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T U R Q U I E ou MAÏS.
( Art de cultiver, de récolter et de préparer lè blé de )
T je maïs, a'mfi nommé en Amérique dont il eft
originaire, eft appelé parmi nous , blé de Turquie
Ou blé d'Inde. On le nomme blé d’EJpagne dans le
Limoulin & dans l’Angoumois, où on le cultive.
Dans la baffe Bourgogne , où il eft commun, on le
déftgne sous le nom de turquet ou turquin.
Cette plante pouffe une groffe tige pleine d’une
moelle blanche qui a le goût fucré, & dont on tire
un miel par expreflion, lôrfqu'elle eft verte.
Un curé de Bourgogne a même trouvé le moyen
d’en préparer une liqueur vineufe , dont l’ufage
eft aufti fa in qu’agréable.
On en fait aufti un fyrop très-doux, qui a le
goût de lucre ; & on a propofé, dans les mémoires
de l’académie, d’effayer fi l’on ne pourrait pas le
faire cryûlallifer comme le fuc de la canne qui
donne le fucre. _
La tige du blé de Turquiè eft roide, folide ,
noueufe comme une canne de rofeaü, haute de cinq
à fix pieds, de la groffeur d’un pouc.e, quelquefois
couleur de pourpre, plus épaiffe à fa partie infé:
rieure qu’à fa partie fupérieure.
Ses feuilles font femblables à celles d’un rofeau,
d’un beau v e r t, longues d’une coudée , & larges
de trois ou quatre pouces, veinées , un peu rudes
en leurs bords.
La tige porte à Ion fommet, des pannicules longues
de neuf pouces, grêles, éparfes, fouvent en
grand nombre, quelquefois partagées en quinze,
vingt ou trente épis panachés, portant des fleurs
ftériles , & féparées de la graine oif du fruit.
Ses fleurs approchent de celles du feigle , & font
formées de quelques petits filets blancs , jaunes ou
purpurins , chancelans, renfermés dans un petit
calice ou balle, & ne laiffent point de fruits après
eux.
Ses fruits font féparés des fleurs, & naiffent des
noeuds de la tige, en forme d’épis ^chaque tige
en porte trois ou quatre, placés alternativement,
longs , gros , cylindriques , enveloppés étroitement
de plufieurs feuilles ou tuniques membraneufes
, qui fervent comme de gaine : de leur fommet
il fort de longs filets qui font, attachés chacun
à un grain de l’épi ou du fruit, dont ils ont la
^couleur. -
L’épi croît par degrés, quelquefois jufqu’à îa
groffeur du poignet & à la longueur d’un pied : à
inefure qu’il grolîit & mûrit, il écarte fes tuniques,
& paroît jaune, rouge, violet, bleu ou blanc,
fuivant l’efpècé ; celle à grains jaunes eft la plus
eftimée.
Les graines font nombreufes , greffes comme
un pois, nues, fans être enveloppées dans une
follicule, liftees, arrondies à leur fuperficie , an-
guleufes du côté qu’elles font attachées au poinçon
dans lequel elles font enchâffées, Ce noyau de
L’épi fe nomme le papeton.
L’épi du maïs donne une plus grande quantité
de grains qu’aucun épi de blé. Il y a communément
huit rangées de grains fur un épi 9 & davantage
fi le terroir eft favorable. Chaque rangée
contient au moins trente grains, & chacun d’eux
donne plus de farine qu’aucun de nos grains de
froment ; celui qui croit dans les Indes , rapporte
quelquefois des épis qui'ont fepr cents grains. Ce
ne font point des efpèces différentes ; car le même
grain fournit la plupart de ces- variétés.
Le maïs eft., de toutes les plantes, celle dont
la culture eft la plus intéreffante dans l’univers
puifque toute l’Amérique, l’Afrique, une partie
de l’Afie & de l’Europe, principalement la Turquie
, d’où lui vient fon nom, ne vivent que de
maïs; & d’un autre côté , la culture de ce grain
robufte ne manque jamais de réccmpenfer au centuple
les foins qu’on lui accorde.
U vient aifénjent, il tarde peu à mûrir, & il
fournit toujours un fecours affuré contre les di-
fettes, parce qu’il n’eft pas fujet à tant d’accidens
que le froment; d’ailleurs, il fe fème fur les jachères
qu’on deftine à être enfemencées en blé,,
& d’hiver; & loin de nuire à ceux-ci, il n’en dif-
pofe que mieux la terre à les recevoir.
La culture à bras & les façons qu’il exige,
influent
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influent fur la récolte en blés qui doit la fuivre*
Lorfqu’on fème le maïs ou blé de Turquie en
plain champ comme le blé, il ne rapporte qu’un
épi; mais fi on fème les grains à dix-huit pouces
de diftance les uns des autres, alors il rapporte
plufieurs grappes.
Dans les provinces on fème cette graine fur
les chaumes, à la volée, & on l’enterre à la charrue,
tirée par les boeufs. Quand.ce blé eft'levé,
on lui donne un léger labour , qu’on nomme
agaler, par corruption d'égaler, parce qu’on brife
Jes mottes & qu’on unit le terrain.
Quand les plantes ont acquis fept pouces de
hauteur, on donne un deuxième labour , qu’on
nomme farcler ou piller , parce qu’il détruit les
mauvaises herbes & les pieds qui font trop près
les uns des autres. Quand les plantes font parvenues
à douze ou quinze pouces de hauteur, on
donne un labour général pour buter les pieds
qu’on veut conferver, & arracher ceux qu’on
juge encore trop près.
Lorfque le maïs a produit fa pannicule, on la
coupe, & on la ramaffe foigneufement pour la
donner aux boeufs. Mais avant de couper la pannicule
des fleurs mâles , il faut prendre garde
qu’elles aient répandu leur pouflière fur les épis
à fruit on peut s’en convaincre en tâtant avec
le pouce , fi le grain des épis eft déjà gros &
renflé.
On récolte fur la fin de feptembre ; & les labours
à bras ont fi bien préparé les terres , qu’il n’eft
plus befoin que d’en faire un feul avant de jfemer
le froment.
La manière de planter le'maïs * pratiquée par
les Anglois en Amérique, eft de former les filions
égaux dans toute l’étendue d’un champ , à environ
cinq ou fix pieds de diftance ; de labourer en travers
d’autres filions à. la même diftance , & de
femer la graine dans les endroits où les filions fe
croifent & fe rencontrent. Ils couvrent la femailte
à la bçche ou à la charrue, en faifant un fillon à
côté.
Quand les mauvaifes herbes commencent à
faire dit tort au maïs, ils labourent de nouveau
le terrain où elles fe trouvent ; ils les coupent,
les détruifent, & favorifent puiffamment la végétation
par ces divers travaux. C ’eût, pour le dire
en paffant , cette méthode du labourage du maïs,
employée depuis long-temps en Amérique , que
M. Tull a adoptée , & qu’il a appliquée de nos
jours avec tant de réputation à la culture du blé,
Lorfqu’on a cueilli les épis du maïs, on arrache
les liges pour fervir de fourrage aux boeufs pen-
Arts &• Métiers , Tome VIII,.
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dant l’hiver : on égrène les épis en les battant
avec le fléau,.ou en les frottant fortement contre
& fur le bord d’un tonneau défoncé ou quelque
autre chofe fembiable.
Le maïs égrainé & bien féchê au f o l e i lp e u t
fe conferver pendant plufieurs années ; & quelque
vieux qu’il foit, il eft encore bon pour être
femé.
Les avantages que l’humanité peut tirer de ce
grain , font infinis : une grande partie des hommes
& des. a'nimaux domeftiques en font leur nourriture.
Comme on ne le fème qa’après l’hiver, &
quil vient aifément, il pourroit être d’une grande
reffource fi la culture en étoit univerfellement
répandue en France,. comme elle l’eft en Bourgogne
, dans la Breffe, en Franche-Comté , en
Angoumois, &c.
Le maïs eft une plante qui donne la nourriture
la plus faine & la plus abondante. Un fauvage
allant à la guerre, porte aifément fur foi fa pro-
vifion de maïs pour deux mois.
Comme les Indiens ne connoiffent pas l’art de
mou,dre , ils font griller leur maïs, enfuire ils le
pilent dans leurs mortiers, & ils le faffent pour
en faire des gâteaux ; ils en mangent aufti les
grains en vert comme les petits pois, ou grillés-,
ou bouillis.
Les médecins du Mexique en font une tifanne
à leurs malades : c’eût leur meilleur remède contre
les maladies aiguës. Les Américains retirent de ces
grains pilés & macérés dans leau, une liqueur
vineufe dont ils font leur boiffon ordinaire. Cette
liqueur enivre : on en peut retirer de lefprit ardent
; elle fe convertit aufti en excellent vinaigre ;
enfin, le maïs fert aux Indiens, à une infinité
! d’ufages.
En Piémont cettë efpèce de blé fait la principale
nourriture du peuple : les riches ont meme
trouvé le moyen d’en faire un mets délicat. On
cueille lés jeunes grappes lorfqu’elles font de la
groffeur du petit doigt, & encore vertes : on les
fend en deux , & on les fait frire avec^de la pâte ,
comme les artichaux : on les confit aufti comme
des cornichons , &c.
Aux environs du Rhin , où le blé ne venoit
que difficilement, de vaftes champs font couverts
fie maïs, & cette culture y occafionne un riche
commerce avec le bétail engraiffé par le maïs,
contre le blé qui eft très-abondant dans les cantons
voifins, & il fert à nourrir une partie du peuple.
La Bourgogne, la Breffe & la Comté s’enrichiffent
par cette culture.
. Le maïs bien moulu a donne une farine blanche