V E R R E .
( Art du )
L e verre eft fi connu par l’ufage prefqu’indif-
penfable que l’on en fait, qu’il feroit inutile d’en donner
une définition, fi. l’on ne vôuloit fe foumettre
à une parfaite exaâitude. C ’eft une matière produite
par l’art du mélange de diverfes fubftances
mifes en fufion par l’aélion du feu. Le verre eft dur,
elaftique, fragile, franfparent, liffe, incorruptible &
inattaquable parprefque toutes les fubftances connue*
( i ) : le feu dontl’aâion l’a produit a feul le pouvoir
, non d’altérer fa nature, mais de le liquéfier
de nouveau, de changer fa forme, comme il a eu
celui de le préparer par la fufion des fables ou terres
vitrifiables combinés avec les fondans, foit métalliques
, foit falins. Ce neft pas que certains verres
ne foient quelquefois attaqués par les acides
portes à un certain point de concentration, mais
î-S ne doivent cette mauvaife qualité , qu’à une
dofefurabondantedes fondans qui font entrés dans
leur compofirion : les verres bien compofées ne
font pas attaqués par les acides. Cette double cir-
confiance fuiiic pour jufiificr notre définition.
Pline rapporte l’origine du verre en ces mots,
( fib* 36, §. 65 ). Fuma efl, appulfâ nave rnercatorum
nitri y cum fpurfi per littus epulas paravent, nec effet
cortinis attollendis lapïdum occafio, glebas nltri è nave
fubdidiffe, q-.iibus acccnfis peimixtd arenâ Littoris,
tranfluc entes novï liquorisfiuxiffe rivas, & hanefuiffe
ofigïnem vitri; Nous obferverons d’abord que notre
auteur ne donne pas une femblable origine, comme
un fait confia té par des monumens, par des
écrits, ou par une tradition confiante, & incon-
teftable : la manière dont il s’exprime nous lai fie
au contraire toute liberté de douter d’un pareil
fait, & l’on fera d’autant plus fondé à le regarder
comme une fable, fi l’on confidère que l’opération
chimique exécutée dans cette prétendue cir-
confiance par le hafard, & à feu nud, deihande
de nos jours, malgré les reffources d’ùn art perfectionne
, un feu de réverbère très-violent. Nous
aurons cependant lieu de nous étonner qu’un texte
aufli clair que celui déjà cité ait pû fournir des
interprétations auffi diverfes. Des marchands, faisant
cuire leurs alimens fur les bords du Belus,
( 0 II n’a jusqu'ici été attaqué et dissous que par Kacide
fluorique. .
dit Nery ( Art de la verrerie) , d’après l’autorité
dePiine, il fe trouva en cet endroit beaucoup de
kali ou de rochetre, dont les cendres mêlées au
fable du rivage firent le premier yerrèqui ait exif-
té. Pline place effeâivem ut le iieu de la découverte
fur le bord du Belus, mais félon fon expo-
f é , le nitre fut le fondant dont laadition aida à
liquéfier le fable, & rien ne peut faire foupçonner
que ce fu fient les cendres de kali, ou de rocher te. M.
le chevalier de Jaucourt auteur de' l’article verre
dans l’encyclopédie in-folio, fait prendre aux marchands
cités par Piine, pour élever les vàiffeaux
néceffaires à la préparation de leurs alimens, des
mottes de natron mêlées de fable trouvées fur le
rivage. On ptéfume à la vérité que le natron eft
le nitre des anciens , mais ce n’eft pas chofe prouvée.
Nous nous aiderons avec empreffement du travail
eftimàblè de M. de Jaucourt, & nous aurons
foin dè marquer par des guillemets tout ce
que nous emprunterons.
Quelle que feit l’origine du verre, on ne peut
douter de fon antiquité. Si le mot vitrum traduit
ordinairement par verre n’a pas eu en latin d’autre
fignification, on le trouve employé par les bons
auteurs ainfi que fes dérivés. Horace ( Ode 2 ad
Antomum Juhum , lib. 4 carmlnum ) fe fert de l’ex-
preffioii vltreoporità, & il femble défigner, non-
feulement la tranfparencè des flots, mais encore
la couleur de la mer affés femblable à celle du
verre , dont la: couleur eft toujours verte , lorfque
l’art ne lui donne pas une autre nuance. Le même
poète donne l’épithète de vïtrea k: une réputation
fragile, vïtrea fama : Ovide dit aufli vïtrea unda.
” ^ofephe (liv . 2,.c. 9 de la guerre des Juifs.)
” raconte des^ choies merveilleufes du fable de ce
» fleuve Belus dont parle Pline, dans le §-. déjà
» cité. Il dit que dans le voifinage de cette rivière,
» il fe trouve une efpèce de vallée de figure ron-
» de, d où 1 on tire du fable qui eft inépuifable
» pour faire du verre , & que fi Ton met du métal
» dans cet endroit, le métal fe ch-.nge fur le champ
» en verre. Tacite-, liv. 5 de fes hilioires, raconte
» la chofe d unejnaniers plus fimple, moins furnatu-
» relie ; par confèquent plus fenfée & plus raifon-
» nable. Le Belus, dit-il, fe jette clans la mer de
» Judée : l’on fe fert du fable qui fe trouve à fon
,1 embouchure pour fa ire du verre, parce qu’il
„ eft mêlé de nitre & l’endroit d’où on le tire,
„ quoique petit, en fournit toujours. » C’eft ainfi
que M. le chevaiLr de Jaucourt. traduit le paffage
de Tacite ; en rapprochant le texte original , il
femblerott que l’hiftorien nous indique le procédé
employé de fon temps, pour faire du verre ; par
le mélange du nitre qui fans doute é;oit alors le
fondant préféré. » Et B dus antnis judaïcomariilla-
« bitur : circà cujus os congefioe arenoe, admixto nitro,
„ 'm vitrum excoquuntur, modicum id littus , fed ege-
n rentïbus inexhauflum. » L’expveffion admixto nitro
indique-t-elleab fol u ment un mélange naturel? ou
ne défigneroit-elle pas plutôt le procédé de l’ar-
tifte, & ne pourroit-on pas la traduire par, après
quon y a tnèlt du, nitre ?
» Quelques auteurs prétendent qu’il eft parlé du
» verre dans le livre de Job, chapitre 28, verfet
« 17 , où la fageffe eft comparée aux chofes les
n plus précieufes , & où il eft dit félon la vulgate,
» for & le verre ne l'égal, nt pas en valeur, mais
» c’eft S. Jerome qui a le premier jugé à propos
» de traduire par vitrum , verre, le mot de l’ori-
» ginal qui veut dire feulement tout ce qui eft beau
» & tranfparenr. Piufieurs verfions ont traduit ce
» terme par diamant, d’autres par berille , d’autres
» par hiacinthe, d’autres par enflai : chacun a ima-
» giné ce qu’il connoiffoir de plus beau dans la na-
» ture , pour le joindre à l’or ; mais comme il n’eft
« point parlé de verre dans aucun autre endroit
»> de l’ancien teftament, tandis qu’il en eft foüvent
» parlé dans le nouveau, comme dans les épitres
» de S. Paul, de S. Jacques , & dans l’apocalipfe :
» il eft vraifemblable que les anciens écrivains
» facrés ne connoiffoient point cette matière, qui
» leur eût fourni tant de comparaifons & d’ailé—
» gorie^.
» Selon-d’autres favans, Ariftophane a fait men-
» tion du verre par le mot grec Y'uXos q.u’on trouve,
» afte 1 -, fcène-1 de -fes nuées. Il introduit fur la
» fcène Sthrepfiade , qui fe moque de Socrate , &
>» enftigne une méthode nouvelle de payer de
» vieilhs dettes c’eft de mettre entre le foleil &
». -lé billet de créance une belle pierre tranfparen-
» te que vendoient les droguiftes, & d’effacer par
» ce moyen les lettres du billet. Le poète appelle
» cette prierre Y ’«À«?, que nous avons traduit par le
» mot verre, mais ce mot^ ne fe trouve point pris
» dans ce le ns par He-’y chias. On eniendoit jadis
” par ce terme ie criflal, & c’eft en ce fens que
” le fcholiafte d’Atifiophane le prenoit : le même
» mot défignoit auffi une efpèce d’ambre jVane
» & tranfparent.
» Ariftote propofe deux problèmes à réfoudre
» furie verre. Dans le premier, il demande qmeüe
» c-ft la caufe de la tranfparence du verre, &
» dans le deuxième, pourquoi on ne peut pas le
» plier. Ces deux problèmes d’Ariftote, s’ils font
n de lu i, feroient les monumens les plus anciens
» de l’exiftence du verre ; car , fi cette fubftance
» eût été connue avant le temps d’Ariftote elle
» eut donné trop de matière à l’imagination des
» poètes 611 orateurs grecs, pour qu’ils euffent
» négligé d’en faire ufage. Lucrèce parle aufli du
» verre. Il dit ( liv. 4 vers 602).
N f l relia foramina traitant,
Quaka funt vitri.
» Et liv. IV , vers 98.
Atque aliud per ligna, aliud travfire per aurum ,
Argentoque foras, aliud vitroque meure.
* Tous les témoignages que nous venons de pré-
fenter, & qui étab.iiïent l’antiquité de la connoif-
Tance du verre, font partie de l ’article dé M. le
chevalier de Jaucourt, qui les a lui-même pris,
ainfi que plufieurs^utres paftages qui fe trouveront
ci-apiès dans la préface que le dofteur Mer-
ret a mile à la tête de fa traduction de Nery (art
de la verrerie, de Nery, Merret, &Kunchel).
Merret regarde la manière de travailler le verre,
comme une invention des modernes : s’il faut en
croire Pline, il exiftoit à Sidon des établifiemens ,
où l’on fabriquoit le verre avec une certaine per-
feélion , & où L’on connoiffoit plus d’un moyen
d’en varier l’ufage. Et aliud ( vitrum ) flatu figura-
fur, ( Ib, 36 § . 66 t aliud torno teritur , aliud ,
argenti 'modo , ccelatur, Sidone quondàm Us ojjicinis
nolili, f i quïdem etiani fpecula excorieaverat. On
foufftoit le vetre , on le travailloit au tour , on le
gravoit , on avoit même imaginé à Sidon d’en faire
des miroirs, de forte qu’on en faifoit à peu-pies
tout ce qu’on en fait aujourd hui , peut-être avec
moins de perfeélion ; mais enfin les principaux procédés
étoient connus du temps de Pline, & comme
ils n’ont pû être imaginés que fucceffivement, on
peut conclure, ce me femble, que le travail même
du verre monte à une plus haute antiquité
que ne le penfe le doâreur Mener. M. Dantic
n’admet pas que les« anciens aient connu les miroirs
de verre d’aucune efpèce, & il foupçonre
( r. 1 p. 15 5 ) que dans le paffage de -Pline cité
ci-defius fpe.u’a eft mis pour fpecularia, ce qui
alors défigneroit des morceaux de verre imitant
les pierres fpéculaires, qu’on employoit pour v itres.
Le commencement dn §. 67 du même livre
de Pline fembleroit prouver que les anciens con-
noiffoient les miroirs, qu’ ils en faifoient avec une
pierre tranfparente d’Ethiopie, & alors plus de
difficulté qu’ils ne fufient parvenus à les imirer en
verre , & à en fabriquer de plus parfairs. » In ge-
» nere vitri, & objidïana. miniera;itur adjirndltudïnem