expofé à voir diminuer
de valeur dans fes mains un papier dont il
eft hors d’état de difeerner la bonté , qui peut
être contrefait dans le royaume & chez l’étranger,
& doit-il éprouver les embarras & les viciffitudes
inféparables de, la monnoie qu’il aura reçue ? — Je
ne me permettrai qu’une réflexion fur le bénéfice
de l’impôt qu’on vous a fait valoir : cette réflexion
eft fondée fur nos relations extérieures.
Premièrement, la France doit acquitter annuellement,
félon le comité des finances, 60 millions
à l’étranger ; fecondement, nous rirons du dehors
les matières premières indifpenfablcment néçeffaires
à l’ufage de nos fabriques & manufaéfLires , & à
l’entretien de notre marine ; la balance du commerce
ne pourra donc point s’établir en faveur de
la France , i°. à caufe de la maffe des dettes qu’il
faut payer aux nations voifines ; 20. à caufe de
l’importation des marchandifes étrangères ; 3®. à
caufe de la diminution fenfible de fon commerce
avec les colonies, qui, autrefois dans une dépendance
abfolue de la métropole, étoient forcées à
échanger le café, le fucre, l’indigo contre nos
produirions territoriales & induftrielles, lefquelles
marchandifes, exportées chez les nations voifines,
les rendoient débitrices de la France, & y attiroient
une grande importation de numéraire. Le remplacement
de la dette publique, qui regarde les
étrangers, & les caufes de la défaveur de notre
change, mous feront fubir une grande émigration
d’efpèces. De-là une plus grande difette d’argent,
fon renebériffement & une nouvelle caufe de défaveur
pour le papier-monnoie.. . . Plus je réfléchis
fur l’influence mortelle du papier-monnoie, fur la
conftitution , fur l’agriculture & fur les finances de
l ’empire, moins je conçois qu’il faille encore combattre
le projet anti-patriotique d’en inonder le
royaume. Repouffez çe fléau , ne donnez point à
l’Europe étonnée le fpeâacle effrayant d’un peuple
qui n’auroit recouvré un inffant fa liberté, que pour
l’engloutir fous les ruines de fa fortune & de fon
induftrie. Une erreur de finance ne fera point dif-
paroître comme un fonge tant de pénibles travaux,
& les plus fublimes conibinaifons de l’efprit public
& de la philofophie. Ne cédez point à l’impatience
de vouloir tout exécuter avec une feule idée ; réfiftez
à l’éloquence menfongère, & à la fougueufe impéritie
qui ne voit de falut que dans des milliards ajjignats.
Si pour guérir le corps politique de la maladie
que lui a occâfionné;. une interruption malheureufe
dans la rentrée des contributions, vous êtes obligés
de recourir à ce terrible émétique, ufez-en avec-
allez de réferve pour ne pas le rendre mortel.,—•
Quant aux moyens, de vendre promptement & fans
dangers les biens nationaux, je me réfère au projet
du comité d’aliénation.
M. le Chapelier. Les adverfaires des ajjignats me
paroiffent tomber dans plufieurs erreurs; la première
c’eft de ne montrer la queftion que du côté des
finances, & jamais fous les rapports politiques,
fous les rapports qu’elle peut avoir avec la conftitution.
Je crois que la feule manière de l’envi-
fager eft de calculer fes effets fur la révolution.
Il faut fe placer au milieu de la conftitution, &
prononcer fur ce qui peut hâter fa marche ou
la retarder. Les rapports financiers ne doivent
être l’objet que d’un examen fecondaire. Parlons-
nous de conftitution ? L ’émiffion des ajjignats ne
peut être mife en queftion ; c’eft l’unique & infaillible
moyen d’établir la conftitution. Parlons-
nous de finances ? I l ne faut pas raifonner comme
dans une fituation ordinaire. Nous ne pouvons faire
face à nos engagemens ; il faut employer la feule
mefure qui puifle remédier à tant de maux. La
juftice.nous recommande impérieufement l’émiffioii
des ajjignats ; car la juftice confifte à s’acquitter
lorfque l’on doit. Il eft. mallieureufemfcnt encore
des ennemis d’une révolution qui rétablît l’homme,
dans fes droits: il faut les plaindre , il faut gémir
fur le fort de ceux qui s’amufent à calculer leurs
pertes, fans examiner que la conftitution fera le
plus riche patrimoine de leurs enfans. Je vois
ces partifans des abus, ces penfionnaires de l’ancien
régime , confidérer les débris de l'antique
édifice, & fe flatter d’en réunir encore les matériaux.
Les biens du clergé ne feront pas vendus,
difent-ils, les charges de finance ne feront pas
liquidées. Voilà les bafes fur lefquelles ils appuient
leurs projets de ‘Contre-révolution. Voulez-vous
déranger toutes ces combinaifons ? DonnezJa plus
grande aélivité à la vente des biens nationaux ;
divifez-les; multipliez tellement ces lettres-de-change, •
que chacun en foit porteur. C ’eft-là le moyen de
rendre l’intérêt perfonnel lui-même gardien de
la conftitution : elle ne paffera chez tous les
mécontens cette penfee ,. que pour attaquer ce
bel ouvrage ; il faudra détruire toutes fortunes-
particulières. Quand il y auroit, comme on le
prétend, une petite différence entre le numéraire
fiftif & le numéraire réel, quand il feroit démontré
que nos changes avec l’étranger perdroient pendant
quelque temps , il nous faudroit encore l-’a-
dopter. Nous pouvons fupporter les pertes légères ;
mais nous ne pouvonspas fouffrir que la
conftitution ne foit afiife fur des bafes fiables &
folides. On a fait bien des. fuppofitions, on a
préfenté bien des calculs; mais a-t-on des données
fûres? Non. A -t-on des exemples? Pas davantage.
Les quittances de finances que l’on propofe,
n’offrent que des pertes aux pérès de famille qui
s’en trouveroien 'porteurs. Faites que les débiteurs
paient leurs créanciers faites que les échanges fe
multiplient, alors vous obtiendrez la concurrence