
dictionnaire qu’il avoit fait fait lui feul , ce qui
occafionna entre l’académie & l’auteur un procès
fort divertiffant, où le public ne fut pas
pour elle. Il exifte un dictionnaire angloi^, le
meilleur de tous, c’eft le. travail du célébré
Johnfon, qui n’en a pas moins, publie , avant
:& après ce dictionnaire , quelques ouvrages efti-
més en Europe. Pîufieurs autres exemples, choi-
fis parmi nos littérateurs , montrent affez ce que
p eu t, en ce genre, le travail obftiné d’un feul
homme : Mor-eri, mort à 29 ans , après la première
édition du dictionnaire qui porte fon nom 5
ThomaS Corneille , épuifé de travaux, commençant
8c finiffant, dans fa vieillefle , deux grands
ouvrages de ce genre,-le dictionnaire des fcien-
ces 8c dès arts , en trois vol. in-folio, un dictionnaire
géographique, en trois autres vol. in-
folio j la Martinïère, auteur d’un dictionnaire
de géographie en dix vol. toujours in-folio ;
enfin Bayle , auteur d*jun dictionnaire en quatre
vol. in-folio , où fe trouvent cent articles pleins
de génie, luxe dont les in-folio font abfolument
difpenfés , & dont s’ eft préfervé fur-tout le dictionnaire
de Vacadémie.
. Et pourtant là fe bornent tous fes travaux.
Les ftatuts de ce corps , enrégiftrés au parle-
Jement, lui permettoient ( c’étoit prefque lui ;
commander ) de donner au public une grammaire :
.& une réthorique, voilà tout; car pour unelo- :
•gique, les parlemens ne l’euffent pas permis. Eh
bien l où font cette grammaire & cette réthorique?
Elles n’ont jamais paru. Cependant auprès
4 e la capitale , aux portes de Yacadémie, un
petit nombre de folkaires, MM. de Port-Royal,
indépendamment de la traduction de pîufieurs
.auteurs anciens, travail qui ne fort point du
département des mots 3 & qui par confequent
é toit permis à Y académie françoife, MM de Port-
Royal publièrent une grammaire.univerfelle rai-
fonnée ; la meilleure qui ait exifté pendant cent
ans; ils publièrent, non pas une réthorique ,
mais une logique ; car pour ceux-ci, le parlement
, un peu complice de leur jaofénifme , vouloir
bien leur permettre de raifonner, & l'art
de raifonner fut meme le titre qu ils donnèrent
à leur logique. Obfervons qu’ert même-tems ces
auteurs folitaires donnoient fous leur nom particulier
différens ouvrages qui ne font point en-
pore tombés dans l’oubli.
PafTons au fécond devoir académique, les
difeours de réception. Je ne vous préfenterai
pas. Meilleurs, le tableau d’ un ridicule ufé. Sur
ce p o in t, les amis , les ennemis de ce corps
parlent abfolument le même langage. Un homme
loué , en fa préfence, par un autre homme qu’il
vient de louer lui-même, en préfence du public
qui s’amufe de tous les deux, un éloge,
trivial de Y académie & de fes protecteurs v voila
te malhçuceux çasiie.vâs o ù , dans 'çes deniers
tems, quelques hommes célèbres , quelques littérateurs
diltingués ont femé des fleurs, éclofes
non de leur fuje t, mais, de leur talent. D’autres ,
ufant de la reffource de Simonide* & fe jet-
tant à c ô té , y ont joint quelquès differtations
de philofophie ou de littérature qui feroient
ailleurs mieux placées. Sans doute quelque main
amie des lettres, féparant & raflembiant ces
morceaux, prendra foin de les fouftraire à l’oubli
dans lequel le recueil académique va s’enfonçant
de tout le poids de fon immortalité'.
Nous avons vu des étrangers illuftres confondant,
ainfi que tant de françois, les ouvrages des académiciens
célèbres & les travaux de la corporation
appellée académie françoife , fe procurer
avec empreffement le recueil académique, feule
I propriété véritable de ce corps, outre fon dictionnaire
; 8c après avoir parcouru ce volumineux
verbiage , cédant à la colère qui fuit l’ef-
pérance trompée , rejetter avec mépris cette in-
iïpidë collection.
Ici fe préfente, Meflieurs., une objeCtiôn dont
on croira vous embarrafler. Cil vous dira que
ces hommes célèbres ont déclaré dans leur dif-
cours de réception qu’ ils ont defiré vivement
Y académie, 8c que ce prix glorieux étoit en fe-
cret l’ame de leurs travaux. Il eft vrai qu’ ils le
difent prefque tous ; & comment s’en difpenfe-
roient-ils, puifque Corneille & Racine l’ont dit?
Corneille qui ne connut d’abord Y académie que
par la critique qu’elle fit d’un de fes chefs-
d’oeuvre , Racine admis chez .elle en dépit d’elle,
, comme on fait. Qui ne voit d’ailleurs que cette
miférable formule eft une reffource contre la
pauvreté du fu je t, trop fouvenr contre la
nullité du prédéceffeur auquel on doit un tribut
d’ éloges ?
A l’égard de l’empreffement réel que de grands
hommes- ont quelquefois montré pour le fauteuil
académique , il faut favoir que l’opinion, qui
fous le defpotifme fe pervertit fi ' Facilement ,
avoit fait une forte de devoir aux gens d® lettres
un peu diftingués d’être admis dans ce corps;
& la mode, fouveraine abfolue chez une nation
fans principes , la mode, ajoutant fon preftige
aux illufions d’une vanité qu’elle aiguillonnoit
v encore , perpétuoit l’égarement de l’opinion publique.
Le gouvernement le fa voit, bien , & fa-
voit bien aufli l’ art de s’ en prévaloir. Avec quelle
adreffe habile, éclairé par TinftinCt des tyrans,
n’entretenoit-il pas. les préjugés qui, en fub;u-
guant les gens de lettres , les enchaînoit fous
fa main 1 Une abfurde prévention avoit réglé,
avoit établi que les places académiques donnoient
feules aux lettres ce qùé l'orgueil d’ alors appel-
Joit un état; 8c vous favez quelle terrible exif-
tence c’ étoit que celle d’un homme fans état $
autant valoit dire prefqu’un homme fans aveu ,
tant les idée« foetales étoient jtuftes & faine«.
Ajoutons qu’être un homme fans état^ expo foi t
il vous en fouvient, Meflieurs, à d’aflez grandes.
vexations. Il falloit donc tenir à des corps , ;à
des compagnies 5 car là où la fociété générale
ne vous protège point, il faut bien être protégé
par des fociétés partielles ; là où l’on n’ a pas de
concitoyens , il faut bien avoir des confrères ;
là où la force publique n’étoit fouvent qu’une
violence légale, il convenôit de fe mettre en
force pour la repouffer'. Quand les voyageurs redoutent
les grands chemins , ils fe réunifient
en car a vanne.
Tels étoient les principaux motifs qui faifoient
rechercher l’admiflion dans ces corps ; 8c le
gouvernement refufant quelquefois cet honneur
à des hommes célèbres dont les principes l’ in-
quiétoient, ces écrivains, aigris d’un refus qui
exagéroit un moment à leurs yeux l’importance^
du fauteuil / mettoient leur amour-propre à
triompher du gouvernement. On en a vu pîufieurs
exemples & voilà ce qui explique des contradictions
inexplicables pour quiconque n’en a pas
la clef. •
Qui jamais s’eft plus moqué , fur-tout s’eft
mieux moqué de Y académie françoife que le pré-
fident de Montefquieu dans fes lettres perfannes ?
E t cependant, révolté d.es difficultés que la cour
oppofoit à fa réception académique , pour des
ÇÎaifanteries fur des objets plus fèrieux , il fit
faire une édition tronquée de ces mêmes lettres,
où ces plai&nteries étoient fupprimées ; ainfi ,
pour pouvoir accufer fes ennemis d’être des calomniateurs
, il le devint lui-même , il commit
un faux ; il eft vrai qu’ en récompenfe il eut l’honneur
de s’affeoir dans cette académie, à laquelle
il avoit infulté; 8c le fouvenir de fes railleries,
approuvées de fes confrères comme du*public,
n’empêcha pas que dans fa harangue de compliment
le récipiendaire n’attribuât tous fes travaux
à la fublime ambition d’être membre de
Y académie.
On voit par les lettres de V o ltaire , publiées
depuis fa mort, le mépris dont il étoit pénétré
P?ur, cettê inftitution ; mais il n’en fy t pas moins
force de fubir le joug d’une opinion dépravée,
& de folliciter pîufieurs années ce fauteuil, qui
lui fut refufé plus d’une fois par le gouvernement.
C ’eft un des moyens dont fe fervoit la co«*: pour
reprimer l’effor du génie, & pour lui couper les
ailes, fuivant i’expreflion de ce même Voltaire
qui reprochoit à d’Alembert de fe les être laiffé
arracher. De-là vint que tous ceux qui depuis
voulurent garder leurs aîles, 8c à qui leur'caractère,
leur fortune, leur pofition permit de
prendre un parti courageux , renoncèrent aux
prétentions académiques 5. & ce font ceux qui
©nt le plus préparé la révolution en prononçant ■
nettement ce qu’on ne dit qu’ à moitié dans les
académies ! tels font Helvétius, R’ouffeaii, Diderot
, Mably, Raynal, & quelques autres. Tous •
ont montré hardiment leur mépris pour ce c o rp s ,:
qui n’a point fait grands ceux qui honorent fa
lifte, mais qui les a reçus grands, & .les.a rape-
tiffés quelquefois.
Qu’on ne vous oppofe donc plus comme un
objet d’émulation pour les gens de lettres le defir
d’etre admis dans ce corps, dont lés membres
les plus célèbres fe font toujours moqués ; &
croyez ce qu’ ils en ont dit dans tous les tems, 1
hors le jour de leur réception.
Nous arrivons à la troifîème fon&ion acadé- :
mique, les complimens aux rois, reines, princes ,
princeffes, aux cardinaux, quand ils font mi-
niftres, & c . Vous v o y e z , Meflieurs, par ce feul
énoncé, que cette partie des devoirs académiques •
eft diminuée confidérablement. Vos décrets ne
laiffant plus en France qu’ un roi & des citoyens,
Y académie ,. fi. elle fubfiftoit, ne pourroit plus haranguer
que nos rois ; & même a cet égard vous .
avez’de beaucoup affoibli les reffources laudatives
de la rhétorique académicienne. Vous paroiffez
convaincus que les rois n’ont plus befoin de
complimens, il ne leur faut que des vérités.
Quatrième & dernière fonction de Y académie :
la diftribution des prix d’éloquence , de poéfie ;
Sc de quelques autres fondés dans ces derniers
tems.
Cette fon&ion, au premier coup d’oe i l, paroît
plus intéreffante que celle des complimens , 8c
au fond elle ne l’ eft guère davantage. Cependant
, comme il eft des hommes ou malveillans
ou peu éclairés, qui nous fuppoferoient ennemis
de la poéfie , de l’ éloquence , de là littérature ,
fi nous fupprimions ces p r ix , ainfi que ceux d’encouragement
& d’utilité, nous vous propoferons
un moyen facile d’aflurer cette diftribution. On
ne prétendra pas fans doute qu’ une falie du Louvre
foit la feule enceinte où l’on pu'ffe réciter des
vers bons, médiocres ou mauvais. On ne prétendra
pas que , pour cette fonôtion feule , il faille ,
contre vos principes, foutenir un établiffement
public , quelque peu coûteux qu’il puiffe être ;
car nous rendons, cette juftice à Y académie françoife
, qu’elle entre pour très-peu dans le déficit,
& qu’elle eft la moins difpendieufe de toutes les
inutilités.
Puifque perfonne ne fe permettra donc les
objections abfurdes que leur feul énoncé réfute
fuffifamment , nous ayons d’ avance répondu i
ceux qui croient ou feignent de croire que le
maintien de ces prix importe à l’encouragement
de la poéfie & de l’éloquence. Mais qui ne fait
ce qu’on doit penfer de l’éloquence académique ?
& puifqu’elle étoit mife à fa place, même fous
le defpotifme, que paroîtra-t-e'le bientôt auprès
dô l’éloquence vivante 8c animé© .dont vous avez