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pour le plus excellent, particulièrement celui de 1
la province de Stirie ; mais il faut le traiter dou-
cernent au feu , c’eft-à-dire , le tremper d’une !
chaleur modérée , rougi feulement de couleur de
cerife & revenu en couleur d’or , pour quels
outils que ce foit, tant pour le bois , l’ivoire &
le fer , que pour toute autre matière»
Au défaut de celui de Stirie, je préfère celui
qu’on appelle acier de Piémont , mais qu’on fabrique
en Dauphiné. Il demande plus de chaleur
à la trempe.
I l en vient encore d’affez lo in , du côté de la
Hongrie ; mais on n’en a pas la même fatisfac-
tion que de celui de Dauphiné St d’Allemagne.
Je ne dis rien de celui de Damas, car comme
il ne nous en vient point en France , nos ouvriers
ne le lavent point manier, ni lui donner
le feu & la trempe. A dire le v r a i, il n’eft pas
meilleur que celui qu’on nous apporte du Dauphiné
& d’Allemagne ; ce n’eft que la manière de
l’aprêter & de le tremper, qui lui imprime cette
force qui le fait tant eftimer.
O r , v o ic i, continue le P. Plumier, ce que
j’ai appris par quelques marchands de Marfeille
qui avo-ent long-temps négocié du côté de Damas.
. Ils me rapportoient qu’en ce pays-là &
dans plufieurs»autres villes du Levant, on n’emploie
l’acier pour en faire des fabres & des couteaux
qu’api es en avoir ferré les chevaux, difant
que l’ongle des animaux a la vertu de bien raffiner
le fer après qu’ils l’ont porté long-temps :
& même j’appris à Rome par le Jîgnor Guillelmo-,
dont j’ai déjà parlé , qu’il ne fe fervoit que de
vieux fers de chevaux , quand il vouloit faire
quelque ouvrage fin & délicat.
Pour la trempe de Damas, voici ce que ces
mêmes marchands en ont rapporté.
Ils affurent que les Turcs ne trempent point
leurs fabres St couteaux dans aucune liqueur,
mais feulement à l ’air & de cette manière.
Ils bâîifïent, joignant leurs forges , de longues
lucarnes , direâement oppofées au Nord , ayant
l’embouchure fort large, & fe rétréciffant peu à
peu comme un entonnoir, jufqu’à tant qu’elles
viennent à finir par une fente étroite, mais affez
longue & large pour y placer un labre dedans,
de toute fa longueur en travers ; & lorfqu’ils veulent
le tremper , ils attendent particulièrement
dans le temps de l’h iver, & que le vent de
Nord fouffle ; car pour lors le vent s’engouffrant
dans ces lucarnes , il y devient fi froid , au
paffage de ces longues fentes y qu’il eft impolfi-
ble d’y tenir la main le moindre efpace de
temps»
Pour lors les ouvriers faifant rougir un fa-
bre à leur forge & à certaine couleur de feu,
ils le préfentent promptement à cette longue
fente &. l’y tiennent jufqu’à ce qu’il foit entièrement
refroidi.
La raifon phyfique montre affez clairement que
cette manière de tremper l’acier doit être meilleure
que celle qui fe fait dans quelque liqueur.
Tout le monde fait que la dureté de l’acier par
la trempe , ne provient que de ce que les particules,
raréfiées par la chaleur du feu , viennent à
fe rétrécir & à s’unir tout d’un coup par la grande
froideur de l’eau ou de la liqueur dans laquelle
on le trempe.
Or , telle froide que foit cette eau ou cette
liqueur, l’acier brûlant l’échauffera toujours ; par
conféquent elle ne pourra plus agir fi fortement
dans la fuite , que dans le premier moment de
l’immerfion de l’acier, & c’eft la raifon , à ce que
je penfe, que la plupart des outils font fort bien
trempés au commencement, mais ils deviennent
à la fin fi mous qu’on eft obligé de les retremper,
n’y ayant proprement que les particules de
la fuperficie, d’unies & de rétrécies par la première
force de l’eau dont la yertu fe ralentit à
mefure que l’acier l ’échauffe.
Il n’eft pas de même dans la trempe de
lait.
Pour brûlant que foit Tacier , il ne fauroit
l’échauffer, puifqu’inceffamment il en vient de
nouveau qui ne ceffe continuellement d’agir ;
auffi les particules de l’acier ne ceffent jamais de
fe rétrécir & de s’unir jufque dans l e . centre
même.
Les aciers cTEfpagne & de Breffe font encore
affez bons; mais de quelque pays qu’on les apporte
il faut toujours çhoifir celui dont le grain
eft plus fin St de couleur d’argent tirant tant
foit peu fur le brun ; qui ne foit ni pailleux, ni
furchauffè , ni plein de grumaux & de veines,
mais entier & bien uniforme en toutes fes
parties.
Ces fortes d’aciers ne fauroient que faire de
bons outils , fur-tout fi l’ouvrier prend la peine
de les bien corroyer & tremper. Ce qui ne fe
peut, apprendre que par une longue pratique.
Il eft pourtant bon de favoir que pour bien
corroyer l’acier , il ne faut employer que le charbon
de bois , particulièrement de chêne ou de
hêtre : car les charbons qu’on tire des minières
outre qu’ils font trop violens & fujets à brûler
l’acier ou à le fondre, ils empêchent par l’épaiffeur.
de leur fumée, de bien connoître quand ri tant
le battre*
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L ’ayant fait rougir fuffifamment J on le bat
plus légèrement qu’on peut , en lui donnant
telle forme qu’on fouhaite , comme de cifeau,
gouge , bec-d’âne ou autres outils pour tourner
Simplement le bois, félon la groffeur dont on a
befoin.
Pour la grandeur ou épaiffeur des outils à couper
l’ivoire, comme on les fait ordinairement à
deux bouts, c’eft-à-dire , fans manche, St dont
chaque bout eft propre à travailler , on leur donne
environ dix pouces ou un pié de longueur , fept
à huit lignes de largeur, & environ trois lignes
d’épaiffeur : ainfi ils font affez forts & affez
commodes pour le travail.
Il faut avoir foin particulièrement de les bien
redreffer, les aplanir & les rendre bien égaux ;
afin que fi on a befoin de divers outils pour une
pièce en tournant en figure, le taillant de chaque
outil vienne jufte au centre de l’ouvrage.
L’outil étant forgé de la longueur & grandeur
néceffaire, il faut le laiffer refroidir peu éloigné
du feu , afin qu’il foit plus propre à être limé;
& l’ayant limé félon le deffein qu’on a , il s’agit
de le bien tremper ; ce qi/on peut faire en plusieurs
manières St avec plufieurs fortes de drogues
, qui pourtant ne ferviront guèrès. Mais
voici la meilleure , la plus fure & la plus aifée
que je fâche.
Il faut avoir un feau d’eau fraîche près de
•foi, afin d’y tremper le fer dedans le plus prom-
tement qu’il fe peut.
Toute eau eft bonne , foit de puits , de rivière
ou de fontaine; mais la plus froide eft la
meilleure.
On met l’outil environ deux doigts dans le feu,
afin que l’on puiffe bien voir lorfque fon bout
eft fuffifamment rougi & propre à être trempé.
Il faut qu’il foit rouge , couleur de cerife, comme
difent communément les ouvriers, c’eft-à-
dire, d*un rouge v if ; ce qui n’eft pas trop facile
à expliquer , & il n’y a proprement que la pratique
d’un homme du métier ,, préfent.à l’o u v r e ,
qui puiffe l’enfeigner.
Dès lors qu’on aperçoit que le bout du fer
prend ce rouge v if , on, le tire du feu , & on
le plonge vîtement dans l’eau ; on l’y laiffe
un moment, St on le retire prefque en même
temps-
Si l’ayant retiré vous apercevez qu’il foit blanchi
, c’eft-à-dire , qu’il fe foit dépouillé d’une
petite croûte noire , fuperficîelle r vous devez,
bien efpérer de la trempe de votre outil. Alors
il1 faudra attendre qu’il change de couleur & qu?il
prenne une certaine nuance mélangée de plufieurs.
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couleurs, particulièrement de celle de l’o r , ou
de couleur de poil de renard.
Dans le moment que vous apercevrez cette
nuance mêlée d’or ou de fauve , vous remettrez
promptement l’outil dans l’eau & vous l ’y laif-
ferez refroidir.
Il arrive fouvent que le bout trempé la première
fois ne prend pas cette couleur d’or ; pour
lors vous le remettrez fur un charbon bien allumé
, & l’y tiendrez jufqu’à ce qu’il foit affez
chaud , pour qu’en y paffant le tuyau d’une plume
deffus ; elle commence à s’y brûler ; pour lors
vous remettrez cet outil dans l’eau l’y laifferez
refroidir.
Voila la. trempe la plus fûre & la plus aifée
pour les outils à tourner le bois & l’ivoire ; autrement
ils feront trop mous ou trop durs', &
ainfi fujets à s’engrainer ou à s’émouffer, particulièrement
fi vous -les trempez couleur d’argent
ou bien violet. Que fi la longueur de certains
outils vous oblige à les tremper tout entiers T
c’eft-à-dire en toute leur étendue, voici la manière
de s’ÿ prendre, afin qu’ils ne fe fauffent ou
ne fe caffent en les trempant.
Il faut avoir des vafes de terre affez profonds
& affez larges pour que l’outil, puiffe y entrer
aiféoeent en toute fa longueur' ou de la partie
que vous defirez tremper. Vous remplirez ce vafe-
d’huile de noix ou d’olive ; l ’une St l’autre font
également bonnes.
Ayant donné le rougp v if ou- de couleur de
cerife à l’outil, vous le graifferez avec du favori
ou du furf, & le plongerez dans cette huile , St
l’y laifferez refroidir.
Cette manière de tremper ne fait jamais fauf-
fe r , c’eft-à-dire, plier ou courber les outils, &
elle eft très-bonne pour les longues!! mèches ou:
tarrières à percer les hauts bois , St autres grands-
outils, quand, on craint qu’ils ne caffent ou fe
fauffent dans leur, longueur..
Outre ces deux manières de tremper les outils ,,
il y en a encore une troifième qu’on appelle
tremper en paquet, parce qu’on trempe à la- fois
plufieurs pièces empaquetées dans du fer. Si vous
avez- befoin de le faire , voici la manière de l’entreprendre..
• U faut pour ce fujèt avoir de la fuie la plus
■ graffe & la plus épaille qui fe peut ; la bien piler
ou b r o y e r la détremper dans, un pot avec
du vinaigre ou bien avec de l’urine , de manière
que le vinaigre ou l’urine fumage d’un bon doigt
par-deffus ; vous y je tterez- enfuite un oignon ou
un a i l, & tiendrez fe por bien couvert. Plus cette;
drogue eft vieille », meilleure-elle eft:.