Le corrcyeur & Le cordonnier ont pîufieurs
manières pour s’affurer de la bonté du cuir fort..
La meilleure qui foit connue, eft de bien battre
avec un gros marteau le cuir , après lui avoir
donné la forme d’une femelle, & de voir fi , en
le battant de la forte, il s’allonge , ou s’il confier
ve à peu près la même grandeur; & dans ce
dernier cas , on peut être alluré de fa folidité.
Je me fers encore d'une autre preuve qui me pa-
roît préférable à toutes les autres. Lorfque je veux
comparer l’une à l'autre deux efpèces de cuir fort,
je fèfe féparément deux morceaux d’égale grandeur
; je les mets enfuite tous les deux dans de
l ’eau pendant un certain tems donné , & je les
place de nouveau , chacun à part, dans la balance :
l’on ne peut douter que le morceau dont le poids
en moindre que celui de l’autre, & qui par çon-
féquent a pris la moindre quantité d’eau, ne doive
être regardé comme le meilleur. Les expériences
qu’on a faites prouvent, à ne point en douter ,
que les cuirs préparés avec de l’eau flyptique.de
charbon de terre , fuivant la méthode indiquée ,
font d’une meilleure qualité que ceux qu’on obtient
par les autres procédés connus ; mais il n’en
eft pas de meme de l’apparence extérieure ,.e.ar
les cuirs ont- un oeil brunâtre , & ils peuvent avec
eux une odeur de cuir de roujjL
Si l’on veut apprêter du cuir à empeigne de
peaux de boeuf ou de veau, fuivant la même
méthode , il n'y aura de différence dans la manutention
que dans le tems néceffaire à l’apprêr.
On s’aperçoit fans peine qu’il ne faut pas tant
de tems pour faire lever le grain & donner de
la nourriture à une peau de veau, qu’ à celle d’un
boeuf; & que pour que les cuirs foient d’une bonne
qualité, & pour qu’ils s’étendent bien , tant en,
longueur qu’en# largeur, il eft effentiel de les
fouler convenablement, & ne pas négliger de les
crépir, pour leur faire boire enfuite de la bonne
huile tirée du charbon de terre ; ce qui fert à
augmenter leur folidité , & à les rendre impénétrables
à i’eau. Je ne dois cependant pas négliger
d’avertir que le cuir préparé avec de l’huile de
charbon de terre , jette au commencement une
odeur qui pourra paroître défagréable à beaucoup
de monde. Si l’on veut avoir des bottes ou des
fouliers d’hiver de peau de veau , de chien ou de
biche , avec le poil ou la robe , on peut s’épargner
la peine d’épiler ces peaux ; & l’on n’a pas
à craindre que les fouris ou les teignes attaquent
jamais ces cuirs à p o il, ni que l’humidité puiffe
y pénétrer.
Le bon cuir de fellier pour les foupentes & les
impériales des voitures, eft malheureufement une
chofe fort rare en Allemagne. Le cuir de Hongrie
eft encore le meilleur de tous. On le prépare avec
de l’alun & du fuif. Une peau de boeuf demande
cinq à fix livres de chacune de ces matières. On
prend le fuif, & on en frotte dans un lieu fort
chaud, appelé étuve , avec un gnippon , beaucoup
fur la chair & légèrement fur la fleur; ce procédé
abrège l’apprêt, & donne du corps & de !a
foupldîe au cuit , lorfqu’il eft bien fuifré , & que
par conféquent le fuif ne féjourne pas fur la fu-
perficie du cuir: mais ce procédé eft for- difficile ,
& en même tems fort coûteux. L’alun & le fuif
font chers; la fonte du fu if, le chauffage des
étuves demandent dès combufiibles , & les hon-
groyeurs qui refpirent la vapeur étouffante du fuif
tendu , & qui font un pénible rrava1 dans mi
lieu tiès-chaud , doivent être relevés toutes les
deux heures , & font payés fort cher.
Tandis qu’en apprêtant cette efpèce decuiravec
l’eau ftyptique du charbon de terre ou de la tourbe
on évite ces travaux dangereux & une grande
pa-.tie des frais , puifqu’on n’a befoin ni de fuif,
ni d’alun. La feule différence réelle qu’il y ait entre
l’apj rêt du cuir fort à femelle & le cuir de fellier ,
ne confifte qu’en ce qu’on fait moins lever le
grain de ce dernier.
Le eufr de fellier ne doit avoir que la moitié
de l’épaiffeur du cuir à femelle:-par conféquent
il ne faut Le laitier que la moitié du tems en
retraite , & prendre pour cela la plus forte & la
plus grade eau ftyptique qu’on air. De certe
manière on parviendra à faire un excellent cuir
de fellier, qui pour la bonté méritera la préférence
fur le meilleur cuir de Hongrie.
Si l’on veut s’affurer avec certitude de la meilleure
méthode de préparer les cuirs, il ne fuffit
pas de confronter enfemble les efpèces de Cuirs
apprêtés, mais il faut auffi examiner auparavant
les peaux vertes qu’on veut convertir en cuirs.
La peau verte d’un veau de Weftphalie , de trois
jours , pourra auffi peu être mife en comparaifon
avec la peau d’un veau de Hollande de cinq à
fix femaines,, & bien nourri , que la peau d’une
vieille vache , ou d’un vieux taureau banal, avec
celle d’un boeuf d'Amérique, d’Irlande, de Hongrie
ou de Pologne. Mais lorfque toutes les conditions
font égales ; c’eft-à-dire , lorfque les peaux à apprêter
font exà&tmént de même qualité, on fera
convaincu que ma méthode mérite d’être préférée
à toutes les autres, tant par rapport à l’économie
du tems , des uftenfiles & des frais , que pour
la bonté du cuir même.
Avant de quitter l’art d’apprêter le cuir , il faut
que nous penfions en bons économes , à tirer
parti des retailles. Les perfonnes qui ont quelques
connoiffances des manufadhires & des fabriques
, favent l’emploi qu’on fait des cornes ,
de la bourre , & particulièrement des poils de la
queue , que je ne récapitulerai par conféquent
pas ici, pour ne parler que de i’ufage qu’on peut
faire des pieds, des draîures, ainfi que du refte
d .* l’eau qui demeure dans les cuves. Des draîures
qui viennent des peaux quand on les écharne , .
on peut faire avec avantage une bonne colle ,
quoiqu’on ne les emploie que rarement àcetufage,
car on les donne pour nourriture aux chiens. Mais
le meilleur parti qu’on en puiffe tirer , c'eft de
jeter ces draîures ou écharnures dans «ne foffe
couverte faite en maçonnerie avec du bon ciment ,
où l’on conduira auffi le canal des latrines , pour
faire putréfier enfemble ces matières ; & dans le
cas qu’elles ne foient pas affez délayées , xon y
fera jeter de l ’urine. Ces matières ainfi putréfiées
& bien mêlées , font excellentes pour faire du
falpêtre.
Le troifième produit de nos charbons de terre
confifte en un efprit acide ou fulfureux , dont
l’ufage & le prix font affez connus dans la pharmacie
, ainfi que dans pîufieurs tmnufaéLures. Je
n’en dirai donc rien , fi ce n’eft que dans le cas
que cet efprit foit encore un peu chargé de flegme ,
il faudra le foumettre à une nouvelle diftiilation
pour lui donner le degré de force néceffaire.
Différentes huiles compoient le quatrième produit
du charbon de terre épuré. Ces huiles font
de diverfes qualités, & offrent différentes couleurs
& faveurs, ainfi que le combuftible, fournis à la
diftiilation , offre lui-même pîufieurs différences
dans le mélange primitif de fes parties intégrantes.
Ce feroit m’éloigner de mon but, que de vouloir
entrer dans tous les petits détails particuliers fur
lefquels l’expérience eft d’ailleurs le meilleur
maître. Je ne m’arrêterai donc qu’aux efpèces
principales , en partageant les huiles qu’on obtient
du charbon de terre & de la tourbe, en huile
effentielle , & en huiie graffe ou empyreuma-
tique.
L’huile graffe ou empyreumatique , peut être
employée Tans crainte au lieu de la poix & du
goudron. Il eft vrai qu’un certain chimifte, qui
s’érige en oracle , a déclaré que l’huile du charbon
de terre étoit trop corrofive , & trop fluide pour
remplir ce bur. Mais ce favant homme n’a pas
fu , ou du moins ne s’eft pas rappelé dans ce
moment , par quel moyen facile & fimple on
peut épaiffir les lues ; & ce feroit faire connoître
fon ignorance que de douter que l’ouvrier le moins
inftruit peut changer le goudron fluide en poix,
& par conféquent en une fubftance dure &
feche.
L’exemple de ce qui fe paffe en Angleterre ,
m’évite la peine d’entrer dans des détails fur ce
fujet ■: on y cuit non-feulement du goudron de
charbon de terre ; mais on en a même fait il y
a quelques années, des envois confidéiables dans
de petits tonneaux-., qu’on a vendu à un haut
prix en Hollande. Cette exportation a néanmoins
été défendue auffi-tôt que les Anglois fe font
aperçus de la bonne qualité de ce goudron.
L’huile empyreumatique , telle qu’elle fort du
four , devient un article de commerce, ou peut
être employée en guife de goudron du moment
que le chimifte l’a dégagée de fon fl,gme ; mais
s’il y reftoit encore des parties aqueuies , on les
fera évaporer dans de grandes chaudières de fer.
Si l’on veut convertir cette huile en poix pour
les vaiffeaux , il faudra la cuire de même dans
de grandes chaudières, fans que la flamme puiffe
en approcher, jufqu’à la confi (lance requise, &
l’on recevra les vapeurs qui s’élèvent des chaudières.
Je vais décrire la manière dé faire la poix
de rhuilè de charbon de terre , & celle de recevoir
la vapeur qui s’en élève pendant la cuiffon.
On fait cuire le goudron en plein air , dans
de grandes chaudières de fer feeliées dans un
ouvrage de maçonnerie, avec un petit feu , & en
le remuant toujours , jufqu’à ce qu’il ait acquis
l’épaiffeur néceffaire ; ce qu’on reconnoît par
pîufieurs moyens , dont le meilleur eft de mâcher
le goudron épaiffi ; & s’il ne s’en attache rien
aux dents , on peut être affuré qu’il a acquis la
qualité requife. La poix qui fe trouve maintenant
prête, mais qui eft encore chaude, fe jette dans
des formes creufées en terre, & qu’on a faupou-
drées avec du fable feç ; après quoi on la met
dans des tonneaux. Pour recevoir les .vapeurs
chargées de térébenthine qui s’élèvent du goudron,
il faut établir au-deffus des chaudières un petit
toit qui foit ouvert fur les côtés.
C ’eft dansce toit que vont fe rendre ces vapeurs »
qui, en fe condenfant , fe changent en gouttes ,
& coulent à l’endroit qu’on veut, moyennant des
gouttières en pente douce placées le lorg du toit;
4 e forte que , par la térébenthine qu’on obtient par
ce moyen , on fe trouve richement dédommagé
de la peine de faire ébouillir le goudron.
L’huile épaiffe qu’on tire du charbon de terre
& de la tourbe, mérite fur-tout la préférence fur
le goudron ordinaire , à caufe qu’elle pénètre
. beaucoup plus avant dans les corps, comme , par
exemple , dans le bois , qu’elle préferve par
conféquent auflî mieux de ia corruption ; & que
d’ailleurs elle détruit les vers de mer , fi dange-
' reux , comme on le fait , pour les vaiffeaux.
J’ai renouvelé jufqu’à trois fois l’expérience de
frotrer de ces vers avec de l’huile de charbon de
terre , & de les remettre enfuite dans un vafe
plein d’eau ; & ils font tous morts au bout de
quelques heures.
C e goudron a une odeur particulière, qui n’eft
point du tout agréable ; mais quand on le change
en poix , il perd non-feulement cette mauvaife