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T É R É B E N T H I N E .
( Art de recueillir et de préparer la )
X j A térébenthine eft un fuc réfineux qui Te tire
de divers arbres ; car quoique ce mot ne convienne
qu’à la feule réfinè qui coule du térébinthe , on
l’étend à divers autres fucs de même nature.
On diftingue cinq fortes de térébenthine Ravoir:
celle de Chio , de Perfe, de Venife, de Strasbourg,
& la commune.
I. La térébenthine de Chio, ( térébenthina Chia,
vel Cypria ) eft un fuc réfineux liquide qui
découle du térébinthe , blanc, jaunâtre, ou de la
couleur du verre , tirant un peu fur le bleu ,
quelquefois tranfparent, de confiftance tantôt plus
ferme, tantôt plus molle, flexible & glutineux.
Lorfqu’on frotte la térébenthine entre les doigts,
elle fe brife quelquefois en miettes; le plus fouvent
cependant elle eft comme le miel folide ; elle
cede & s’attache aux doigts comme lub Son odeur
eft forte , mais non défagréable , femblable à celle
de la reflue du Méiefe , c’eft-à-dire la téré-
bentine de Venife, fur-tout lorfqu’on la manie dans j
les mains , ou qu’on la jette fur les charbons ;
elle eft modérément amère au goût, & âcre.
On eftime particulièrement la térébenthine qu’on
apporte dire&ement de l’Ifle de Chio & de Cypre.
C ’eft de ces Ifles qu’elle tire fon nom. Les anciens
la connoiffoient & en faifoient ufage.
Les térébinthes de Chio & de Cypre , font
des arbres réfîneux qui nailfent fans culture dans
ees Ifles, fur les bords des vignes , & le long des
grands chemins. - Leur tronc eft aufli haut que
celui du lentifque , aufli branchu, touffu & couvert
d’une écorce gercée, grifâtre , mêlée de brun.
Ses feuilles naiffent fur une côte longue d’environ
quatre pouces , rougeâtre , arrondie fur le
dos , flllonnée de l’autre côté & terminée par une
feuille ; au lieu que les autres font difpofées par
paires. Toutes ces feuilles ont un pouce & demi
©u deux pouces de long fur un pouce de largeur
vers le milieu, pointues par les deux bouts, relevées
fur le dos d’un filet confidérable, fubdivifé en
menus vajffeaux jufque fur les bords. Elles font î
fermes, d’un vert luifant un peu foncé, & d’u®
goût aromatique mêlé de ftipticité.
Les fleurs naiffent à l’extrémité des branches fur
la fin d’Avril, avant que les feuilles paroiffent.
Ces fleurs font entaffées en grappes, branchues
& longues d’environ quatre pouces : chaque
j fleur eft à cinq étamines qui n’ont pas une ligne
de long, chargées de fommets cannelés, verts
jaunâtres, ou rougeâtres , pleins d’une pouflière
de même couleur ; toutes les fleurs font difpofées
par-bouquet fur les grappes, & chaque bouquet
eft accompagné de quelques petites feuilles velues
blanchâtres, pointues, longues de trois ou quatre
lignes.
Les fruits naiffent fur des piés différents, rarement
fur le même que les feuilles ; ils commencent
par des embryons , entaffés aufli en grappes,
de trois ou quatre pouces de longueur, & s’élèvent
du centre d’un calice à cinq feuilles verdâtres,
pointues,qui à peine ont une ligne de long. Chaque
embryon eft luifant, liffe , vert, ovale, pointu,
terminé par trois crêtes couleur d’écarlate ; il
devient enfuite une coque affez ferme, longue de
trois ou quatre lignes , ovale , couverte d’une peau
orangée ou purpurine, un peu charnue , ftiptique,
aigrelette , réfineufe. La coque renferme ün
noyau blanc, enveloppé d’une peau rouffâtre.
Le bois du térébinthe eft blanc.
La térébenthine qui découle de cet arbre eft
épaiffe & en abondance.
La récolte de ce fuc fie fait en incifant en travers
avec une hache les troncs des térébinthes depuis
la fin de juillet jufqu’en oâobre. La térébenthine
qui en coule tombe fur des pierres plates placées
fous ces arbres ; on l’amaffe avec de petits bâtons
qu on laiffe enfuite égoutter dans des bouteilles.
On la vend , dit-on, fur les lieux trente ou trente
cinq palats l’ogue , qui fait trois livres & demie
& une once.
Toute 1 Ifle de Chio n’en peut fournir plus de
trois eents ogues.
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II. Kæmpfer fait particulièrement mention de
U térébenthine de Perfe , très-ufltée parmi les
Orientaux. Elle eft peu différente de celle de Cypre.
On la recueille des térébinthes qui abondent dans
les montagnes, dans les déferts , aux environs de
Schamachia en Médie, de Schiras en Perfe, dans
les territoires de_Luriftan & ailleurs.
Les habitants retirent beaucoup de liqueur
réfineufe qui coule pendant la grande chaleur,
du térébinthe auquel on a fait une incifion, ou de
lui-même , ou des fentes & des noeuds des fouches
qui pourriffent Ils font un peu cuire cette liqueur
à un feulent, & ils la verfent avant qu’elle commence
a bouillir : étant refroidie elle a la couleur
& la confiftance de la poix blanche.
Cette térébenthine fert principalement de mafti-
catoire aux Orientaux. Les femmes fur-tout qui
demeurent au-delà du fleuve Indus ont de la peine
à fe paffer de çette réfine , prétendant qu’elle
procure de la blancheur & de la fermeté aux dents,
& qu’elle donne à la bouche une haieine agréable.
Les habitans du mont Benna en Perfe, né tirent
paà la térébenthine du tronc de l’arbre par des
incifions , mais ils brûlent le bois même du térébinthe
pour en faire la réfine, jufqu’à ce qu’elle
ait la couleur d’un rouge brun foncé. Elle fert
aux peintres à caufe de la vivacité de fa couleur:
car cette réfine eft dure, friable & brillante. On en
trouve chez les Turcs dans les boutiques, fous
le nom de Sijap Benna c’eft-à-dire noir du mont
Benna.
III. La térébenthine de Venife, ou des Mélèfes
eft une fubftance réfineufe , liquide , limpide ,
gluante , tenace , plus grolfièrc que 1’hutle, plus
coulante que le miel; elle découle également &
entièrement du doigt qu’on y a trempé , eft un
peu tranfparente comme du verre , de couleur
jaunâtre, d’une odeur réfineufe pénétrante, agréable
, & cependant un peu dégoûtante ; d’un goût
fin , âcre & un peu amer, qui furpaffe par fon
âcreté & fa chaleur la réfine du térébinthe.
On eftime celle qui eft récente , pellucide ,
blanche \ liquide, qui n’eft pas falie par des ordures
, & dont les gouttes s’attachent à l’ongle ,
fans couleur.
On l’appelle térébenthine de Venife , parce qu’au-
trefois on l’apportoit de ce lieu ; mais préfente-
ment on l’apporte du Dauphiné & de la Savoie..
, -- ;
Cette efpèce de réfine étoir connue des anciens
Grecs , & dès le temps de Galien.
Le mélèfe qui produit cette efpèce de térébenthine
,* eft un grand arbre qui fe trouve communément
dans les montagnes des Alpes, des Pyrénées
& de l’Apennin; dans le Canada, dans le
Dauphiné en France , & particulièrement aux
environs de Briançon.
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C ’eft le feul des arbres rèfineux qui quitte fes
feuilles en hiver. Il donne une tige aufli droite ,
aufli forte & aufli haute que les fapins , avec lesquels
il a beaucoup de reffemblance à plufieurs
égards.
La tête de l’arbre fe garnit de quantité de branches
qui-s’étendent & fe plient vers la terre.-Les
jeunes rameaux font fouples comme un ofier ,
àt tout l’arbre en général a beaucoup de flexibilité.
Son écorce eft épaiffe, crevaffée , & rouge en
dedans, comme celle de la plupart des arbres ré-
fineux.
Au cômmencement du Printemps , cet arbre
à un agrément fingulier : d’abord les jeunes branches
de la derrière année fe chargent de fleurs
mâles , ou chatons écailleux, de couleur de fou-
fre , raffemblés en un globule. Les fleurs femelles
paroiffent enfuite à d’autres endroits des mêmes
branches. Ce font de petites pommes de pin ,
ècailleufes d’une vive couleuf de pourpre violet
, de> la plus belle apparence : puis viennent
les feuilles d’un vert tendre des plus agréables ;
elles font raffemblées plus ou- moins en nombre
de quarante ou fioixante, autour d’un petit ma*
melon.
L’arbre produit des cônes qui contiennent la
femence ; ils font en maturité à la fin de l’hiver ;
mais il faut les cueillir avant le mois’ de mars ,
dont le hâle les fait ouvrir , & les graines qui
font très-menues & très-légères, tombent bientôt
& fe difperfent.
Le méiefe réfifte aux plus grands hivers. Son
accroiffement eft régulier. 11 fe plaît dans les
lieux élevés & expofés au froid , fur les croupes
des hautes montagnes , tournées au Nord dans
des places incultes & ftériles. Il vient aufli dans
un terrain fec & léger ; mais il fe refufe au plat
pays , aux terres fortes, crétacées , fabloneufes ,
à l’argile, & à l’humidité. Il lui faut beaucoup
d’air & de froid , il n’exige aucune culture lorf*-
qu’il eft placé à demeure.
Le mélèfe eft renommé pour trois productions ,
la manne, l’agaric & la réfine.
Cette réfine, dont il s’agit i c i , qu’on nomme
autrement térébenthine, fe tire du méiefe en y fai-
fant des trous, avec la tarrière. On tire cette réfine
depuis là fin de mai, jufqu’à la fin de fep-
tembre.
Les arbres vigoureux en donnent plus que
ceux qui font trop jeunes, ou trop vieux.
Un mélèfe dans la force de l’âge peut fournir
tous les ans fept à huit livres de térébenthine ,
pendant quarante ou cinquante ans.
IV. La térébenthine de Strasbourg, ou plutôt la