
couvert de vaiffeaux fanguins & de graiffe; la peau
même confifte en un tinu de fibres qui fe croifent
en tous fens.
Le travail du taneur confifte donc à dégorger
les peaux du fan g caillé, de la chair, de la graiffe
& des autres impuretés qui s’y trouvent. Apres
quoi il faut qu’il les plane, qu’il les quioffe, &
qu’il en faffe lever le grain, qu’il doit enfuite,
quand les fibres font ouvertes, nourrir & fortifier
par des parties balfamiques, & empêcher, en
même temps, par quelque menftrue de vertu retenti
ve , que l’humidité ne puiffe y pénétrer. La
chaux vive eft le plus ancien & le plus pernicieux
ingrédient- qu’on ait employé à dépilèr les peaux,
& à en faire lever le grain ; vu que la chaux eft
non r feulement corrofive, mais poffède en outre
la qualité &’attirer l’humidité; de forte que les
peaux dont on fait ainfi lever le grain, font
molles, & que le cuir fort ou de femelle préparé
de cette manière, fe gonfle ou devient fpon-
gieux aux pieds. Ces défauts ont depuis long-temps
fait r-ejeter ce procédé par les 'tanneurs qui con-
noiffent bien leur métier. Ils fe fervent au lieu
de chaux pour planer les peaux, pour lès draïer,.
& pour en faire lever le grain, de plufieurs baffe-
mens ou eaux-de farine d’orgè, de fon, &c.
D ’autres »comme les tanneurs du pays de Liège,
par exemple, font lever le grain des cuirs dans
le jus d’écorce ordinaire; ce qu’on appelle p a jje r
a u x b a fflm en s r ou ge s ; & c’eft-là aüffi la meilleure
manière connue. Mais comme cependant ni toutes
les eaux, ni toutes les iaifons.de l’année ne font
pas propres pour cette opération, & qùè d’aillèurs
il peut arriver de grands & même d’irréparables
défauts aux étuves, il paroît que cette manière
eft au.fli fujette à des imperfeftions manifeftes ; car
quand il arrive que le tiffu d’une peau eft attaquée
par une trop exceflive chaleur, ou qu’i l .y a un
principe de diffolution, les meilleurs remèdes
pour leur donner de la nourriture, ne font plus
en état de rétablir les fibres ' déchirés.
Lorfque le grain du cuir eft une fois levé par
l’un ou l’autre procédé, & que les cuirs fe trouvent
en état d’être fournis à une matière retentive
ou aftringente & nourriffante, on prends pour cela
de l’écorce' de certains arbres, ou bien de la
poudre de tan.
On ne peut pas nier que ce remède rnourrif-
fant ne foit bon & ne rempliffé le but qu’on fe
propofe; mais comme il faut deux ou trois cens
livres de tan, & au moins l’efpace de fix mois
pour bien préparer un feul cuir fort, 'dont on a
auparavant fait lever lé grain; & comme d’ailleurs
le’bois, & par confèquent l’écorce où Te fan deviennent
d’année en année plus rares & plus
chers, on doit défirer, à ce qu’il me fembje, de
trouver un moyen qui ne foit pas fujet aux défauts
des étuves & des baffemens, & par lequel
on puiffe abréger beaucoup le travail, fe paffer
de tan, & préparer des cuirs d’une bonne qualité
& qui foient impénétrables à l’eau.
Ce moyen, nous le trouvons dans l’eau ftyp-
tique que donne le charbon de terre & la tourbe;
cette eau a toutes les qualités de la meilleure
méthode connue d’apprêter les cuirs, & pas un
feul des défauts qui y font fi communs. Je vais
donc entrer avec plaiiir , & de la manière la' plus
exaéte 81 la plus claire qu’il me fera poffible, dans
tous les détails de ce procédé.
I l faut avoir deux cuves bien ieffivées, d’un
bois qui ne donne ni couleur, ni mauvais goût
au liquide qui y féjôurrie. Ces cuves dpi vent avoir
fix pieds*de largeur & quatre pieds de hauteur»
avec des couvercles qui s’y adaptent exactement;
& les fcuves mêmes doivent être fi bien faites,
qu’elles puiffent contenir de l’eau, fans qu’il paffe
la moindre humidité par les joints.
On fe rappelle fans doute que j ’ai dit plus h^ut,
qu’il falloit faire établir une cheminée avecunatre
à la Façade de derrière du laboratoire ; nous allons
maintenant nous en fervir. C’eft donc devant cette
cheminée qu’on placera les deux cuves, de manière
qu’on puiffe tourner tout autour. A l’extrémité
de devant de chaque cuve, on fer'a un petit
trou en terre, garni d’une voûte ceintrée. De cette
voûte jufqu’à. la cheminée on difpoféra deux
tuyaux de terre cuite, ou bien on les 'pratiquera
en briques, en mettant deux briques placées fur
leur hauteur, & couvertes d’une troifième ; conduit
qu’on prolongera jufque dans la cheminée.
Sur deux pareils tuyaux on placera l ’une des
cuves en queftion, & fur deux autres la fécondé
cuve"; & ft’on donnera un empâtement de maçonnerie
aux pans des côtés, afin que les cuves
portent fur ces pans , & ne viennent pas à.écrafer
de leur poids les foibles tuyaux ou conduits qui
s’y trouvent deffous.
Lorfque ces travaux préliminaires .font finis »
& qu’on eft dans l’intention de faire de forts cuirs,
on commence par dégorger & rincer les peaux
verres , & on les étend pour les fendre en deux
de la tête à la queue ; après quoi on les entaffe
dans les cuves fufmentionnées. On peut aufli
laiffer lès peaux entières ; mais on obtient un
meilleur effet quand elles font partagées en. deux.
En plaçant les peaux dans les cuves, ôn. doit avoir
foin de les bien étendre, pour qu’il n’y refte point
de plis ; & l’on peut mettre ainfi douze à quinze
peaux, plus où moins , dans-une cuve ,, fuivant
les circonftances, en plaçant les côtés de là chair
l’un contre l’autre. I l faut avoir foin que les. bords
d’en-haüt des cuves reftent libres d’environ trois
doigts. . .. . .. ;
Quand-les' cuves fe trouvent ainfi pleines,
prenez le tonneau nQ. i . de l’eau ftyptique du
charbon de terre ou de la tourbe, à laquelle vous
mêlerez un tiers d’eau de pluie ou de rivière pour
en remplir les cuves jù(qu’aux bords. Si le tonneau
nQ. r. ne fuffifoit pas pour cela, vous fuppléerez
à ce qui manquera par le tonneau n°. a.
Faites enfuite un - petit feu dans les ouvertures
ceintrées devant les cuves, foit avec du charbon
de terre épuré , ou, ce qui vaut mieux encore,
avec des pelotes ou boules composes d’argille &de
fraifil paitris enlemble, ou avec delà tourbe commune
; fermez vos cuves avec leurs couvercles , &
ayez bien attention que l’eau de ces cuves ne devienne
que tiède, & jamais affez chaude pour qu’on
ne puiffe pas porter la main au fond des cuves fans
craindre de fe brûler.
Pour conferver le degré de chaleur néêeffaire,
vous ferez adapter à ^extrémité extérieure des
tuyaux 7 qui panent par - deffous les cuves, des
couiiffes de fer blanc, pour que vous publiez en
les fermant , ôter la ventilation au feu &Téteindre,
fuivant que le cas l’exige. Après que les cuirs
auront refté pendant dix à douze heures en retraite
dans ces étuves, vous verrez fi la bourre ou le
poil s’en détache ; examen .que vous renouvellerez
d’heure en heure ; & c’eft un point auquel vous
devez bien prendre garde; car du moment que la
dépilation fe fait avec un peu de réfiftance encore,
vous avez obtenu votre but. E t quoique un plus
long délai ne puiffe pas nuire aux cuirs, il eft certain
cependant que par ce retard la bourre fe rattache
aux cuirs, & qu’on a enfuite beaucoup de
peine à les-dépiler.
Quand les cuirs feront dans cet état, ôte.? les
couvercles des cuves, éteignez le feu , & commencez
à ébourrer les cuirs dépilés dans l’eau de
rivière, & vous ferez écouler l’eau des cuves, que
vous effuierezbien avec des linges fecs.
Maintenant, il s’agit de bien étendre de nouveau
les cuirs dépilés, & de les mettre dans les cuves
comme la première fois. Si l’on a de l’eau du
n®. i de refte, on en remplira les cuves jufqu’aux
I)ord.s ; mais dans le cas qu’on n’en ait plus , on
mêlera à celle du tonneau n°. 2 un quart d’eau
de pluie ou de rivière pour remplir les cuvés ,
& l’on fera derechef un petit feu qui donne une
chaleur douce & égale aux cuves , qu’on ne couvrira
plus de leurs couvercles. Dans cet état le
grain commencera à fe lever, & l’on aura foin
de fuppléer , de tems en tems , à l’eau qui abandonne
les cuves par évaporation, par celle du tonneau
n . 2 ; & quand celle-ci viendra à manquer,
on fe fervira de celle des tonneaux, n°. 3 ,4 , &c ;
mais fans y ajouter davantage de l’eau de rivière
ou de pluie.
En dix, douze ou quatorze jours, le, g<an du
cuir fe trouvera affez levé par cet apprêt ; i ’- faut
donc ôter une féconde fois les cuirs des cuves,
& les étendre fur des perches pour les laiffer
égouter. On nettoie pendant cet intervalle les cuves
dans lefquelles on remet les cuirs, 'St qu’on remplit
.de «l’eau ftyptique des numéros Cuvais, qu’on a
foin d’entretenir dans une chaleur égale.
Le but de cette dernière opération, eft de donner
de la nourriture aux cuirs, &. d'en refferrer & fermer
peu à peu les fibres que le gônflumïnt a voit
ouvertes. C’eft. dans cette intention qu’on fe fert
de l’eau des numéros fuivans ; & comme on ne
peut pas douter que la force de cette eau n’augmente
à mefure que les fours ont été plus long-
tems allumés, on ne manquera fans doute pas
de s’apercevoir de la nécelfité qu’il y a de numéroter
les tonneaux dans iefquels on la garde.'
S i , par exemple , on avoit employé pour le
grain des cuirs l’eau ftyptique du n°. 1 jufqu’au
n°. 6 , il n’eft pas indifférent que, pour étuver
les cuirs, on prenne de l’eau du n°. 7 ou du n .
1 2 ; car , en fe fervant de cette dernière, les cuirs
fe crifperoient, & les fibres s’en boucheroient avant
qu’ils euffent eu le tems de "fe pénétrer de parties
nourriffantes.
P6ur éviter cet inconvénient préjudiciable, il
faut commencer l’opération par l’eau ftyptique la
plus foible ; mais l’eau qui fe perd par évaporation
fera remplacée par celle d’un degré de- force
de plus; c’eft-à-dire, par celle des numéros fuivans.
Ces fortes eaux ftyptiques , qui ont une odeur
pénétrante, font chargées de parties balfamiques &
oléagineufes imperceptibles; ^ elles font fi actives »
que quand on en verfe fur la mrin, elles y pénètrent
fur le champ. La même chofe arrive en
faifant lever le grain des cuirs : les fibres ouvertes
fe rempiiffent de parties balfamiques, ce qui leur
donne beaucoüp de corps & de folidité » & les
rend impénétrables à l’eau.
Ces cuirs feront tout-à-fait étuves au bout de
quinze jours ou trois femaines, plus ou moins ,
fuivant leur épaiffeur,- ce que le corroyeur recon-
noîtra facilement. Mais dans les cas douteux, U
vaut mieux laiffer lès cuirs trop long-tems que
trop peu dans l’eau nourriffante ; car on n’a aucun
danger à craindre, à caufe que' le cuir ne peut
abforber de parties étrangères qu’autant qu’il y a
de vide dans les fibres. On tire donc pour la
dernière fois les cuirs de l’eau , & on les fait
égoutter étendus fur des perches ;* & lorfqu’ils
font bien égouttés & froids, on les étend par
terre pour les laiffer féc’ner lentement à l’ombre ,
& on les porte enfin dans la cave, où ils peuvent
refter jufqu’à ce qu’on les emploie ou qu’on les
mette en vente.
C c a