
ce tabac dans un attelier, où beaucoup de femmes
& d’enfans font employés à ôter des feuille
s côtes fervent à faire lé tabac des trou-
pe.->, & les ;fenilles font portées auffitôt dans
l’atelier des fileurs, qu’on appelle auffi torqueurs :
la” fond-on de'ces-ouvriers eft de filer le tabac
en manière de groffè corde.
Leur atelier eft garni de deux rangées de-
tables d'environ trois pieds & demi de long
fur deux & demi de - large ; elles ont chacune
à une de leurs extrémités uns efpèce de rouet
garni d’une Bobine : des enfans & des femmes
font auprès de ces tablés ; leur occupation eft
de fèparer les feuilles les plus larges d’avec
celles qui font étroites. Ces dernières font dif-
pofées par petites poignées , telles que l’exige la
groffeur de k corde que. le torqueur file', &
pour cet effet elles font placées à fa portée.
Les feuilles les plus larges fonr étendues &
placées auffi dans, le voifinage du torqueur, qui.
les prend pour en former le deffus de la corde
à mefure qu’elle fe fabrique : lorfque le torqüeuJ
commence la corde, un enfant eft occupé à
tourner le rouet, & à l’arrêter lorfqu’il eft nè-
ceftaire d’entortiller la corde autour de la bobine.
Ces cordes font plus ou moins groftes
iclon l’ufage auquel on deftine le tabac.
L'habileté du torqueur corififte à faire la
corde d’une 'égale groffeur , & à l’entortiller
bien ferré & bien également autour de la bobine,
à mefure qu’elle eft filée;
Lorfque ces bobines font fuffifamment remplies,
on les ôte . du rouet pour en fubftituer
d autres , & on les ' porte dans un autre atelier
où elles-font dévidées pour former de gros
rouleaux que l’on a foin de ferrer fortement.
Ces rouleaux font enveloppés de papier, & en-
fijite dépofés pendant fix mois, & quelquefois
plus , dans de grands magafins.
C ’eft au bout de ce temps que l’on donne
au tabac fa dernière préparation : pour cela on
coupe ces- cordes en plufieurs parties d’égale
longueur ; puis. on en met quatre , fix ou
huit enfemble, les ayant préalablement frottées
avec un peu d’huile .à la furface : dlors on les
arrange dans les moules, qjii font des pièces
de bois demi-cylindriques', creufées en goût-1
tière, dont les côtés font garnis de feuillures
profondes ; ces feuillures fervent à recevoir les
bords d’une autre gouttière auffi demi-cylindri- .
que, que Ton'enfonce à coups de mailler dans
les feuillures de la première. Les .baxïtl de tabac
fe trouvent par là très-fortement compri-
més ; leur enfemble’ prend ürie formé cylindrique
, telle qu’eft celle de l’intérieur des mour
les.
Ces moules ainfi garnis de tabac, font enfuite
mis à la preffe pendant quarante-huit heures.
Ces preffes font très-belles & très-fortes ; la
vis eft. en fer & l’écrou en cuivre : quoiqu’elles^
foient grandes , elles font fi bien exécutées,
qu’un feitl homme, au moyen de l’extrémité
d’un levier de fer qu’il, introduit dans des trous
pratiqués à la tête de la v is , comprime à la
fois foixante-douzè moules de tabac à fix bouts ,
ou foixante-fix de tabac à huit bouts.
Voici comment ils font difpofés : on en met
douze ( ou onze feulement fi c’eft du tabac à
huit bouts ) fur une table fixe qui fait partie
de la preffe, &L par-deffus on place une table
mobile, fur laquelle on met le même nombre
de bouts de tabac, mais dans un fens contraire
à celui des premiers.
On place une troifième table fur cette fécondé
rangée , & on y forme un troifième lit
des bouts de tabac difpofés dans le même fens
que ceux de la première rangée , & ainfi de
Luite jufqu’à cé que- les fix tables foient garnies.
Lorfque le tabac a été ainfi comprimé pendant
quarante-huit heures , on le retire des
moules, & on * le porte dans un autre atelier ,
où il eft ficelé , cacheté & étiqueté.
Le tabac en corde', deftiné pour les fumeurs
& pour ceux qui le mâchent, n’a pas befoin
de. ces dernières préparations'; il fuffit feulement
de le filer en corde.
On voit par les préparations que l’on fait
fubir au tabac, que l’on peut le regarder comme
'une.matière végétale.- à demi-pourrie.
Le tabac de la Virginie,, lorfqu’il arrive dans
nos manufactures, paroît n’avoir é té . que def-
féché ; ce dont on peut juger par la couleur
jaunâtre des feuilles, & par le peu d’odeur qu’elles
lai fient exhaler.
Il n’en eft pas de même de celui.de Hollande;
fa couleur eft- brune, & fon odeur eft
plus forte , ce qui prouve qu’il a déjà fubi la
fermentation'.
Les apprêts que l’on fait à. ces fortes de tabacs
avant qûe de les mettre en.corde, amol-
luTent non-feulêment les feuilles , mais ils en
développent auffi les principes.
L’eau de mer eft fur - tout très-propre à cela ,
à caufe du fel marin à bafe terreufe qu’elle
contient'; ce fel. ayant la "propriété d’attirer
l’humidité de l’air, il entretient toujours'humectées
les feuilles de tabac qui en ont été afper-
gées : d’ailtenrs les fels difibus dansj l’eau ayant
la propriété de développer la matière extrâéli'vc
des plantes , il fuit de là que la fermentation
doit s’esciter dès que l’on met les feuilles de.
tabac en tas.
Le firop de fucre étant lui-même très-fufeepti-
ble de fermentation, il ne concourt pas peu à
déterminer encore celle qui s’excite dans ces
amas de feuilles.
Comme cette fermentation ne dure pas allez
pour paffer à la fermentation acide, il en ré-
fuite une odeur qui rient' un peu de la nature
de relie qu’ont les fubftances fpintueufes.
Ce montant feroit beaucoup plus agréable , fi,
au lieu de fe fervir des firops épuifes de fucre
, on empioyoit du fucre brut diflbus dans
l’eau.
C’eft avec ce fucre brut difibus dans l’eau ,
que l’on prépare le tabac de la Martinique ,
connu fous le nom de Macouba.. C’ eft pour
cela que le montant agréable qu’on lui connoit,
approche de l’odeur de la violette.
Tout le monde fait que la C3ffonade &
le fucre brut ont le goût &. l’odeur de la violette ;
il n’eft donc pas étonnant que le tabac. con-
tra&e cette odeur. lorfqu’il eft préparé avec ces
matières,
Ce nVft pas que le firop brûlé & épuifé Je
fucre, que l’on tire de nos raffineries pour préparer
le tabac dans nos manufaéfares, ne puifie
exciter trèsrpuiflamment la fermentation ; il ne
le fait au contraire que trop promptement &
trop vivement, parce qu’il n’eft pour ainfi dire
que la matière extraâive du fucre * & que
cette matière eft toujours très-difpofée'à la fermentation
; mais le montant fpirituçux que ce
firop donne, n’eft pas à beaucoup près auffi agréable
que l’eft celui que. produit le fucre brut ou
la caffnnade commune.
Lorfque après avoir fait fermenter pendant trois
ou quatre jours les feuilles de tabac dans nos
manufa&ures, on le file en corde', il n’a pas
encore acquis toutes fes propriétés , parce que
la fermentation n’eft tout au plus qu’au quart
de ce qu’elle doit être par la fuite.
On a dit plus haut qu’on le meftoit en rouleau
, qu’on l’enveloppoit de papier, & qu’on
le laifîbit fix ou huit mois dans des magafins ,
d’où on ne le tiroit que pour le fabriquer dans
les moules.
C ’eft dans- ces magafins qu’il achève de fe
perfectionner .; la fermentation douce qu.fil y
fubit le conduit peu-à-péu à un état voifin Me
la. pourriture^ fins pour cela lui communiquer
lés qualités “que donne la fermentation utride ,
parce qûe les progrès en ont été très-ienrs.
Loriqu’on vient à le jj? comprimer dans ces
moules., on en rapproche tellement les parties ,
que la fermentation eft, pour ainfi dire, interrompue
; c’eft pourquoi il fe conferve fi longtemps
dans cet état, fans avoir pour ainfi dire
de montant : mais dès qu’on vient à le mettre
en poudre , & qu’il, prend en même temps un
peu d’humidité , il fubit une nouvelle fermentation,
& il reprend du' montant.
Le tabac en poudre que. l’on conferve dans
des bouteilles, donne tous les jours des preuves
de ce que nous avançons.
Les tabacs à fumer ne f e . eonfervent pas fi
long-temps humides que celui à râper , pour
les raifons qu’on vient, de dire.
Il y a lieu de préfumer que l’on n’a pas
encore eflayé d’amener ainfi à une forte de
demi-putréfaéHon, un. grand nombre de plantes.
Il feroit à fouhaiter que quelqu’ un s’occupât
de ce travail; on parviendroit peut-être à nous
procurer des poudres fternutatoires plus agréables,
& dont l’ufage feroit moins dangereux
que ne T’eft celui du tabac : on pourroit parvenir
auffi par ce moyen à découvrir daas~
beaucoup de plantes des propriétés médicinales
que nous ignorons, & peut-être que quelques-
unes de ccs plantes produiroient des teintures
précieufes & d’autres chofes néceffaires aux
arts.
Nous ne nous étendrons pas fur les bonnes
ni fur les mauvaises qualités du tabac : il nous
fuffir de dire qu’il agit fi puiflamment fur les
nerfs des perfonnes qui ne font point accoutumées
à fon ufage , qu’il leur produit pendant
quelques minutes tous les fymptômes de l’i-
vreffe ; auffi l’ufage en a-t-il été proferit dans
les commencements chez plufieurs nations.
Amurat I V , empereur des Turcs, le grand
. duc de Mofçovie, & le ..roi de Perfe , défendirent
l’ufage du tabac à leurs fujets , fous
peine de la vie , ou d’avoir le nez coupé ;
& le pape Urbain VIII excommunia ceux qui
en feroier.t ufage dans les églifes.
Jacques Stuart , roi d’Angleterre , a fait un
traité contre lès mauvais effets du tabac, ainfi
que S mon Paulli, premier médecin du roi de
Danemarck, & beaucoup d’autres.
M, Façon, premier médecin du ro i, n’ayant
pu* fe • trouver à une thèfe de médecine
comre't le tàbac , à laquelle il devoit préfi-
dèr ., on remarqua que le doéreur chargé de
préfider en fa place, ne laiffoît pas d’en faire
un fréquent ulage , tandis qu’il déclamait le
plus fortement contre les effets de cette poudre,
dont il eft en effet très - difficile & quelque