
Façon de travailler.
La pièce arrêtée entre les pointes des poupées , la
corde ajuftée & le fupport placé & arrêté au
plus près que l’on pourra de l’ouvrage fans qu’il
y touche , l’on prendra une gouge d’une grof-
feur proportionnée à celle de la pièce que tout
droit , le corps libre fans être appuyé d’un dof-
fier ( que l’on ne confeille point à ceux qui
commencent) l’on tiendra delà main gauche par
le manche un peu incliné, le dos de la main en
bas.
On empoignera au fil avec la main droite l’outil
le plus prés que Ton pourra du taillant, en
deçà du fupport, le dos de la même main tourné
en haut , & en appuyant bien le bout de la
gouge fur le fupport , on préf? ntera le taillant
un peu plus haut que le diamètre horizontal de
la pièce, comme voulant faire une tangente avec
la rondeur de la pièce ; puis pouffant hardiment
la pédale avec le pied droit, du plus haut que
l’on peut plier la jambe au plus bas que l’on
peut l’étendre , & conduifant .de la main gauche
la gouge ferme & affurée fur le fupport le long
de la pièce, l’on coupera le bois nettement.
La pièce étant ainfi dégroffie ou ébauchée avec
la gouge , on prendra un cifeau ou bien une
plane. C ’eft un outil long & plat en fon étendue
, droit & taillant par le bout.
Le taillant eft à double bizeau l’un par -dsffus
& l’autre par-deffous.
I ; y a deux fortes de ces outils ; l’ùne dont
le taillant eft un peu de biais, c’eft ce qu’on appelle
proprement un cijeau j l’autre dont le taillant fait
dtu< angles droits avec les deux cotés, c’eft ce
qu’on nomme la plane.
On tiendra donc le cifeau de lamême façon que la
gcuge, c’eft-à-dire, tenant le manche de la main
gauche , & empoignant le fer de la droite , le
puis près du taillant que l’on peut & de la même
ïndinaifen que la gouge , en obfervant que le
taillant du bizeau ne fait point paral'è’é à la ligne du
centre de la piece j mais bien couche , tant foit ■
peu de biais , afin que le taillant morde mieux
& avec moins de rifque de garer l’ouvrage.
.On prendra aufli garde, lorfqu’on voudra
t aller un quart de rond fur la piece , de conduire
le cifeau avec une grande fermeté & toujours
couoant le bois du milieu du taillant.
Il faut auffi pren’re garde que les coins du
cifeau ne touchent point l’ouvrage , car on feroit
de feiw traits , comme fort ordinairement ceux
qui fé iaiffent'gouverner à foutil.
Il faut avifp attendre que le bois en tournant
fe ccupe également, & ne point pouffer l’outil
mal à propos , plus fortement une fois que l’autre,
& ne pas fuivre l’ouvrage , c’eft-à-dire # laiffer
aller fa main.
C ’eft le défaut oii tombent prefque tous les
nouveaux tourneurs qui , fe contentant de faire
couper leur outil, ne tournent jamais ni rondement
, ni uniment ; mais l’ufage leur apprendra
cette obfervation familière , s’ils s’étudient à bien
manier la gouge & le.cifeau qui font fans contredit
les plus u{nés & les plus néceffaires en
cet art , fur-tout au tour fimple entre les deux
pointes.
On ne peut d’ailleurs bien travailler fur les
bois tendres qui ne fe tournent qu’en coupant,
que par le moyen de ces deux outils ; car pour
les bois durs ou matières folides comme buis ,
corne , ébenne , ivoire , & prefque généralement
tous les im-taüX, on ne les tourne guère qu’en
i a i (Tant ou raclant.
Alors on fe fert de quelques outils un peu
différens qu’on peut rapporter à trois fortes, &
c’eft auffi avec trois outils qu’on peut faire ces
fortes d’ouvrages.
Le premier eft le bec-d'âne, à face droite.
Le fécond , un autre bec-d'âne ou mouchette à
face ronde.
Le troifème, uij grain-d’orge, ayant trois côtés
ou taillans.
Il en faut avoir de différentes groffeur ou largeur
, fçavoir de grands , de petits & de
moyens.
Leur ufage en eft fort facile, puifqu’il n’y a
qu’à racler la matière , &. non pas à tailler comme
avec le cifeau 6c la gouge.
C’eft pourquoi il faut obferver que pendant
le travail leur fituation doit être différente, car
ils doivent être tenus horizontalement, c’eft-à-
dire , que leur face fupérieure foit prefque dans
le même p’an que le plan horizontal qui traver-
feroit le milieu ou centre de la pièce.
Or , comme toutes les moulures qu’on peut
faire au tour fur une pièce , ne peuvent être que
droites ou rondes , il suffit de feavoir bien l’ufage
de ces trois .outils pour faire toutes fortes d’ouvrages.
Car premièrement avec le bec-d’âne droit on
peut faire une plate-bande , & avec ce même
outil on peut fort bien arrondir un aftragale ou
boudin, en conduifant le taillant de l’outil, tanr
tôt à droite, tantôt à gauche.
La mouchette ou bec-d’âne rond, fert à tailler
les creux ronds ou fcolfes.
Enfin le grain d’orge fert à tailler tant
le rond que le plat , en conduifant tantôt
à droite , tantôt à gauche ; & afin que ces trois
fortes d’outils pu.ffent fervir plus commodément
& fe confetver plus long- te ms , il ne faut pas
que leur bifeau foit, d’un angle trop émouffé , ni
trop aigu, mais qu’il approche tant qu’on pourra
d’un angle de 45 degrés, & de cette façon le
taillant durera plus long-tems 6c rendra l’ouvrage
plus net. H
Outre ces fortes d’ outils ; fa voir la gouge ; le
cifeau, le bec-d’âne droit, le bec-d’âne rond , &
le grain-d’orge-, on fe fert encore d’un autre d’une
conflruélion toute particulière. Véritablement
riif.tge en eft un peu difficile du commencement,
mais auffi quand on a appris à s’en bien fervir ,
o.i eft expéditif dans les ouvrages.
C’eft une manière de crochet à double taillant
pour pouvoir s’en fervir à droite & à gauche. Il
n’eft pourtant bon que pour de gros ouvrages , 6c
fur-tout pour creufer de grandes-vaiffeiles de bois,
comme mortiers, jattes 6c ècuelleî.
Les Italiens s’en fervent ordinairement, 8c ils
l’appellent grampino.
Voilà les outils les plus communs & les plus
néceffaires du tour : ce n’eft pas qu’il n’en faille
une infinité d’autres pour exécuter mille beaux
deffeîns qu’on imagine tous les jours ; mais ils fe
réduifent prefque tous à ceux-ci.
Comment il faut polir les ouvrages.
L’ouvrage étant entièrement formé , il eft be- J
foin de le polir. Or comme il eft bien difficile
d’y donner le dernier poli avec les outils dont on
vient de parler , il faut nécéffalrement ufer de
quelque artifice pour le'rendre'parfaitement uni,
fuivant les différentes matières.
Les bois tendres, comme poirier, noyer , érable
doivent fe polir avec la peau de chien de mer,
ou bien avec la prêle de montagne.
Le chien de mer eft une efpèce de poiffon , 8c il
y en a de deux fortes ; l’un.dont la peau eft gji-
ftitre , c’efi ce que nous appelons proprement
ck en de mer ;. l’autre efpèce a la peau rouffâtre , &
c’eft pour cet effet qu’on l’appelle communément
roujfeue ou tanelle.
La peau la plus ufée ft toujours la meilleure-
La nouvelle n’eft pas fi propre à caufe. de fa ru-
deffe.
Pour la prêle , c’eft une p’ante qu’on nous apporte
des montagnes , où> elle naît dans des lieux.
humides. Ses tiges font nues , fimples, rondes ,
épaiffes à peu près comme des plumes à écrire..
Elles fonttoute» difpofées par noeuds , & creufées.
comme les rofeaux. C’eft proprement l’efpéce dont
il Faut- fe fervir. La plus-vieille eft la iruifleme ;
mais avant de l’employer, il faut rhumeéler tant
foit peu, autrement elle fe froiffe toute , -Si ou a
de la peine à bien adoucir & finir fon ouvrage.
E!:e eft. propre panieuilèrement à unir les bois
durs , comme le. buis , le gaïae, l’ébène ; mais
après les.avoir bien prcfîés 6c nettoyés, il faut
les frotter légèrement ou avec de la cire, ou avec
un peu d’huile d’olive , qu’on effuie & qu’on frotte
enfuite ou avec les copeaux du même bois , ou
d’étoffe un p:u ufée.
L’ivoire, la c o r n e l ’argent & le laiton fe po-
liffent avec la pierre ponce, pilée finement. On
la met fur d.11 chamois ou du linge un peu mouillé,
en fuite on en frotte la pièce en même temps qVon
la tourne ; & pour mieux rechercher les angles
où il pourroit être relié quelque ordure, l’on fe
fert d’une petite breffe trem; ée dans de l’eau,
avec laquelle on frotte doucement l’ouvrage ,
en tournant jufqu’a ce qu’il n’y ait plus-d’ordure
; mais pour le conduire à un plus grand poli ,
on fe fervira de tripoli , puis de potée ou chaux
détairi.
Le fer & l’acicr fe poliffent avec de la poudre
bien fine d’émeril d’Angleterre r on la mêle avec
l’huile, & îa menant entre deux pièces d’un bols
bien tendre, on en. frottera bien la pièce.
Pour l’étain & l’argent , on ne le polit bien
qu’avec un bruniffoire ou avec cette pierre rouge
qu’on appelle fanguine dure. On peut auffi les polir
avec la potée , la mettant à foc ejans une peau
de chamois, ou bien avec la paume de la main.
Comment il faut tourner le f r .
L’importance, dit le P. Plumier, qu’il y a d’avoir
un. arbre ou mandrin de fer exaélcm-nt rond
pour tourner avec la jufteffe requife , & l’impof-
fibilité d’en pouvoir faire à. la finie., m’ont fait
rechercher avec foin les ouvriers qui fuffent tourner
& couper vivement le fer. M fis quelque recherche
que j'aie faite dans, tous mes voyages., je
n’en ai rencontré que deux, capables de me fatis-
faire ; l’un à Rome,, allemand de nation , appelé
Il êignor Gu llelmo, employé à la fabrique des
monnoies , & l’antre à Paris , appelé le fieur Pierre
Taiiemars, mathématicien qui, fans fe fervir ni
de crochets , ni de roue, mais bien au pied & à
la perche avec un outil à bec-d’âne , au tour à
deux pointes, ou bien au mandrin ,. coupe le fer
& Parier en auffi gros copeaux & auffi vivement
que le fieur Ma abois,. ce fameux tourneur pour
le Roi d'ans le Louvre., coupe rébene & l’ivoire.
Je lui ai même vu couper , en t èvpeu de tems,
une vis de fer de trois pouces de diamètre, fur