
dans l’efciavage. Vivans au fein , je ne dirai pas de
leur patrie, mais de leur pays, comme des conqué-
rans au milieu de peuples vaincus, les officiers &
les foldats , aveugles inftrumens des volontés d’un
maître, ne font occupés qu’à étendre ce qu’ils appellent
fa gloire, c’eft-à-dire, fon autorité. En
entrant au lervice, ils doivent renoncer aux plus
chères affe&ions de la nature ; leur religion eu de
ne connoître ni parens , ni frères, ni amis, de ne
favoir qu’obéir. Tel eft, Meffieurs, l’affligeant fpec-
tacle que préfentent les armées du Nord, & telle eft
la conféquence prefque néceffaire de cette étrange
corruption des inftitutions humaines , qui, plaçant
dans un état continuel de difeorde & de guerre,
des nations faites pour s’aimer & s’entre-fecourir,
a placé, dans les forces même qu’elles font obligées
d’entretenir pouf leur défenfe, une fource de ruine,
& un moyen continuel d’opprefïion.
Sans doute le moment approche où les lumières
univerfelles mettront un terme à cet inconcevable
délire ; une révolution peut-être lente, mais inévitable
, prépare à toutes les nations la connoiffance
& la conquête de leurs droits : alors une des premières
vérités qui viendra frapper tous les yeu x ,
c’eft l’intérêt qu’elles ont de s’unir, & l’étrange abus
de laiffer à un petit nombre d’hommes le pouvoir
de facrifier des peuples entiers à leurs reffentimens
perfonnels , à leurs méprifables caprices. Il ne fera
plus néceffaire alors d’entretenir, au fein d’une
nation , urtfe multitude d’hommes armés ; & les
moyens de concilier leur exiftence, foit avec les
revenus publics , foit avec la conftitution & la
liSerté, ne feront plus un des points les plus difficiles
de la fcience des gouvernemens.
Mais jufqu’à cet heureux jour que peut-être pouvons
nous nous flatter d’atteindre, & que nous
aurons au moins la fatisfaéfion d’avoir avancé pour
l’efpèce humaine, l’exemple que nous avons à donner
, c’eft celui de lier l’exiftence, encore néceffaire,
d’une grande armée, avec une conftitution libre.
C’en auffi , Meffieurs, à remplir ce but que je me
fuis principalement attaché : j’ai confidéré l’organi-
fation de Varmée, fous les rapports du pouvoir constituant
, du pouvoir légiflatir & du pouvoir exécutif ;
mais penfant que les objets de cette dernière claffe
étoient étrangers à nos travaux, & que ceux de la
fécondé ne dévoient être arrêtés qu’après une mesure
préalable que j’aurai l’honneur de vous pré-
fenter, je me fuis fur-tout attaché à la partie
conftitutionnelle. Parmi les difpofitions de ce genre,
il en eft qui m’ont paru affez peu fufceptibles de
difeuffion pour vous é^re proposées à décréter dès-
à-préfent. Les autres préfentant de plus grandes
difficultés, & n’exigeant pas une décifion inftante,
je vous inviterai, après vous avoir préfenté quelques
idées, à les renvoyer à votre comité de conftitution
, qui fe concertera à cet égard avec le comité
militaire.
Si l’ufage & le développement de la force militaire
dans une grande monarchie, exige la célérité
dans les ordres \ l’enfemble dans les mouvemens4
rapports immédiats dans les projets, & unité de
force dans l’a&ion ; fi enfin l’impulfion doit être
donnée par le centre & communiquée à toutes les
parties, il s’enfuivra qu’une feule penfée doit pré,
fider à toutes les opérations, qu’une feule volonté
doit diriger toutes les forces individuelles qui çonf-
tituent la force publique & la fureté de l’empire;
l'armée devra donc être remife entre les mains du
pouvoir exécutif. De-là réfulte la néceffité d’un
premier décret conftitutionnel, qui déclarera le roi
chef fuprême de la puiffance militaire.
Après avoir confacré cette première bafe, après
avoir conféré au chef de la nation, un pouvoir que
la nature des chofes rend indifpenfable ; la prudence
vous appelle, Meffieurs, à preferire immédiatement
les précautions qui doivent en prévenir l’abus. Les
repréfentans de la nation doivent prévoir qu’il peut
arriver un temps où la France ne fera pas, comme
aujourd’hui, gouvernée par un roi citoyen, qu’il
peut en exifter un jour., qui, aveuglés fur leurs
véritables intérêts , çhercheroient un autre pouvoir
que celui de la conftitution ; que même avec des
intentions droites ,'ils pourroient être dirigés par
desminiftres qui, méconnoiffant les grands principes
des droits des hommes & des peuples, croiroient
encore que les rois font nés pour commander aux
nations, au lieu d’être inftitués par elles pour faire
exécuter les loix , qui, par l’amour & le fouvenir
du pouvoir, voudroient fouftraire le monarque à
cette dépendance immédiate ; qui voudroient enfin
le mettre hors de la nation, en lui créant un intérêt
particulier, en le féparant de l’intérêt national. Il
n’eft pas hors des règles de la prudence de leur
fuppofer de pareilles intentions, & il eft de fon
devoir d’en prévenir les dangers.
Divers moyens pourroient être employés avec
fuçcès contre la conftitution.
Si les miniftres étoient les maîtres d’augmenter le
nombre des troupes, ils pourroient, par des économies
faites pendant plufieurs années , foit fur les
revenus particuliers du roi, /oit fur les fonds attribués
à chaque département, & dont ils préfente-
roient affez facilement un emploi inexaét, foit par
des changemens dans la folde, augmenter le nombre
des foldats, & menacer la liberté. Ces dangers font
faciles à prévoir, & la conftitution doit les prévenir ;
elle prononcera donc que le nombre des troupes &
la folde de l'armée, ne pourront être changés que paf
des décrets du corps legiflatif.
Sr les miriiftres étoient les maîtres de compofer
l'armée' de troupes étrangères, d’hommes qui ne
feroient liés, ni par les intérêts, ni par les devoirs
qui attachent les François à leur patrie, la force
deftinée à la défenfe de l’état pourroit être facilement
tournée contre fa liberté. Il eft donc important
que ce moyen d’oppreffion ne foit pas en leur
pouvoir.
J’aurois voulu, Meffieurs, qu’il me fût poffible de
vous engager à confacrér en ce moment une grande
i . c’*ft qu’tme nation de vingt-fix millions
Z nm e s doit fe fuffire à elle-même, & n’ètre nas
réduite à appelle!- des étrangers pour la défendre. Je
mis Meffieurs, que l’établiflement de ce pnnctpe
intérelfe également & la liberté & l’honneur national
• mais j’avoue en même temps què les ctr-
conftances préfentes ne permettent pas d’en tirer
des conféquences rigoureufes, que 1 état aftuel de
l’Europe que la fermentation qui y régné, que les
événemens qui s’y préparent, que les impreffions
différentes qu’a produites , dans divers pays, notre
révolution, & les projets qui peuvent en etrela
fuite- qu’enfin le foin de l’avenir doit nous rendre
prudéns, & que ce ne feroit pas fans danger que
vous retrancheriez en ce moment la portion h conh-
dérable & fi effentielle que forment les troupes etran-
I ogres dans Y armée françoife, & qui iroit accroître
encore des forces ennemies. Divers moyens feront
propres à concilier l’intérêt général, avec les egards
que méritent des militaires diftingués par leurs talens
& les fervices fignalés qu’ils ont rendus. Je me bornerai
à propofer en ce moment, que la conftitution
prononce qu’aucunes troupes étrangères ne pourront
etre employées au fervice de la France fans le con-
fentement du corps legiflatif. . e v
Si les miniftres étoient les maîtres de diriger a
leur gré l’aéfion des forces militaires dans 1 intérieur
du royaume, il leur feroit facile, .en paroiflant agir
pour le maintien de l’ordre & la furete publique,
d’attenter à tous les droits des citoyens, & de préparer
la ruine delà liberté. /
Il eft donc important que le pouvoir conftituant
détermine avec le plus grand foin les regies auxquelles
fera affujetti l’emploi des forces militaires
dans l'iatérieur du royaume. Ces règles réfulteront
du rapport établi par la conftitution, entre la force
militaire & le pouvoir civil. Vous avez dej à ordonné,
Meffieurs, que les troupes preteroient ferment en
préfence des officiers municipaux, & qu’elles ne
pourroient agir que fur leur réquifition ; mais cette'
difpofition eft abfolument infuflifante : il faut encore
ftatuer fur leur, relation avec les milices nationales ;
car je me garderai de mettre en doute que vous ne
confacriez cette inftitution, qui a fi puiffamment
contribué à la conquête de notre liberté, & qui en
fera toujours le plus ferme appui. Et quoique ces
relations portent toutes fur ce grand principe, que
les troupes réglées font auxiliaires des milices nationales,
pour le maintien de l’ordre intérieur, & que
les milices nationales font auxiliaires des troupes
réglées' pour la défenfe extérieure, & qu’en conféquence
elles font alternativement fubordonnees les
unes aux autres, à raifon des fondions auxquelles
elles font employées, les ftatuts à faire à cet égard
ne bifferont pas que d’être difficiles & compliqués.
Les règles à établir pour les garnifons, & fur-tout
pour les places fortes, qui, pouvant toujours être
attaquées, doivent être confidérées comme étant
toujours en état de guerre, & où les chefs militaires
étant reform (a Kl rlr» Mut cp oui eft relatif a la
défenfe de la place, doivent difpofer de toutes les
forces qu’elle renfermé"; les mefures à prendre à cet
égard, Meffieurs, ne laifferont pas que de préfenter
d’affez grandes difficultés, & ont befoin d’être mûrement
examinées ; elles exigent particulièrement
un concours de connoiffances militaires & de principes
politiques elles ont befoin fur-tout d’être
calculées d’après les bafes qui auront dirigé la formation
des milices nationales. Les queftions relatives
à leur établiffement n’ayant pas encore été difeù-
tées, je ne me permettrai pas de vous foumettre
mes idées fur cet objet, penfant que le comité de
conftitution, réuni au comité militaire, devront être
invités à vous préfenter les leurs.
Si les miniftres étoient les maîtres de deftitwer
un militaire xle fon emploi, fans motif & fans formalité
, non-feulement ils deviendroient les arbitres
defpotiques de la deftinée d’une multitude de citoyens
, mais ils pourroient par la dépendance abfolue
dans laquelle ils les tiendroient, tourner four force
contre la conftitution ; & ainfi le fort de l’état, ou
au moins fa tranquillité, feroit inceffamment dans
leurs mains.
Il fart donc pourvoir à ce danger ; il faut que
l’état & l’honneur d’une claffe précieufe de citoyens
ne puiffent, quelque foit four grade, dépendre que
d’un jugement. Le foldat, comme fes chefs, a droit
d’attendre que fon honneur & fon exiftence ne feront
point compromis par une exclufion arbitraire. En
un mot, la forme des jugemens doit être auffi fim-
ple, auffi appropriée au maintien de la difeipline
.qu’il fera poffible ; mais il doit être prononcé confti-
tutionnellement qu’aucun militaire ne pourra être
cafle ni deftitué de fon êmploi, fans un jugement
préalable..
Vous avez décrété, Meffieurs, que le recrutement
de l'armée aélive fe feroit par le moyen d’engage-
mens volontaires ; vous avez penfé que la- confcrip-
tion militaire, pour cette première ligne de troupes,
n’étoit pas admiffible, & l’on ne peut difeonvenir
qu’elle préfentoit de grandes difficultés. Vous avez
penfé avec raifon , & d’après l’expérience, que les
engagemens volontaires, & fur-tout lorfque le fort
du foldat feroit amélioré, pourroient fuffire pour en
procurer le nombre fuffifant en temps de paix : mais
une autre grande difficulté fe préfente, & il faut la
réfoudre; c’eft de trouver le moyen de foutënir,
d’alimenter, d’augmenter même très-confidérable-
ment l'armée ordinairé dans les temps de guerre,
& de répondre à l’immenfe confommation d’hommes
qu’elle entraîne néceffairement. Je fais,«Meffieurs,
que la philofophie calcule avec peine ces grands
défaftres, ces fléaux deftruéteurs de l’efpèce humaine
; je fais auffi que l’heureufe révolution qui s’eft
opérée parmi nous ne s’arrêtera pas aux limites du
royaume, & que la liberté changera tôt ou tard
la face de l’univers. Mais jufqu’à cette époque defirée,
mais jufqu’au moment où toutes les nations de l’Europe
auront dit, d’une manière auffi énergique que
nous, qu’elles veulent être libres, & auront établi