
T H E .
( Art de la récolte et de la préparation du )
JL/E thé, dont on fait un (1 grand ufage dans
prefque tous les pays du Nord & en Europe,
eft la feuille d’un arbre, & quelquefois d’un
arbufte que les Chinois nomment tcha.
Cet arbriffeau, qui cro;t dans plufieurs provinces
de la Chine, du Japon 8c de Siam, fe
plaît dans les vallées, au pied des montagnes ,
8c fur-tout dans les terreins pierreux. On le
fème ordinairement dans des terres expofées au
midi, & il ne porte des fleurs & des fruits que
trois ans après qu’on l’a femé. Ses racines reffem-
bler.t à celles du pêcher : fes feuilles font vertes,
alongées par la pointe 8c affez claires, d’un
pouce ou d’un pouce 8c demi de long, 8c dentelées
tout autour : fes fleurs font à-peu-près
comme celles de nos rofes blanches fauvages ,
& fon fruit différé dans la figure ; tantôt rond,
tantôt long, il eft quelquefois triangulaire ; il efl
de la grofteur d’une feve dans laquelle font renfermés
deux ou trois pois, dont la fuperficie eft
de couleur de gris de fouris, & qui ont dans
l’intérieur une amande blanche.
Ces pois font la femence qui fert à multiplier
ces arbuftes, parmi lefquels on en trouve qui
deviennent des arbres fi confldérables qu’ils ont
cent pieds de hauteur, 8c que deux hommes ont
peiae à les embraffer : on en voit a mu dont les
tiges font fi foibles, qu’elles rampent à terre comme
les moindres plantes.
Comme la récolte du thé intéreffe beaucoup
les Chinois, ils obfervent de le- cueillir dans la
faifon la plus propre, c’eft à-dire lorfque fes feuilles
font encore petites, tendres 8c pleines de
fuc.
Dès que les feuilles de thé font cueillies, on
les étend fur une platine de fer ou de cuivre qui
eft fur le feu , 8c lorfqu’elles font bien chaudes
, on les toute avec la paume de la main, fur
une natte rouge-très-fine, jufqu’à ce qu’elles foient
toutes ferrées. Le feu leur ôte leur qualité narcotique
& maligne qui pourroit’être nuifible.
On roule encore ces feuilles pour les mieux
conferver, & afin qu’elles tiennent moins de
placé ; mais il faut leur donner ces façons fur le
champ , parce que fi on les gardoit feulement une
nuit, elles fe noirciroient & perdroient beaucoup
de leur vertu. On doit aufli éviter de les biffer
long-temps en monceaux ; elles s’échaufferoient
d’abord 8c fe corromproient.
On dit qu’à la Chine , on commence par jeter
les feuilles de la première récolte dans l’eau
chaude, où o/i les tient l’efpace d’une demi minute
, & que cela fert à les dépouiller plus aifé-,
ment de leur qualité narcotique.
Cette première préparation demande un très-
grand foin. On fait chauffer d’abord la platine
dans une efpèce de four , où il n’y a qu’un feu
très-modéré. Quand elle a le degré convenable
de chaleur , on jette dedans quelques livres de
feuilles que l’on remue fans ceffe.
Quand elles font fi chaudes que l’ouvrier a
peine à y tenir la main, il les retire 8c les répand
fur une autre platine pour y être raclées.
Cette fécondé opération coûte beaucoup à l’ouvrier
, parce qu’il fort de ces feuilles rôties un'jus
de couleur jaune tirant fur le v e rd , qui lui
brûle les mains ; 8c malgré la douleur qu’il fent,
il faut qu’il continue fon travail, jufqu’à*ce que
les feuilles foient refroidies 5 d’autant que la fri—
fure ne tiendroit point fi les feuilies n’étoient
pas chaudes : il eft même obligé de remettre ces
feuilles deux ou trois fois fur le feu.
Il y a des gens délicats qui font paffer les fe w
les fur le feu jufqu’à fept fois ; mais en diminuant
toujours par degré la force de la chaleur, précaution
néceffaire pour conferver.'aux feuilles une
couleur vive qui fait une partie de leur prix.
Il ne faut pas manquer aufli de laver à chaque
fois la platine avec de l’eau chaude, parce que
le fuc qui eft exprimé des feuilles s’attache à fes
bords , 8c que les feuilles pourroient s’en imbir
ber de nouveau.
Les feuilles ainfi frifées font jettées fur le plancher
qui eft couvert d’une natte ; & on fépare .
celles qui ne font pas bien frifées ou qui font
trop rôties.
Les feuilles de thé impérial doivent être rôties
à un plus grand degré de féchereffe pour être
plus*aifément moulues & réduites en poudre;
mais quelques-unes de ces feuilles font fi jeunes
& fi tendres qu’on les met d’abord dans l’eau
chaude , enfuite fur un papier épais, puis on
les fait fécher fur lès charbons fans être roulées,
à caufe de leur extrême petiteffe.
Les gens de la campagne ont une méthode plus
courte, & il font moins de façon. Ils fe contentent
de rôtir les feuilles dans des chaudières de terre,
fans autre préparation. Leur thé n’en eft pas
moins eftimé des connoiffeurs, & il eft beaucoup
moins cher.
Il paroît même que ce thé C9mmun doit avoir plus
de force que le thé impérial, lequel après avoir été
gardé pendant quelques mois, & encore remis fur
le feu pour lui ôter, dit-on, une certaine humidité
qu’il pourroit avoir contraftée dans la faifon des
pluies ; mais on prétend qu’après cela il peut être
gardé long-temps, pourvu qu’on ne lui laiffe point
prendre l’air: car l’air chaud du pays en difliperoit
aifément les Tels volatils qui font d’une grande
fubtilité.
En effet tout le monde convient que ce thé a
perdu prefque tous fes fels volatils, quand il arrive
en Europe , quelque foin qu’on prenne de le tenir
bien enfermé.
Les Japonois tiennent leurs provifions de thé
commun, dans de grands pots de terre, dont l’oü-
verture eft fort étroite.
Le thé impérial fe conferve ordinairement dans
des vafes de porcelaine , & particulièrement dans
ceux qui font très-anciens.
Les Japonois pilent ou plutôt font moudre leur
tehia ou thé en une poudre fine, par le moyen
d’une meule d’ophite.
Ils mettent avec de petites cuillers cette poudre
verdâtre 8c qui a une affez bonne odeur dans leurs
taffes ; ils verfent deffus de l’eau bouillante avec
un petit feau fait exprès ; ils agitent enfuite cette
poudre avec de petits pinceaux derofeaux indiens,
découpés avec art, jufqu’à ce qu’il s’élève de l’écume
; ils prennent aufli cette liqueur fans fucre.
hé thé préparé comme on vient de le dire, eft en
feuilles déffechées, roulées , d’un goût un peu
amer, légèrement aftringent, agréable, d’une douce
odeur qui approçhe de' celle du foin nouveau, &
de la violette.
Ce n’eft pas une chofe fort aifée que la récolte
du thé. Voici de quelle façon elle fe fait au Japon.
On trouve pour ce travail des ouvriers à la journée
qui n’ont pas d’autre métier. Les feuilles ne doivent
pas être arrachées à pleines mains ; il les faut tirer
avec beaucoup de précaution une à une, Si quand
on n’y eft pas habitué on n’avance pas beaucoup
en un jour.
On ne recueille pas toutes les feuilles de thé au
même temps ; ordinairement la récolte fe fait à
deux fois, affez fouvent à trois : dans ce dernier-
cas la première récolte a lieu vers la fin du premier
mois de l’année japonoife , c’eft-à-dire les
premiers jours de mars; les feuilles alors n’ont
que d’eux ou trois jours ; elles font en petit nombre,
fort tendres 8c à peine déployées. Ce font les plus
eftimées 8c les plus rares ; on leur donne le nom
de fleur de thé.
Tout le thé qui fert à la cour de l’Empereur du
Japon , 8c dans la famille Impériale, doit être
cueilli fur une montagne qui eft proche de cette
ville ; aufli n’eft-il pas concevable avec quel foin
8c quelle précaution on le cultive. Un foffé large
8c profond environne le plan ; les arbriffeaux y
font difpofés en allées, qu’on ne manque pas un
feul jour de balayer. On porte l’attention jufqu’à
empêcher qu’aucune ordure ne tombe furies feuilles,
& lorfque la faifon de les cueillir approche, ceux
qui doiyenty être employés , s’abftiennent de manger
du poiffon 8c de toute autre viande qui n’eft
pas nette , de peur que leur haleine ne corrompe
les feuilles : outre cela tant que la récolte dure , il
faut qu’ils fe lavent deux ou trois fois par jour
dans un bain chaud 8c dans la riviere ; & malgré
tant de précautions pour fe tenir propres, il n’eft
pas permis de toucher les feuilles avec les mains
nues, il faut avoir des gants.
Le principal pourvoyeur de la cour impériale,
pour le thé , a l’infpeâion fur cette montagne qui
forme un très-beau point de v u e . Il y entretient
des commis pour veiller à la culture de l’arbriffeau,
à la récolte8c à la préparation des feuilles, 8c pour
empêcher que les bêtes et les hommes ne paffent
le foffé qui environne la montagne ; pour cette
raifon on a foin de le border en plufieurs endroits
d’une forte haie.
Les feuilles cueillies 8: préparées font mifesdans
des facs de papier qu’on renferme enfuite dans
des pots de terre ou de porcelaine, 8c pour mieux
conferver ces feuilles délicates , on achevé de
remplir les pots avec du thé commun. Le toat
ainfi bien empaqueté eft envoyé à la Cour fous
bonne 8c fure garde, avec une nombreufe fuite.
Ceux qui vendent le thé en feuilles diftinguent
quatre'efpèces qui different de qualité 8c de prix.
L’efpèce de thé la plus commune eft compofée
de feuilles ramaffées pêle-mêle , fans choix, 8c
fans égard à leur bonté 8c à leur grandeur.
Il eft à obferver que les feuilles, tout le temps
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