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rouleau des deux mains, pour l’agiter dans tous
les fens. Quinze à vingt minutes après, on verfe
cette bouillie fur une table couverte d’une nappe ,
autour de laquelle la famille fe raflemble pour
manger de la polenta.
Cette manière Ample de préparer la polenta , eft
celle du peuple. On en confomme beaucoup en
Italie : on la voit étalée dans les boutiques fur des
tables , & on la vend au peuple par morceaux
d’environ une livre.
Parmi les perfonnes aifées qui fe nourriflent de
la polenta, les Bergamafques panent pour en être
les plus grands amateurs. Ils s’en fervent ordinairement
en guife de pain, en mangeant des petits
oifeaux & d’autres mets ignorés de la claffe indigente.
La polenta des riches exige beaucoup plus d’apprêts.
Lorfque Ja bouillie eft faite, on la coupe
encore par tranches très-minces , de l’épaiffeur de
deux lignes : on les étend dans une cafferolle, en
mettant du beurre & du fromage de Parmefan à
chaque couche, & par-deflus du poivre, du gé-
roflë & de la canelle en poudre. Les Milanois font
très-friands de ce mets, auquel ils ajoutent, fuivant
les faifons & les circonftances, des foies gras, dés
crêtes de coq , des jus de viandes , des truffes
noires , tout ce qu’ils imaginent , en un mot,
d’agréable & de recherché.
De la Millajfe ou Cruckade•
Quoique, dans nos provinces méridionales, on
faffe ufage du maïs fous forme de pain, on n’en
prépare pas moins une bouillie, connue fous le
nom de millajfe ou cruchade, & qui conftitue une
partie de la nourriture des habitans de la campagne.
Ils y font entrer, tantôt du lait ou du beurre, &
tantôt de la graiffe d’oie ou de cochon.
Préparation de la Millajfe ou Cruchade.
La préparation de cette bouillie fe fait à peu près
de la même manière que la polenta, avec cette
différence qu’elle paroît avoir un peu moins d’épaif-
feur, qu’on peut par conféquent la fervir dans des
afliettes, & la manger à la cuiller ; & c’eft ce qui
fe pratique ordinairement.
On verfe la millaffe ou cruchade qu’on a intention
de garder , dans des corbeilles garnies de
linges, après y avoir préalablement répandu un
peu de farine pour empêcher qu’elle ne s’y attache.
Le lendemain on coupe cette pâte par tranches,
plus ou moins épaiffes. Elle reffemble à la mie de
pain nouvellement fait & peu cuit. On les mange
ainfi, ou bien on les fait chauffer fur un gril ; ce
qui donne à ces tranches une efpèce de croûte &
par conféquent plus de faveur. Les millaffes dans
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j lefqueîtes il entre du lait ^ fe confervent moins
long-temps que celles à la graifle. Ces dernières
durent cinq à fix jours.
Il eft inutile de dire ici que les gens riches ont
trouvé aufli le moyen de faire , avec la millaffe
des mets de.fantaifie, & en divifant les tranches
par petits morceaux quarrés , & en les faifant
réchauffer dans une friture de beurre ou de graiffe
& les faupoudrant avec du lucre.
Des Gaudes•
C’eft ainft que les Bourguignons, les Comtois
& leurs voifins appellent la bouillie qu’ils préparent
avec le maïs. Mais ce grain a toujours paffé
au four avant d’être converti en farine ; ils nom-0
ment même cette farine les gaudes, pour la diftin-
_guer de celle qu’ils emploient au pétrin , laquelle
n’a point éprouvé d e . déification préalable.
On mange les gaudes fur des afliettes ou dans
la chaudière, comme le riz ou l’orge en gruau.
C ’eft la fubfiftance principale de tous les gens de
la campagne pendant l’h iver, & le premier repas
des batteurs en grange & des domeftiques.
Les gaudes font en fi grand honneur parmi cette
claffe d’hommes, qu’une de leurs conditions, avant
de s’arrêter au fervice , "c’eft qu’on leur donnera
des gaudes ; ■ & ce feroit pour eux un malheur réel
que d’en être privés. Ils préfèrent ce déjeûner à
tout autre ; il les foutientune partie de la journée,
& ils le répètent le lendemain avec la même fen-
fùalité. Les enfans mangent les Gaudes, chaudes
ou froides, toute la journée.
Préparation des Gaudes.
Mettez dans une chaudière, un tiers de pinte;
mefure de Bourgogne ,'de farine de maïs, cuite
au four : verfez-y peu à peu fix rez de la it, c’èft-
à-dire, une pinte 8c demie, mefure de vin de
Bourgogne ; ajoutez-y une once "de fel commun,
faites bouillir le tout légèrement pendant une demi-
heûre, 8z les gaudes feront cuites. On ajoute quelquefois
du beurre.
La pinte de Bourgogne tient environ trois livres
deux onces d’eau ; celle des grains eft de la même
continence. La pinte de i^t eft double de capacité,
& le rez. eft la dixième partie de cette pinte..
Mais ce n’efî pas toujours de cette manière
qu’on prépare les gaudes : fouvent les pauvres
gens, en Bourgogne, n’ont pas le moyen de fe
procurer du lait, ni même du fel ,' cet affaifonne-
ment eflentiel que la nature prodigue à l’homme,
& qu’on lui vendoit fi cher. Ils font donc réduits à
faire leurs gaudes à l’eau , avec une farine où tout
fe trouve confondu; ce qui produit une nourriture
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infipide & groflière ; mais enfin elle foutient ces
malheureux dans les travaux pénibles auxquels ils
font condamnés.
On prépare d’excellentes gaudes avec deux cinquièmes
d’eau & trois cinquièmes de lait. Il faut
que la farine foit bien démêlée & parfaitement cuite.
On doit prendre garde fur-tout à trop pouffer le
feu, & à n’ajouter le fel que vers la fin de fa
cuiffon ; fans quoi on courroit le jrifque de faire
contra&er aux gaudes, d e l ’âcreté & un goût de
brûlé.
Les gaudes font devenues également un mets de-
fantaifie ; & il n’y a point de petites maîtreffes qui
n’échangent quelquefois leur café à la crème contre
la bouillie de maïs. Les gaudes paroiflènt fur les
meilleures tables, & depuis la femme du plus grand
ton jufqu’à la ménagère la plus obfcure, toutes
mangent des gaudes ; les unes, il eft vrai, avec
un apprêt que la fortune des autres ne leur permet
en aucun temps.
Le lait d’amande , l’eau; de fleur d’orange, les
écorces de citron i rien n’a été oublié pour augmenter
la délicateffe des gaudes y mais le peuple
ne s’alimente, ni debifcuits ni de crème. Jamais
les repas fomptueux des riches ne gagneront à mes
travaux. Affez d’autres, fans moi, traiteront ces
objets ; & quoique ce foit toujours la perfèâion
des ali mens qui fixe mes recherches , 'je m’attache
à ne confidérer que ceux auxquels les moyens du
pauvre lui permettent d’atteindre.
Gaudes à la Courge. .
On peut mêler de la citrouille ou de la courge
aux gaudes : il fùfflt de la faire cuire dans 1 eau a
part ; & après l’avoir coupée par petits morceaux,
on l’écrafe avec une cuiller à pot : on la mélange,
en même temps que la farine, avec le lait ou l’eau
qu’on a employée.
Gaudes à la Pomme de terre. .
Comme le fruit de la famille des courges ne dure
point pendant tout F hiver, on pourroit y fubftituer
avec avantage les pommes de terre. Il fufiiroit de
cuire ces racines, de les peler, de les écrafer &
de les ajouter comme des courges. Les gaudes ne
feroient pas moins falutaires & nourriffantes , fur-
tout fi elles étoient affaifonnées convenablement.
ObjeElions contre l*ufage de la bouillie de Mais.
On prétend que la bouillie de maïs pèfe fur l’ ef-
tomac de ceux qui s’en alimentent, à caufe de la
furabondance du mucilage qu’elle renferme ; que
d’ailleurs elle n’eft point aufli fubftarttielle que celle
des autres farineux, & que quand on fe nourrit de
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cet aliment, on a un befoin plus preffant de boire
du v in , que quand on vit de froment.
Réponfe.
C ’eft fans doute d’après l’état groflier où paroît
fe trouver la bouillie de maïs lorfqu’elle a trop
de confiftance , qu’on en a conclu qu’elle étoit
pefante & indigefte. Le moyen de la rendre plus
légère, c’eft de délayer la farine dans une plus
grande quantité de véhicule, de la tenir plus longtemps
fur le feu ; qu’on la compare enfuite , dans
cet état de molleffe , avec celle qui réfulte du
froment, & l’oa jugera bien vite que c’eft celle
du maïs qui eft la moins tenace & la moins vif*
queufe.
A qui pourroit-on perfuader que cette nourrir
ture n’eft point fubftantielle, lorfque l’on fait que
les habitants des montagnes , dans le Milanois ;
les charbonniers, les fcieurs de long , qui en font
la bafe de leur fubfiftance, font les hommes les
plus vigoureux 8c les plus robuftes rie l’Italie ?
Nous voyons les Comtois fe livrer aux travaux
les plus pénibles, partir pour les champs, l’efto- ’
mac rempli de gaudes , & en revenir fans être
vivement follieités par la faim. Enfin, on a expérimenté
qu’une bouillie compofée de quarante-
huit livres de farine de maïs, cent foixante-huit
livres d’eau 8c deux livres de fel , a nourri &
raflâfié cent dix perfonnes à Perpignan. Cette bouillie
a été diftribuée en deux repas.
Quant au vin , devenu, dit-on, néceffaire pour
ceux qui vivent de bouillie de maïs, dans la Lombardie
& ailleurs, nous obferverons que les Comtois
8l les Bourguignons , qui recueillent dans
leurs provinces d’excellent vin , ne boivent que
de la piquette, qui éteint aifément la foif que
peut-donner la nourriture de maïs. Cette prétendue
nécelfité du vin 'avec le maïs ne feroit-elle
pas due, comme l’a obferve M. Adamoli , a ce
que les habitans faifant une épargne fur l’aliment
principal, ils ont la faculté de fe procurer cette
boîffon , & l’habitude leur a fait croire qu’il falloit
plutôt en ufer que quand ils fe nourriffoient de
froment ? D ’ailleurs le vin eft à très-bon compte
dans .tous les cantons à maïs.
Toutes les autres accufations contre l’ufage de
la bouillie du maïs’ , ne font pis mieux fondées.
M. le proféffeur Kalm affure qu’elle eft préférée ,
dans l’Amérique feprentrionale, par les Anglois
& les Hoilandois , aux autres grains , dont ils ont
d’amples provifions ; & M. D .o z , fecrétuire perpétuel
de l’académie des fciènçes de Bïfançon ,
que nous avons confu'te., nous a mande que les
gaudes étoient moins elLmées a la vérité dans les
montagnes que dans le plat pays ; qu on attribuoit
bien à cette nourriture le teint jaune des femmes