
T A C H É O G R A P H I E
O U T A C H Y G R A P H I E
( Art de la ).
L A tachéographie) eft l’art d’écrire auiîi vite
que l’on parle , par le moyen de certaines notes ;
dont chacune a fa fignification particulière &
défignée.
On nomme auffi cet art brachygraphie , en ce
que pour écrire rapidement, il faut fe fervir de
manières abrégées.
Il eft probable que les Romains, qui, avec
les dépouilles de la Grèce, tranfporterent les arts
en Italie , en tirèrent auffi ce genre d’écriture.
Quoiqu’il en foit, dès qu’il eut été découvert ,
il fut bientôt adopté & devint une efpèce d’écriture
courante, dont tout le monde avoit la
c le f , & à laquelle on exerçojt lés jeunes
gens.
Il y avoit à Rome peu de particuliers qui n’euf-
fent quelque Efclave ou affranchi exércé dans
cet art d’écrire.
Pline, le jeune, en menoit toujours un dans
fes voyages, & recueilloit ainfi les harangues
qui fe faifoient en public.
Plutarque attribue à Cicéron l’art d’écrire en
notes abrégées, & d’exprimer plufieurs mots par
un feul caraâère : il enfeigna cet art à Tiron
fon affranchi, d’où cet art a été auffi appelé
notes àe Tiron. Ce fut dans l’affaire de Catilina
, que Cicéron mit en ufage cette invention
utile.
Nous devons à cet art le fameux difcours que
Caton prononça contre Céfar ; Caton ne don-
noit aucunes de fes belles harangues , & Cicéron
fe les procuroit per le moyen des tachygraphes
qu’il plaçoit dans différents endroits du
Sénat.
Augufte charmé de cette^découverte, deftina
plufieurs de fes affranchis à cet exercice ; & l’empereur
T ite , au rapport de Suétone, s’y étoir
rendu fi habile, qu’il fe faifoit un plaifir de défier
fes fecrétaires mêmes.
Il y avoit à Rome des maîtres ou profeffeurs
en tachygraphie ; -ceux qui exerçeient cet art
s’appeloient curfores à caule de la rapidité avec
laquelle ils traçoient le difcours fur le papier
: cependant cet art étoit très - difficile à
caufe de la quantité de cara&ères qui s’y trou-
voient.
Vigenère dans fon traité des chiffres dit, pour
me fervir ;de' fes termes, que c’étoit une profonde
mer de confufion & une vraie gêne de
la mémoire , comme chofe laborieufe infiniment.
En effet, de retenir cinq ou fix mille notes
arbitraires, & de les placer fur le champ, doit
être un très-laborieux & très-difficile exercice.
On fe fervoit auffi autrefois des figles.
Le mot figh peu connu en notre langue, lequel
vient de figilla , diminutif de figna eft un figne
defiiné à exprimer un m o t, ou du moins une
fyllable fans le fecours des autres lettres; ou
pour-mieux dire ce font des initiales qui figai-
fient des mots entiers.
Ainfi les anciens écrivoient N. P. pour no’bilif-
fimus puer ; S. P. D. fàlutem pluritnam dicit. S.
V. B. E. E. Q . V. Si vales bene e jl, ego quoque
valeo.
Ils a voient des figles contournés comme 3 L
pour fignifiér conlibertus & des figles renverfés
pour marquer le féminin comme 3 q conliberta.
L’écriture abrégée par des figles a été en ufage
t a c T A C 4 S
dès les temps les plus reculés. Les plus anciens
livres des Hébreux, nous en ont confervé beaucoup
d’exemples.
^ Les Grecs tirèrent des Phéniciens cette forte
d’obfervation dont on aperçoit l’origine dans les
chiffres am tiques.
Le Sénat Romain permit qu’on s’en fervît dans
des aàes publics pour des formules long-temps
avant l’invention dés notes de Tiron.
Depuis4 on fit ufage de cette écriture, dans
les affaires publiques & particulières , comme
pour les infcriptiôns , les manufcrits , les lois ,
les difcours 6c les lettres.
Mais la multiplicité des 'figles caufa une
confufion énorme , & le voile énigmatique
qidelle jetta par là fur une infinité de mots , fit
que les inconvéniens furpafferent de beaucoup
l’utilité , à caufe de la diverfité des interpréta-
tions.^
L’Empereur Juftinien porta une loi qui bannit
les figles des livres de droit, & qui décerna la
peine de crime de faux contre ceux qui les in-
troduiroient en copiant les lois de l’Empire. L’Empereur
Bafile rendit un pareil édit.
On employa encore, pour abréger, les mono-
grumes qui font des caraôères faftices ou des chiffres
compofés de toutes ou des principales lettres
d’un nom.
Mais cette forte d’écriture très-ancienne, fait
éprouver à ceux qui veulent la déchiffrer des difficultés
infurmontables. Les plus habiles s’y trompent
fouvent ; d’ailleurs comme ils étoient des
efpèces de fignatures , on les rejetta pour l’écriture
par abréviations.
Les Anglois ont perfe&ionné la tachéographie
& ont pouffé ce genre d’écriture au point de
fuivre facilement l’orateur le plus rapide ; c’eft de
cette manière que l’on recueille les difpofitions
des témoins dans les procès célèbres, les harangues
dans les chambres du parlement, les difcours
des prédicateurs , &c. de forte qu’on n’y
■ peut rien dire impunément dans une compagnie ,
pour peu que quelqu’un fè donne la peine de recueillir
les paroles.
Cet art eft fondé . fur les principes de la langue
& de la Grammaire.
Les Anglois fe fervent * pour cet effet, d’un
alphabet particulier compofé des fignes les plus
fimples, pour les lettres qui s’emploient le plus
fréquemment, & des plus compofés , pour celles
qui ne paroiffent que plus rarement.
Ces cara&ères dont l’affemblage eft’ très-facile
forment des monogrammes, qui expriment fou-
vent un mot tout entier.
Quoique depuis un fiècle & demi, ils aient
beaucoup multiplié les méthodes de pratiquer cet
ar t, ils ne fe fervent aujourd’hui que de celles de
Macaulay & de Wefton ; ils ont même plufieurs
livres imprimés avec- ccs caraéfères.
La méthode de Wefton eft recommandables*,.
.. i°. Par la fiippliçité des cara&ères.
2°. Parla facilité de les joindre, inférer & combiner
les. uns aux autres.
30. Par l’emploi des monogrammes.
40. Par la fuppreffion totale des voyelles,comme
dans les langues orientales.
5°. par l’ufage d’écrire comme on prononce ,
ce qui évite les afpirations, les lettres doubles &
les muettes.
Les cara&ères enfëignés par Wefton font au
nombre de 72, dont 26 comprennent Pal phabet,
y ayant quelques lettres’ qui s’écrivent de différentes
façons fuivant les circonftancs , & cela, pour
éviter les équivoques que la combinaifon pourroit
faire naître.
Les 46 cara&ères reftants fo nt pour les articles ,.
pronoms, commencements 6c terminaifor.s qui fe
repètent fréquemment , & pour quelques adverbes
& prépofitions.
Il eût été à defirer que l’on eût pu adopter
pour le François , cette méthode de la tachygraphie
Angloife ;> mais elle n’eft praticable en Anglois
, que parce qu’ils n’ont point de genre ,
que le même article exprime le mafcuiin & le
féminin , le fingulier & le plurier : de plus les
terminaifons des verbes auxiliaires ne variant
guèfes que dans le préfent, -cela occafionne une
bien plus grande facilité.
; Toutes ces difficultés ne permettant point d’adapter
à la langue. Françoife cette façon d’écrire ,
il a donc fallu recourir aux racines de l’idiome
6c faire une tachygraphie particùlière.
M. Coulon de Thevenot, & M. Dupont, Ta-
chygraphe de Monfeigneur le Duc d’Orléans ,
ont donné une Tachygraphie, dont la méthode
.paroît aifée & courte.
Cependant elle exige de l ’exercice , & de
l’habitude que les éleves de ces maîtres acquiérent
en peu de temps.
Nous ne rapporterons point ces fignes qui ne
font pas encore adoptés affez généralement, &
qui d’ailleurs feroient infuffifans fans les leçons
& les explications du maître ou dç l’inventeur.
Au refte la Tachéographie appartient plus à
la littérature qu’aux arts , & trouvera fans doute