
m a i, la difcuffion femble aller en rétrogradant. M.
de Menou, qui enveloppoit d’abord tout le Com-
tat dans les projets de conquête, ne fe flatte déjà
plus d’une invafion totale. Il ne nous demande
plus à préfent que la feule ville Avignon , pour
prix de fes veilles à la bibliothèque du roi.
C ’en eft allez pour appaifer cette multitude de
publicités qui entourent PafTemblée , en nous
ordonnant, à grands cris, au nom de l’autorité fou-
veraine de je ne fais quels mandataires à piques,
de décréter la réunion d’Avignon à la France,
fous peine de mort.
L’argument eft en forme ; & j’avoue que la .
liberté de nos opinions ne fauroit être mieux
conftatée.
Accoutumé à entendre fans émotion de pareils
fillogifmes , j’invoque d’abord en ma faveur un
principe que perfonne n’ofera contefter. C ’eft une
maxime univerfellement admife dans les tribunaux ,
que toutes les fois qu’un jugement a été légalement
prononcé, on ne peut plus le réformer régulièrement
, c’eft-à-dire y ajouter , ou en retrancher
aucune difpofition, enfin y changer un feul
mot, fans le confentement formel & unanime de
tous les juges qui y ont concourra , de ceux même
qui étoient d’un avis contraire à la majorité. Vous
exercez les fondions de légiflateurs ; mais vous
n’êtes pas au-deflus des loix. Or vous feriez punir
févérement une feétion d’un tribunal qui fe permettrait
la moindre altération dans la réda&ion
d’un jugement rendu la veille. Appliquons ce principe
à ce qui s’eft pafTé dans l’affaire Avignon ;
& que chacun de nous fe juge dans ce moment.
Interrogés en préfence de la nation entière, le
4 du mois de mai , fur cette queftion difeutée
pendant quatre jours confécutifs, dans des féances
prolongées jufqu’à dix heures du foir : « Avignon
& le Comtat font-ils, ou ne font-ils point partie
intégrante de l’empire François » ? Vous avez r.éfolu
la queftion ainfi pofée, en vous décidant, à une
très-grande majorité , pour la négative. Vous avez
donc formellement reconnu par un décret folemnel,
en délibérant fur un article propofé fans aucun
amendement par vos comités eux-mêmes, qu’Avignon
& le Comtat ne faifoienr pas partie intégrante
de l’empire François. Tel eft le. diplôme
national par lequel vous avez rendu , de votre
propre mouvemement, un hommage authentique
à la légitime fouveraineté du pape fur Avignon 8c
fur le Comtat. J’avoue qu’il n’exifte dans la bibliothèque
du Vatican aucun titre plus inconteftable
de cette ancienne fouveraineté. Vos difpofition s
. bien connues envers le chef fuprême de l’églife,
ne permettront point à l’Europe & à la ‘poftérité
de vous foupçonner de la moindre partialité, lorfque
vous prononcez en faveur de Pie V I , contre les
prétentions de la France. C’eft par l’appel‘nominal
que votre voeu a été énoncé. Après un tel mode
de délibération, le dénombrement des fuffrages a
manifefté ici une majorité de plus de cent voix ,
en faveur du faint-fiège.
Cette forme, la plüs claire, la plus précife, la
plus irnpofante de toutes , fut admife., après de
longs débats, avec le confentement unanime de
tous les membres de cette affemblée. Vous dites
non : eh bien ! je vais vous répondre en trois
lettres, en difant oui. C ’eft s’avouer vaincu que
d’ofer nier l’évidence. Aucune voix ne s’éleva pour
s’oppofer à l’appel nominal, qui fe fit très-paifi-
blement ; & nos adverfaires n’imaginèient les mi-
férables chicanes dont je vais bientôt faire juftice ,
que lorfqù’ils fe virent en minorité.
Le décret que vous avez rendu eft maintenant
connu dans toute l’Europe. Il a été configné dans
deux cent journaux qui ne vous font pas fuf-
peéls ; & vous aurez beau altérer vos procès-verbaux
, ces nombreux fecrêtaires qui ne font pas
à vos ordres , & qui attellent journellement ce
qu’ils ont entendu , font autant de témoins que nos
adverfaires ne peuvent ni réeufer, ni contredire.
Dès que la minorité eut ainfi fuccombé , cette
même minorité qui, par les rufes indécentes,,
qu’on appelle la ta&ique de PafTemblée, a fu empêcher
, pendant cinq jours entiers, la majorité
de repoufler , par un décret, les prétentions des
hommes de couleur de nos colonies; cette infatigable
minorité s’afTembla immédiatement après la
féance , au club des Jacobins ; 8c là on imagina
d’annuller le décret relatif à l’affaire d’Avignon ,
en le faifant réformer le lendemain matin, à la
lechir-e du procès-verbal.
Le rendez-vous fut donné à tous les membres
de cette minorité qui compofent ordinairement ici
la majorité. On arrêta le plan d’attaque. On distribua
les rôles, comme on les diftribueroit peut-être
encore demain matin, fi nous obtenions aujourd’hui
la majorité. M. de la Rochefoucault-Liancourt,
auquel il faut décerner toute la gloire de cette incroyable
commiffion, dont il eut l’humilité de fe
charger; M. de Liancourt, quiavoit été, la veille,
de notre ' avis ; M. de Liancourt, qui avoit acquis
fans doute de grandes lumières fur le fond de la
caiife, en apprenant le foir que le fouverain,
qu’on appelloit autrefois fimplement le peuple ,
avoit pourfuivi jufques dans leurs maifons j les dé-
fenfeurs de la fouveraineté du pape fur Avignon,
en demandant leurs têtes à grands cris ; M. de
Liancourt, fidèle fujet de ce nouveau fouverain,
de ce fouverain des tribunes , auquel je vous prié,
M. le préfident , d’impofer filence dans ce moment,
fi fes huées que je ne prèndrai jamais pour
des lo ix continuent à m’interrompre ; M. de
Liancourt enfin obtint grâce au club des Jacobins,
pour le -tort qu’il avoit eu la veille d’etre coura-
geufement jufte ; & le lendemain , il ouvrit l’avis
de déclarer que nous n’avions rien décidé, &
d’anéantir ainfi notre décret, à la lefture du procès
verbal. ; , .
Voici , Meilleurs , les moyens lumineux qui
furent propofés pour prouver à toute. l’Europe ,
que nous n’étions que des légiflateurs de première
/inftance ; que Tenregiftrement de nos décrets dans
le procès-verbal, en étoit la révifion ; & , pour
mieux me faire entendre- des tribunes , que Taf-
femblée nationale n’étoit que le châtelet du club
des Jacobins.
On nous dit d’aborcl, dans un moment où l’on
ne comptoit pas dans la falle cent députés, que
l’appel nominal de la veille n’avôit eu qu’un feul
objet , favoir fi l’article ferait admis , ou s’il
ferait rejetté. On avoua que l’article propofé par
le comité avoit été réellement rejetté ; mais on
prétendit que l’affemblée n’avoit rien décidé fur
le fond de la queftion. Ce moyen fut imaginé par
M. Goupil.
Mais comment ofe-t-on , avec quelque pudeur,
préfenter un tel raifonnement à une afTemblée
délibérante ? Qu’avions-nous à décider ? L’article £ropofé par le comité étoit conçu en ces termes :
a ville & Avignon & le Comtat Venaiffin font
partie intégrante de l’empire François. On avoit
voulu modifier cette propofition , qui pénétrait
jufqu’au fond de la difficulté , & qui ne permet-
toit plus aucun retour de chicane , ni pour ni
contre. Plufietirs avis avoient été ouverts pour
reftreindre lé décret à la réunion a&uelle d’Avignon
êc du Comtat à l’empire François, fans que la
délibération s’étendît jufqu’à la queftion géographique
, hiftorique & politique , fi loyalement
abordée par vos comités. Nos adverfaires, per-
fuades qu’ils nous domineraient par le nombre,
crurent que tous les amendemens étoient des capitulations
imaginées par'' un parti trop timide pour
'aller droit au fait, en prononçant définitivement
l’incorporation du Comtat au royaume de France.
En conséquence ils pénfèrent que plus la propofition
ferait tranchante , plus ils ‘ trouveraient de
partifans dans TafTemblée. Après de très-longs
débats, qui nous fatiguoient depuis plus de trois
heures , les membres du club des Jacobins demandèrent
avec inftance, que l’appel nominal commençât,
& que la propofition du comité fût admife
ou rejettée à jamais. J’obfervois , avec beaucoup
d’attention, tous les mouvemens de TafTemblée. Je
crus voir que nos adverfaires calculoient fort mal
leur pofitiôn. Je me réunis donc brufquement avec
eux pour adopter le mode de délibération du
comité ; & je fus appuyé de confiance, par tout
le côté droir. L’appel nonfinal s’ouvrit auffi-tôt. Il
fut décrété, à une très - grande majorité, que la
ville d’Avignon 8c le Comtat n’étoient point partie
intégrante de l’empire François. O r , il eft bien
évident que nous n’avons pas pu rejetter l’article
fans décider le fond, puifque le fond étoit l’article
lui-même. On nous demandoit fi Avignon 8c le
Comtat étoient partie intégrante de la France; 8c la grande majorité déclara que non. Il ne s’a-
gifToit pas en effet fimplement d’écarter l’article,
pour lui en fubftituer un autre ; il s’agifToit de
terminer un grand procès national, 8c nous Pavons
tous jugé irrévocablement.
Après cette première chicane de procureur, on
nous dit que la décifion de la veille étoit infigni-
fiante , parce que nous n’avions décrété qu’une
difpofition négative, 8c qu’une difpofition purement
négative ne décidoit rien. Ce commentaire
fut imaginé,' par M. Rabaud, qui croyoit parler
fans doute à des écoliers que Ton éblouit par des
mots qu’ils n’entendent pas, & qu’on ne comprend
pas toujours bien foi-même. Puifque M, Rabaud
nous ramène fur les bancs de philofophie, il faut
lui apprendre que Ton dit quelquefois argument
négatif, preuves négatives, par oppofition à argument
pofitif, à preuves pofitives ; & , dans ces
phrafes, le mot négatif indique Tinfuffifance de la
preuve. Mais le mot négatif n’a-plus la même
acception , quand il s’agit d’une propofition qu’il
faut affirmer ou nier. Soutenir l’affirmative , ou
foutenir la négative , ce n’eft certainement pas
refter neutre , c’eft prononcer un jugement. Il y
a plus , Meilleurs : toute propofition négative fe
convertit d?elle-même en propofition affirmative.
Ainfi dans l’efpèce préfente, la majorité de cette
afTemblée , en répondant non , a foleinnellement
affirmé qn’Avignon 8c le Comtat n’étoient pas même
partie intégrante de l’empire François; & cela s’appelle',
à mon avis, décider quelque chofe.
Enfin, on porta le délire & l’immoralité jufqn’à
prétendre qu’on nous avoit tendu un piège ; qu’il y
aurait eu une décifion fi nous avions perdu , mais
qu’on n’avoit rien prononcé, parce que nous avions
gagné. Il faudrait peut - être ne rien répondre à
des hommes qui ofent fe vanter d’avoir tendu un
piège à cette afTemblée. De pareilles manoeuvres
fiiffiroient pour déshonorer leurs auteurs. Mais le
vrai eft, que s’ils ont voulu réellement nous tendre
un piège , ils y ont été pris eux-mêmes. Ils ne
croyoient pas que la majorité pût rejetter une
propofition ainfi généralifée , en renonçant pour
toujours à réclamer Avignon 8c le Comtat, comme
partie intégrante de l’empire François. La jufiiee
de Tafiemblée a confondu toutes leurs combinai-
fons. Certes, Meilleurs, vos délibérations ne font
pas affurément des parties de jeu. Mais fi Ton
pouvoir ravaler vos fondions jufqu’à les affimiler
ainfi à un grand jeu de hafard, vous favez tous
comment il faudrait traiter un joueur afTez naïf
pour prétendre que les coups font nuis quand il
perd, & qu’ils deviennent excellens quand il gagne.
Au refté , cette théorie »’appartient heureufement
à aucun de nos collègues ; elle eft d’un fieur TifTot,
qui fe dit député d'Avignon à la fuite de TafTemblée,
nationale, 8c qui a eu afTez d’audace pour la
développer dans une lettre imprimée , à laquelle
les cafuites des galères ne trouveraient pas une
feule maxime à changer, fi elle étoit datée des
chiourmes de Bref! ou de Rochefort.
Eh ! comment les réformateurs de notre procès-
verbal peuvent- ils dire que nous n’ayons rien