
droit changer les efprits, les habitudes > les préjugés
de ces provinces ; & malheureufement une pareille
révolution ri’eft pas l'ouvrage d’un jour : on ne peut
efpérer de la produire que fuccemveir.ent ; « fi
l’on vouloit mettre ce fyftême en vigueur, avant
qu’elle fut opérée ,on expoferoit Y armée à manquer
de foldats dès la première année , & peut-être même
verroit-on dans l’intérieur du royaume, renaître
les mêmes troubles qui ont été occafionnés fous
Louis XIV & fous Louis X V , par le rétabliffement
des milices. Ces obfervations méritent, fans doute ,
d’être pefées dans votre ft.geffe , & nous avons cru
devoir vous les préfenter.
Le recrutement à prix d’argent, véritable repré-
fentation du fervice perfonnel, a , fans doute,
auffi fes inconvéniens, fes abus & fes avantages :
il ne prive réellement les campagnes, que des
hommes que la pareffe ou le libertinage rendent
peu propres à fes travaux, & en arracheroient volontairement
, pour aller chercher dans le tumulte
& l’oifiveté des villes, un genre de vie plus propre
à leurs inclinations. 11 offre une reffource aux ouvriers
qui, manquant quelquefois de travail, feroient
-forcés d’employer tous les moyens pour leur fubfif-
tance, fi celui-là ne venoit pas s’offrir à eux dans
ces momens. Il ne les rend pas inutiles à leur pro-
feffion, qu’ils peuvent exercer, quoique foldats. II
©te aux citoyens tout l’embarras d’un fervice perfonnel
rigoureufement dû par tous, pour défendre
leurs foyers, mais fufceptible de leur pàrottre un-
attentat contre leur liberté, lorfqu il s’agit de les
abandonner dans des momens de paix, qui ne don-
. nent à craindre aucune hoftilité, ou .pour aller
défendre des provinces qui, quoique fâitant partie
du même empire, femblent pourtant étrangères à
leurs yeux par la diflance qui les en fépare. Il les
délivre de l’inquiétude de répondre des avoués par
lefquels ils pourroient fe faire repréfenter. Enfin,
étant volontaire, il ne pèfe.réellementfur aucune
partie du royaume , puifqu’ii n’enlève de fait à
chaque province, pour ainfi dire, que le fuperfiu
de fa population. Voilà fes avantages.
Les moyens employés pour y parvenir font
vicieux, il eft vrai : les recruteurs, peu délicats fur
le choix des moyens , pourvu qu’ils procurent des
hommes, favorifent le libertinage, & le provoquent
même, par les engagemens conditionnels
qu’ils fe permettent. Ils emploient la fraude , fou-
vent la violence, toujours fa féclu&ion. Répandus
en grand nombre, fur-tout dans les grandes villes ,
ils y trafiquent ouvertement des hommes, ils en
ètabliffent un commerce entre eux; & cette manière
de travailler, également immorable & fâcheufe
, pour les villes dans lefquelles ils font établis, devient
en même temps très-difpendieufe pour les
régimens qui les emploient , & par conféquent
pour l’état qui les paie. Mais ces inconvéniens
tiennent plus aux abus qu’au moyen en kii-même :
lofa peut les prévenir par des loix fages, en inter-
Citant aux recruteurs les grandes villes, telles que
Paris,Lyon , Bordeaux,Marfeille, danslefmieliej I
en raifon de leur grandeur, fe commettent les piuî I
grands abus ; en chargeant leur police d’y faire elle. I
même les enrôlemens, & d’y établir des dépôts
dans lefquels les régimens le plus à proximité fe
foumiroient ; en affeélant meme, s’il étoit poflibfe
des provinces au recrutement de chaque régiment
en particulier, ou au moins en ordonnant que dé- '
formais les officiers , bas-officiers & foldats àem-
ployer comme recruteurs, ne pourront Fêtre que !
dans les bourgs, villes ou provinces dont ils font
domiciliés, ce qui eft facile, puifque Vannée eft corn-
pofée d’officiers & de foldats de toutes les parties
au royaume. On remédieroit à beaucoup de ces
abus : des étrangers à un pays s’y permettent fou-
vent des malverfations que des CQmpatriotes, ayant
des intérêts à ménager, s’interdifent. Enfin, en
enlevant, pour ainfi dire, les recruteurs à la difci-
pline de leurs régimens , qu’ils recoimoiffent feule à
préfent, & à laquelle ils trouvent fi facilement le
moyen de fe fouftraire , en raifon de l’éloignement
qui les en fépare, en les fubordonnant immédiatement
aux polices ou municipalités des villes dans
lefquelles ils recrutent, en .leur pre Écrivant les
moyens qu’ils pourroient employer , en les affujet-
tiffant à des formalités rigoureufes & indifpenfa-
bles, leur miaiftère perdroit bientôt Ta-fieux qu’ils
font rejaillir fur des corps qui prefque toujours les
défapprouveroient, s’ils étoient in {fruits de leur
manière de travailler.. . . Mais toutes ces précautions
pour empêcher les abus, appartiennent au
détail de la loi. Si vous adoptez ces moyens, nou
aurons l’honneur de les mettre fous vos yeux;en
attendant, nous ne devons ici que vous préfenter
fes avantages & fes vices.
L’efpèce d’hommes procurée par les enrôlemens
à prix d’argent, eft encore un des inconvéniens
qu’on leur reproche. Elle efl moins bonne, fans
doute, qu’elle ne feroit, fi chaque citoyen acquit*
toit lui-même fa contribution à ladéfenfe de l’eut,
par im fervice perfonnel ; mais, du moment qu’on |
permettrait à chacun de fe feire repréfenter, quel*
que précaution, que l’on pût prendre pour rendre j
le choix des avouésle meilleur qu’il feroit potfible, j
pourroit-on croire que l’efpèce des foldats devien-
droit differente ? Ceux qui Rengagent à préfent, j
feroientles avoués des citoyens qui ne voudroient I
pas marcher eux-mêmes,.«: l’Anne«feroit toujours,
comme elle l’eft aujourd’hui, à l’exception de quel*
ques régimens qui fe permettent de prendre tous les
hommes qu’ils rencontrent, compofee de fils, fibres
& parens de ceux qu’on regarde avec railoit
comme la claffe précieufe de la nation ,. lefquelsi
par pareffe ou libertinage , abandonnant les travaux
de la campagne, fe confacreroientà ce genrede vie, j
& la feule différence , peut-être, ainfi qu’il a déjà et
dit ci-deffus, eft que la dépenfe de leurs
mens,, payée par ceux qui fe feroientreprefenter
par eux , couteroit plus cher qu’elle ne coûte a
préfent»
Te recrutement à prix d’argent ne peut pas
„.nir à l’entretien de Y armée ; les regimens font
[ „“ tnplfis : c’eft encore une objeflion quon fait
r “ ’” h,; Ce ne font pas les moyens employés
t cour faire les recrues, qu’il faut en acculer tout-à-
[ lait- la principale caufe de cet incomplet fe trouve 1 Lis l'intérêt même des régimens. Payés de leurs mafles au complet, quel que îoit
I t e effeâif réel, ils en ont un grand à diminuer
I les dépenfes qui deviennent d’autant moins conli-
I dérables en raifon du moindre nombre d’hommes
I qu’ils ont à entretenir. Il exifte des régimens qui I n’ont aucun recruteur foldé, qui n'emploient pour *
I ce fervice, les officiers, bas-officiers & foldaB , que dans les provinces même de leur domicile,
[ qui ont, pat ces moyens feuls, fouvent éxeede
| le complet, & qui y feroient toujours ü les m-
[ térêts de leur adminiftration ne le leur interdnoient
[ 'P L’état du foldat amélioré par un traitement plus
Ifort, pat la profeription des minuties & d e l’arbi-
I traire de la difeipline , rendu plus honorable par de
I nouvelles loix mieux appropriées au caraélère de
la nation, & par la certitude d’avancement quon
donnera à ceux qui voudront embraffer cette prot
o n ; la confidératioq qu’on pourra lui rendre
pendant qu’il l’exercera, ou après qu’ 1 l’aura quit-
’ tée • les facilités plus grandes Sc moins couteufes
' qu’on poutra lui donner pour l’abandonner avant Sa fin de fon engagement, lorfque fes affiiiresJ’exi-
geroient, contribueront, fans doute , à une meilleure
cpmpofition , & à procurer des reffources
. d’hommes plus abondantes, en décidant a cet état,
devenu plus honnête, une claffe de citoyens que
j le fyftême aâuel devoit néceffairement en écarter.
Telles font, meffieurs, les obfervations que nous
moyens aftuels, & les améliorer en les appropriant
, avons cru devoir vous prefenter : c eft a vous à
■. prononcer fur l’adoption d’un de ces d ux moyens ;
l l ’im & l’autre font indiqués dans les diffétensme-
f moires qui vous ont été cliftribuês par leurs auteurs.
[ Après les avoir difeutés avec la p lu s grand»3 ?ttten-
L lion* 6c avoir vérifié tous les calculs des differens
L tableaux de population & de recrutement, raffem-
[ blés parles ordres de M. le comte de la Tour-
[ du-Pin , avec un foin d’autant plus digne d’eioges,
t qu’il eft le premier des mimftres du département
de la guerre, qui foit parvenu à meure a fin le
[ travail important des recherches comparatives fur
b la population des differentes partie- du royaume ,
[ & fur les rapports néeeffaircs de l’ordre civil à
t l’ordre militaire ; nous nous fommes refumes à.
E penfer,ainfi que ce miniftre l’annonce lui-même,
r page 3 de fon mémoire :
S i°. Que le recrutement habituel de Yarmée aâive
devoit continuer & avoir lieu par des enrôlemens t à prix d’argent pendant la paix, & même le plus
. long-temps poffible pendant la guerre, ainfi que
1 pour toutes les augmentations fucceflives que ces
uiomcns pourroient exiger, fauf les modifications
i de détails néceffaires pour détruire les abus des
davantage aux intérêts particuliers des provinces,
& en les leur rendant moins à charge.
20. Que le fervice perfonnel obligé, fufcenfible
de paroître attaquer en quelque forte la liberté des
citoyens , ne devoit jamais être employé fans né-
ceftîté, & qu’on ne pouyoit en faire ufage que
pour la compofition des milices nationales deftinèes
à la sûreté intérieure de chaque province, & tout
au plus pour celle de Y armée auxiliaire, laquelle
ne for tant pas de fes foyers pendant la paix , «
n’étant affujettie à aucun fervice , doit etre uniquement
regardée comme une reffource dans des
momens de danger, pendant lefquels'chaque individu
doit des efforts extraordinaires à la patrie,
& même qu’on ne devoit employer ce moyen
pour la formation de cette armée auxiliaire, véritable
remplacement des milices aéhielles , que dans
le cas où elle ne pourroit pas être formée par des
moyens en argent, ainfi que le demandent prefque
tous nos cahiers.
Voilà, meffieurs, l’opinion de votre comité.
Lorfque votre décret prononce à ce fujet nous
aura fait connoître vos intentions, nous aurons
l’honneur de mettre fous vos yeux nos obfefva-
tions fur les détails relatifs à l’ufage à faire de ces
deux moyens, félon que vous jugerez à propos
d’adopter l’un ou l’aiure, ou de les combiner ensemble.
Nous attendons votre décifion ; elle nous
eft indifpcnfafcle pour nous mettre en état de vous
préfenter un travail fur l’organifation des armées
aûives & auxiliaires, nécefi'aires à entretenir.
Séance du t8 novembre 1789,
M. Dubots de Crancé, au nom du comité militaire;
Meffieurs. . . M. de Bcutblllier vous a rendu
compte des b*fes fur lefquelles le comité militaire
s’étoît concerté avec le miniftre de la guerre t pour
■ la nouvelle compofition de l'armée : quelque impor-
\ tantes que foient vos occupations, vous ne pouvez
! refùfer à ce travail une ferieufe attention. Je ne
' vous cliffimulerai pas que l’armée eft dans un dé-
fordre inexprimable ; vous fentez que des hommes
fans patrie, fans domicile fixe , uniquement contenus
par une difeipline févère , & quelquefois
injufte, lorfque les liens de cette difeipline font
rompus , peuvent devenir infiniment dangereux
aux intérêts de la fociété. Vous ; vez d’ailleurs à
confidérer deux chofes : vous defirez jouir de
votre liberté & de tous les droits de citoyens*
fous l’empire des loix ; & nos troupes font gouvernées
par un régime defpotique.
L’exemple de tous ks fiècles nous apprend les
malheurs qu’une force aveugle a fu accumuler fur
, les têtes des peuples ; & le premkr qui en a fou-
* doyé un autre pour défendre fes foyers & fa liberté
, a forgé le premier anneau de la chaîne dont
il a fini par etre accablé. .
( Le* rois, inftrufas dès leur e»fe»ce à le «roux W5