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T R I F I L E R I E.
( Art de réduire le fer en fil )
L A trifilerie ou trèfilerie , eft l’art -de rendre le
fer duâile à froid, en le faifant paffer dans les
différents diamètres des trous des filières, depuis le
manicordion, ou le plus petit échantillon dont on
fait les cordes des clavecins & des pfaltérions, juf-
qu’à celui de fix lignes de circonférence, dont fe
fervent les chaudronniers de province pour border
leur ouvrage, car poiir ceux de Paris il leur
étoit défendu de les border en fer.
Pour réuflir dans l’opération de la trèfilerie, on
commence par choifir un fer qui foit affez ductile
pour s’étendre en fil fans fe rompre, qui ,
après avoir été refondu & forgé dans l’alleman-
derie,, puiffe être réduit à une groffeur propre
à paffer dans les divers trous des filières, & qui
enfin puiffe à force de bras être réduit en fil
ttrès-fin dans les filières les plus déliées dont fe
fervent les agréeurs & les tireurs à la bobine.
Jl femblû d’abord qu’on devroit choifir le fer
le plus doux pour cet ouvrage; mais comme fa
douceur n’eft pas toujours relative à fa du&ilité,
qu’il eft quelquefois pailleux, qu’il a des grains,
que fes parties ne font pas bien liées les unes
aux autres, il eft très - fujet à fe rompre : c’eft
pourquoi on prend fouvent des “fers durs & de
bonne qualité, qui, étant chauffés à propos , beaucoup
maniés & étirés fous lomarteau, prennent
du nerf, & font fufceptibles d’une grande exten-
fion.
Lorfque le tréfileur eft obligé de fe fervir du
fer de la première qualité, il arrange fa tenaille
de façon qu’elle n’en tire qu’une petite longueur
à la fois, parce que en répétant fouvent cette
. manoeuvre, le fil en foufre moins : fi le fer eft
très- doux & très-mou, il le fait paffer par un
plus grand nombre de trous, afin qu’il n’éprouve
à chaque fois qu’une foible réfiftance; mais fi le
fer elt dur & de bonne qualité, plus il paffe dans
les trous des filières, plus il acquiert de du&ilité.
Quand on eft parvenu dans les fenderies à
fendre en trois, avec des cîfeaux, ou des tranches,
des barres de fer plates de vingt-une à vingt-
deux lignes de largeur, & de fix à fept d'épaif-
feur, qu’on en a fait des calons, ou des tringles
de trois pieds de longueur, on les forge à bras
fur, une enclume pour les mettre de calibre à
paffer par les filières , de forte qu’un caton de
trois pieds acquiert douze pieds de longueur :
mais comme certe pratique, quoique la meilleure ,
eft très-difpendieufe en main-d’oeuvre & en charbon,
on prend du fer en verges, ou'encore mieux
du ferquarréen barres delà groffeur du carillon,
de dix à douze lignes en quarré. Plus le fer paffe
fous les coups du marteau, plus il prend de nerf;
au lieu que celui qu’on tire des fenderies n’étant
pas coupé régulièrement félon les indexions de
fes fibres, devient naturellement plus caffant.
Dans les. allemanderies qui reffemblent aux petites
forges ou l’on fait le carillon ; le chauffeur
a foin de bien conduire la chaleur de fon feu,
afin que la fuperficie du fer ne foit point brûlée ;
& dès qu’il a fait rougir fix à huit pouces de longueur
dé fa barre, il la donne au forgeron qui
la fait paffer fous l’enclume & fous le martinet
en la tournant d’un mouvement égal & très-prompt,
en l'avançant & reculant en même temps, pour
que le fer foit également étiré & alongé dans
toute la partie chauffée, &t en évitant de laiffer
frapper deux coups de marteau de fuite fur le
même endroit, qui feroit coupé immanquablement.
Comme ce travail exigg, une adreffe qu’on n’acquiert
que par un long SXercipe, on n’y emploie
qu’un ouvrier très-intelligent, qui eft affis fur
une planche mobile qu’il approche ou éloigne
de l’enclume avec fes pieds & fans le fecoars
de fes mains-, qui font occupées à tenir la barre.
Pour difpofer ces barres à paffer par la filière,
on les recuit couleur de cerife fur un feu de braife,
ou de charbon, qui a douze pieds de longueur.
Après le recuit, on les donne à l’écoteur qui
les graiffe avec du lard, du beurre, du fuif on
de l’huile ; les paffe trois ou quatre fois par les
"trous de la filière, diminue leur diamètre à chaque
fois , & en'fait enfuite du fil de roulage. Comme
cette première opération écrouit & durcit le fer,
Yécoteur, ou ouvrier qui travaille fur la fécondé
bûche , lç paffe encore dans trois trous de
filière.
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Ce nouvel écotage étant encore recuit, le tréfileur
paffe encore ces barres dans trois trous -
Ide filière, ce qu’on nomme ébroudage , & lorfque -
l’ébroudage a été recuit & paffé par trois autres
trous, on nomme le fil ebroudi.
Dès que le fil de fer eft engagé dans la filière,
il eft faifi par une pince q u i, en s’éloignant, force
une certaine longueur de ce fil à paffer par le trou
de la filière : après que cette longueur eft paffée ,
la pince fe rapproche , faifit de nouveau le f i l ,
s’éloigne enfuite de la filière, & répète fuccef-
fivement les mêmes mouvemens jufqu’à ce que
toute la longueur du fil ait paffé ; & en le forçant
à entrer dans des trous de plus en plus petits, il
s’arrondit & fe polit. Cette opération eft l’effet
d’une machine très-fimple qui reçoit les mouvemens
d’un courant d’eau & d’une roue à aube
comme celles des moulins à mÔudre les grains.
Nous avons dé [à dit qu’on tiroit trois fils à la
fois; il y a par conféquent trois tenailles & trois
rangs de cames, efpéce de mantonnets ou dents
qui font attachés là la circonférence d’un arbre
tournant, & qui fervent à foulever les gros marteaux.
Ces cames font éloignées les unes des
autres de plufieurs pieds, & pofées fur un même
cercle pour faire agir la première tenaille qui
doit faire paffer le forgis, ou barre de fer forgée
par la filière, & qui a befoin d’être plus forte
que la fécondé, comme celle-ci l’eft plus que
la troifième. Chaque tenaille moins forte a aufll
fes trois rangs de cames, également diftantes les
unes des autres ; & afin que l’effort de la machine
foit toujours à peu près le même, on place les
cames de la fécondé tenaille dans le milieu de
l’efpace qui fe , trouve entre les cames de la
première.
Chaque trèfilerie a auffi trois bâches qui font
de forts madriers où les filières font folidement
affujettfes, & où repofent les tenailles. Ces trois
bûches qui font dans la même pofition, font plus
élevées du côté de l’arbre, afin que les tenailles
gliffent deffus & fe rendent par leur propre poids
auprès de la filière qui eft pofée & ferrée de
manière qu’elle ne puiffe pas s’élever.
Le fil qui eft engagé dans la filière eft faifi
entr’elle & l’arbre par de fortes tenailles , qui ',
étant parvenues au bout.de leur courfe, reviennent
par leur propre poids auprès de la .filière pour
commencer une autre tirée. Pendant que la tenaille
‘de la première bûche ne fait qu’une tirée
de deux pouces, la tenaille de la fécondé en fai,t
une de quatre,- & celle de la troifième une de
cinq.
Après que les tenailles ont reculé d’une quantité
convenable, elles reviennent prendre le for-
gis auprès de la filière pour en tirer une fécondé
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longueur au moyen de leurs branches qui paffent
dans un chaînon ou anneau de fer un peu appla-
ti & qui porte une queue : quand les deux branches
de la tenaille fe renverfent en dehors, le chaînon
qui eft tiré en arrière rapproche ces branches dont
les mâchoires ferrent le fil de fer avec une force
relative à l’effort qu’il doit faire en paffant par le
trou de la filière. Quand le chaînon eft paffe en
avant,les branches & les mâchoires s’ouvrent, ce
qui fait que la tenaille n’étant plus retenue par le
chaînon, coule fur la tuile t fe rapproche de la filière
, & mord le fil de nouveau quand on tire le
chaînon en arrière. Cette tuile eft une planche de -
bois très-unie, plus inclinée que la bûche, & fur
laquelle coulent les tenailles.
Au moyen d’un levier de bois recourbé en ér
querre, Sl qui tient à fa branche verticale un piton
dans l’anneau duquel paffe la queue du chaînon
qui eft repliée en crochet, le chaînon avance &
recule autant qu’il eft nèceffaire pour lé jeu des
tenailles. Comme il y a trois équerres à relever ,
une pour chaque bûche, il y a trois perches à
reffort, attachées par leur gros bout à la traverfe
qui eft foutenue par les montans du devant du
chaflis ; & comme il faut plus de force pour tirer
le gros fil que le fil fin, les cames de la première
bûche font plus courtes que les autres. '
Lorfque la machine eft en train, que les tenailles
ont agi deux ou trois coups, l’ouvrier la laiffe faire :
affis fur une planche qui eft entre les bûches, il ne
s’occupe qu’à recevoir le fil qui a paffé par la filière
, & à le rouler pour en former une efpèce
d’écheveau : mais comme ce fer eft très-chaud,
il ne le manie qu’avec des chiffons,
Pour donner plus de facilité à ce fil de paffer
par les trous de la filière, on ajufte dans un nouet
de toile un morceau de lard que le f il. traverfe
avant de paffer par le trou. En fortant de la première
bûche, on lui donne un recuit avant de le
porter à la fécondé ; après quoi orî le fait paffer
par les trous de trois différentes filières ; on lui
donne enfuite un nouveau recuit avant de le porter
à la troifième bûche, où il reçoit les mêmes
opérations. Lorfque le fil ne paffe que par trois trous
dans l’atelier où font les bûches, on le nomme
fd d‘ébroudage, & èbioudi quand il a paffé par quatre
filières.^. -
Idébroudî eft le dernier degré de fineffe qu’on
donne au fil de fer dans les tréfileries; lorfqu’on
veut l’avoir plus fin, on le tire à force de braf.
Chaque groffeur de fil de fer a fon nom particulier,
ainfi que fon numéro. Celui qu’on nomme fil de
roulage a le numéro 6; l’écotage le numéro 7 ; Yé-
l broudage à trois trous, le numéro 8 ; & celui qui eft
à quatre trous, le numéro 9. Chaque fois qu’on
l recuit le f il, l'écrieur, ou garçon tréfileur l’éclaircit