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intelligens, & qu’elles fe déduifent d?ailleufs
de la théorie de la fermentation fpirituenfe, on ne
peut néanmoins qu’applaudir au zèle qui a porté
M. Maupin à. les réunir pour les faire concourir au
même but, & à en obferver & conftater le fuccès.
On conçoit en effet que le vin étant d’autant
meilleur & plus de garde qu’il contient une plus
grande quantité d’efprit ardent, & que d’une autre
part les moûts verds étant beaucoup moins difpofés
que ceux qui font bien conditionnés , à la fermentation
qui feule produit ce fpiritueux & le combine
avec les autres principes de vin ; on conçoit, dis-je,
que ces moyens tendant efficacement à la production
du fpiritueux, & à fa combinaifon avec les autres
principes du vin, font très-capables d’en corriger les
mauvaifes qualités jufqu’à un certain point. Mais ces
expédiens font-ils les meilleurs &les plus efficaces
qu’on puiffe employer'dans les circonftances dont
il s’agit ? Je ne pais le croire, & même j’ofie aflurer
que la théorie & l’expérience fe réunifient pour prouver
qu’il y a un moyen infiniment fupérieur de
remédier à YaquoJîtéSi à la verdeur des moûts les
moins propres à produire de bons vins.
Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à fuivre les
opérations de la uature, tant dans la maturation des
raifins que dans la fermentation qui s’excite dans
le fuc de ces fruits.
Tout le monde fait que le jus exprimé des raifins'
avant qu’ils aient commencé à tourner, & dans
l’ état qu’on nomme verjus, n’a qu’une faveur acide
& nulle faveur fucrée, qu’il, eft malgré cela fuf-
ceptible d’un mouvement fermentatif affez marqué,
mais qu’il ne produit par l’effe't de cette fermentation
qu’une liqueur très-acide qui ne contient
point -oü qui ne contient qu’infiniment peu de
fpiritueux, qui ne peut point enivrer, qui ne peut
point fe changer en vinaigre, qui ne fait que tendre
à la pourriture, en un mot, qui n’eff pas du vin.
Il n’eff pas moins certain que le fuc de ces mêmes
raifins,'lorfqu’ils ont atteint une pleine maturité , eft
doué d’une faveur douce, trés-agréable, extrêmement
fucrée, & dans laquelle on ne diffingue prefque
plus l’acidité qu’avoit le raifin avant h maturité ; il
eft de fait auffi que le moût de" ces raifins mûrs
eft de toutes les matières connues la plus difpbfée
à une bonne & entière fermentation, dont le produit
eft un excellent vin.
De là il eft aifé de conclure que , dans la maturation
des raifins & des autres fruits, toute l’opération
inconnue de la nature confifte à produire
dans ces matières un nouvel-être, un nouveau
compofé, qui eft la matière fucrée; cette matière
enveloppe fi bien Vacide, ou lui devient tellement
dominante, fur-tout dans les fruits les plus propres
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à faire du vin , tels que font les raifins ï que îeftr
faveur acide s’adoucit beaucoup dans leur parfaite
maturité, & e’eft alors qu’ils font dans la plus favorable
difpofition pour faire le meilleur vin : car il
eft très-certain que c’eft le principe fucré qui eft la
vraie matière de la fermentation fpiritueufe.
D ’après* ces principes, ou. plutôt d’après ces
faits conftans, connus Si avoués de tous les chi-
miftes , n’eft-il pas évident que lorfque les raifins
ne font pas parvenus à la maturité.convenable,
lorfque 1 acide y domine, tous les moyens qu’on
pourra employer pour en faire de meilleure vin
en favorifant & accélérant la fermentation, ne
pourront produite l’effet defifé ou ne le produiront
que foiblement & imparfaitement, par la
raifon qu’aucun de ces moyens ne peut augmenter
la proportion du 'principe fucré fur le principe
acide, & qu’il .n’y a réellement que l’augmentation
de cette partie fucrée qui puiffe efficacement
donner lieu à une bonne fermentation fpiritueufe,
& la production d’un vin généreux, exempt de
verdure , de platitude & des autres défauts qui fe
trouvent toujours plus ou moins fen'fiblement dans
le vin des raifins qui manquent d e , maturité. 11
fuit de là que le moût des, ràïfius verts péchant
effentieliemsnt par une trop petite quantité de matière
fucrée &. une trop grande quantité d’acide,
la feule manière vraiment efficace de remédier â
cet inconvénient , c’eft de changer dans le moût
la proportion de ces deux principes ; & ce moyen
eft des plus faciles, puifqu’il ne confifte qu’à ajouter
au moût trop acide, trop peu.’fucré , la quantité
du principe faccarin qui h i manque. Inexpérience
prouve en effet que cette addition produit
les effets les plus avantageux.
On pourroit craindre peut-être que cette addition
de matière fucrée étant étrangère au raifin, ne
dénaturât le vin , & ne lui donnât un autre caractère
que celui d’un bon vin de raifin: mais je puis
aflurer que ce.te crainte feroit fans fondement,
premièrement parce que la matière fucrée eft efiVn-
tiellement la même , de quelque végétal qu’elle
vienne, celle des raifins n’étant réellement point
différente du fucre même-le plus pur ; fecondement
parce que ce qui caraétérife le vin de raifin, ce
n’eft pas fa partie fucrée qui lui eft commune avec
toutes les au res liqueufs fermentefcibles, mais fa
patrie extraéfive & acide , qui faifant1 toujours la
bafe des vins corrigés & améliorés de la maniéré
que je le propofe , leur confervera immanquablement
un caraélère de vin de raifin qu’on ne pourra
jamais mécoanoitrë.
Je ne doute nullement que plufieurs perfonnes
n’aient effayé avec fuccès. peut-être même déjà
depuis long temps , à faire d’excellent vin en corrigeant
par ce moyen lès défauts de raifins trop peU
mûrs. Ain fi à cet égard je ne me donne point comme
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juteyi d’une découverte , mais c’eft un objet ( contenue
M. Macquer ) qu’il eft bon de faire connoîrre ;
| fc pour ne parler que de ce dont je me fuis affiné
par moi-même, je vais rapporter ici deux expé-
|îi;nces que j’ai faites, & qui prouvent avec évidence
tout ce que j’ai avancé.
Au mois d’o&obre 1 7 7 6 , je me fuis procuré
affez de raifinsblan.es pinot & mélier d’un jardin, de
: paris, pour faire vingt-cinq à trente pintes de vin.
fC’étoit du raifin de rebut : je l’avois. choifi ex-
[près dans un fi mauvais état de maturité qu’on ne
| pouvoit efpérer d’en faire un vin potable ; il y en
[avoir près de la moitié, dont une partie des grains
[& des grappes entières étoient fi verts qu’on n en
[pouvoir;fupporter l’aigreur. Sans autre précaution
Ique celle de faire féparer tout ce qu’il y avoit de
■ pourri, j’ai fait ècraler le refte avec les rafles &
[exprimer le jus à la main ; le moût qui en eft
[ forti étoit très-trouble , d’une^ couleur verte, fale,
Id’une faveur aigre-douce, où l’acide dominoit telle -
| ment qufil faifoit faire la grimace à ceux qui en
jgoûtoierit.. J’ai fait diffoudre dans ce moût auez de
ifucre brut pour lui donner la faveur d’un vin doux ,
| affez bon ; & fans chaudière, fans entonnoir, fans
■ fourneau, je l’ai,mis dans un tonneau dans une
I fale au fond d’un jardin où il a été. abandonné,
■ ta fermentation s’y .eft -établie dans la troifième
I journée & s’y eft foutenue pendant huit jours d’une
■ manière affez fenfible, màis pourtant fort modérée.
| ElleVeft àppaifée d’elle même après ce temps.
Levin qui en aréfulté étant tou; nouvellement fait
& encore trouble, avoit une odeur vineufe affez vive
& affez piquante.; fa faveur avoit quelque chofe
[d’unpeu revêche, attendu que celle du fucre avoit
difparu auffi complètement que s’il n’y en avoit
[jamais eu. Je l’ai laiffé paffer l’hiver dans fon tonneau
, & l’ayant examiné a£i mois' de mars, j’ai
trouvé que fans avoir été foutiré ni collé, il étoit
devenu clair ; fa faveur, quoique encore affez
vive^Sc affez piquante , étoit pourtant beaucoup
■ plus agréable qu"immédiatement après la férmen-
Itation fenfible ; elle avoit quelque chofe de plus
[doux & de plus moelleux, & n’étoit mêlée néanmoins
de rien qui rapprochât du fucre; fai fait
[ mettre alors ce vin en bouteilles, & l’ayant examiné
au mois d’o&obre 1777 , j’ai trouvé, qu’il étoit
clair, fin, très-brillant, agréable au goût, géné-
rreux & chaud , en un mot tel qu’un bon vin blanc
de pur raifin qui n’a rien de liquoreux & provenant
d’un bon vignoble dans une bonne année.
| Piufieurs connoiffeurs auxquels j’en ai fait goûter
[ en ont porté le même jugement, & ne pouvoient
[ croire qu’il provenoit de raifins verts dont on eût
I corrigé le moût avec du fucre.
[ Ce fuccès qui avoit p.affé mes efpérances, m’a
[ engagé à faire une nouvelle expérience du même
: g^nre;, & encore plus décifiye par l’extrême verdeur
& la mauvaife qualité du raifin que j y ai
employé.
Le 6 novembre de l’année 1777, j’ai fait cueillir
de deffus un berceau dans un jardin de Paris, de
l’efpèçe de gros raifin qui ne mûrit jamais bien
dans ce climat-ci , & que nous ne connoiffons
que fous le nom de verjus, parce qu’on n en fait
guère d’autre ufage que d’en exprimer le jus avant
qu’il foit tourné , pour l’employer à la cuifine en
dualité d’aff.iifonnêment acide ; celui dont il s’agit
commençoic à peine à tourner, quoique, la fai (on
fût fort avancée, & il avoit été abandonné fur
fon berceau, comme fans.efpérance qu’il pût acquérir
affez de .maturité pour être mangeable. 11
étoit encore fi dur qne j’ai pris le parti de le faire
crever fur le feu pour pouvoir en,tirer plus de jus,
il m’en a fourni h iit à neuf pintes. Ce jus avoit
une faveur très-acide, dans laquelle on diftinguoit
à peine une très-légère faveur fucrée. J’y ai fait
diffoudre de la caffonnade la plus commune juf-
qli’à ce qu’il me parût bien fucré ; il m’en a fallu
beaucoup plus que pour le vin de l’expéri ence précédente,
parce que l’acidité de ce dernier moût
étoit beaucoup plus forte. Après la diffolution de
ce fucre la faveur de la liqueur, quoique très-fu-
crée, n’ avoit rien de flatteur, parce que le doux
& l’aigre s’y faifoient fentir affez vivement & fé-
par étaient d’une manière défagréable.
J’ai mis cette efpèce de moût dans une cruche
qui n’en étoit pas entièrement pleine , couverte
d’un fimple linge.; & la faifon étant déjà très-froide,
je l’ai placé dans une' falle où la chaleur étoit presque
toujours de douze à treize degrés par le moyen
d’un poêle.
Quatre jours après, la fermentation n’étoit pas
encore bien fenfible. La liqueur me paroiffoit tout
auffi fucrée & tout auffi acide ; mais ces deux faveurs
commençant à être mieux combinées, il en
réfultoic un tout plus agréable au goût.
Le 14 novembre la fermentation étoit dans fa
force une bougie allumée introduite dans le vide
de la cruche s’y éteignoit auffitôr.
Le 30, la fermentation fenfible étoit entière-
_ ment ceffée, la bougie ne s’éteignoit plus dans
l’intérieur de la cruche; le vin qui en avoit réfulté
ètoir néanmoins très-trouble & blanchâtre, fa faveur
n’avoit prefque plus^rien de fucrée, elle étoit
v iv e , piquante, affez agréable, comme celle d’un
vin généreux & chaud, mais un peu gazeux & un
peu vert.
J’ai bouché la cruche & l’ai mife dans un fieu
frais, pourque le vin achevât de s’y perfectionner
par la fermentation infenfible pendant tout l’hiver*