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laiffe peu cuver les premiers & pas allez les derniers.
Si l’on a du vin en bouteilles qui foit totalement
gras, il faut, pour le dégraiffer comme il convient,
prendre un tonneau de la grandeur proportionnée
à la quantité qu’on a de bouteilles : on les vide
dedans avec un feau de bonne lie , & Ton fait
enfuite la même opération que ci-devant ; mais
lorfqu’on veut le remettre en bouteilles, il faut,
en le collant , -ajouter aux blancs d’oeufs un peu
d’alun calciné : la contenance du vaiffeau doit toujours
déterminer le nombre d’oeufs & la quantité
d'alun qu’il eft néceffaire d’employer : par ce moyen
on peut être aiïuré de rétablir fon vin , & qu’alors
il ne fera point de dépôt dans la bouteille.
Les vins qui tournent à l’amertume, font ordinairement
ceux qui ont le plus de qualité , en
même temps le plus de difpofùion à s’ufer promptement
; cependant il eft rare qu’ils fe trouvent
affectés de ce goût dès la première année qu’ris
font faits ; ce n’eft qu’en vieilliffant & vers la
fécondé année qu’ils y font expofés ; mais il eft
auffi aifé de prévenir cette maladie, que difficile
d’y remédier quand ils font totalement tombés en-
amertume : o r , pour les garantir de cette défec-
tuofité , il ne s’agit, outre la précaution de mécher
la futaille lors du foutirage, que de remplir chaque
tonneau tous les ans, avec vingt à trente pintes
de bon vin nouveau dès qu’iL eft éclairci ; par
cette attention on renouvelle & conferve fon vin
une & deux années de plus, fans craindre qu’ri
éprouve ce goût défagréable. Tout poffeffeur de
vin doit avoir foin de goûter de temps en temps
toutes fe s pièces de vin l’une après l’autre , pour
s’aflurer s’il n’y en a pas qui pèchent ou qui aient
de mauvaifes difpofitions ., afin de' pouvoir y remédier
plutôt que plus tard ; car dès qu’on a du
vin entièrement tourné à l’amertume, il n’eft guère
poffible de le rétablir parfaitement : le feul moyen
pour y pai venir, confifte à fou tirer d’abord fon
vin pour le pafler fur une lie fraîche & généreule
de bon vin nouveau ; au bout d’une quinzaine de
jours enfuite, on le retire en le tranfvafant dans
une autre pièce nouvellement vide qu’on aura eu
foin de mécher, obfervant de la tenir pleine juf-
qu’à rafe de l’intérieur de la bonde : alors on prend
la mie d’un pain fortant du four, qu’on met delfus
en guife de bonde , afin qu’elle s’impreigne de
l’amertume du vin ; & dès-qu’elle en eft tout à-
fait imbibée, on l’pte, puis on colle fon vin avec'
les blancs, d’oeufs & l’alun calciné. Voici cependant
un autre moyen : faites bouillir un picotin
d’orge dans quatre pintes d’eau , jufqu’à réduction
de moitié ; paffez-la à travers un linge ; faites-y
fondre un gros de bon tartre de vin & autant
d’alun ; mettez le tout dans le tonneau , avec l’attention
de bien remuer le vin avec un bâton fendu
en quatre , fans qu’il puiffe toucher à la lie.
Pendant les grandes chaleurs & féchereffes de
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l’été , le vin qui n’eft pas bien encavé, en fouffre
considérablement, pouffe, travaille, prend un g.ût
d’échaud ou devient boité ; ce qui n’eft occafionné
que par une fermentation extraordinaire, accidentelle
ou contre nature, qui fait furmonter la lie
en trouble le v in , qui devient d’une confiance
épaiffe , le corrompt, le rend d’un ufage nuifible
& l’expofe à devenir béfaigre, & fans autre ref-
fource que celle d’être converti en vinaigre pour
peu qu’on tarde à y remédier. Du moment qu’on
s’aperçoit qu’un tonneau de vin travaille & qu’il
fe trouble, il faut en tirer par unfoffet, de manière
qu’on puilfe le remplir après , avec environ trois
chopines d’eau de puits, la plus claire & la plus
fraîche qu’on pourra fe procurer: on la verfe à
petit filet & du plus haut poffible dans le.tonneau,
fur la bonde duquel on met enfuite des feuiUes de
vignes ; & l’on a foin auffi d’arrofer avec la même
eau , plufieurs fois par jour , les cercles & les
fonds, afin d’en pouvoir lufpendre la fermentation
; & dès qu’elle eft arrêtée , on foutire fon
vin dans une autre pièce récemment vide, qu’on
aura eu foin de mécher auparavant, & on la colle
enfuite avec douze blancs d’oeufs & un quarteron
d’alun calciné, joint à un peu de fel de cuifine
bien defféchè. Par ce procédé on rend ' fon vin
très-potable, & l’on ne court pas les rifques qu’il
devienne béfaigre.
Si cependant on avoit des vins qui fuffem décidément
aigres, on pourroit, pour les rétablir,
tenter les moyens fuivans : après avoir foutiré &
mèehé le vin qui eft aigre, on prend deux écorces
d’oranges & trois muleades réduites en poudre,
qu’on met dans le tonneau , puis on a foin d’en
agiter le vin ; & après l’avoir fermé, on le laiffe
quinze jours fermenter ; enfuite on goûte fon vin,
qui alors fe trouve rétabli : autrement on prend
trois à quatre onces de blé ; on le fait bouillir dans
de l’eau pure jufqu’à ce qu’il crève, enfuite on le
laiffe refroidir & on le met dans le tonneau, enfermé
dans un petit fac, ayant foin avant, d’en
bien remuer le vin. La femence de poireau eft
auffi très-propre à corriger l’aigreur des vins, de
même que les pois chiches oints d’huile d’olive,
cuits, & mis dans le tonneau avec un peu de fel
de tartre. J’ai connu des marchands de vin qui,
pour rendre potables de tels vins, mettoient les
trois quarts d’une livre de potaffe par demi-queue,
jauge d’Orléans : peu de temps après ils les tranf-
vaioient & les colioient avec l’alun & les blancs
d’oeufs. On peut encore'corriger & rendre importable
l’aigreur du vin avec le fucre & le miel,
lorfqu’il n’eft pas tout-à-fait aigre ; mais il ne faut les
employer que par petite quantité. Il eft encore d’autres
moyens plus propres à rétablir les vins aigres,
ou du moins à en mafquer le goût ; mais ils font
trop dangereux pour qu’on puiffe les indiquer ici.
On diftingue encore différens goûts défectueux
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dans les vins, comme d’herbages, de terroir, de
fût & de moifi. Les deux premiers goûts , tenant
à la nature du v in, font principalement affectés à
la lie : en conséquence on peut en corriger la
mauvaife qualité ; pour cet effet il faut les foutirer
peu de temps après qu’ils font faits, & les mettre
fur une lie étrangère riche & généreufe , provenant
d’excellent vin : au bout de trois femaines
ou d’un mois, on les foutire de nouveau dans des
futailles bien envinées, qu’on a toujours foin de
mécher avant que de les remplir; enfuite on les
1 colle-avec les blancs d’oeufs & l’alun calciné. Les
gens de l’art, tels que les commiffionnaires de provinces
, les marchands de vin de Paris & autres
font dans l’ufage, outre ce qu’on vient de dire ,.
de couper ces vins avec d’autres & de les paffer
fur des copeaux râpés, tant-pour en faire diiïiper
le goût que pour les éclaircir, fur-tout à l’egard
des vins nouveaux..
Quant aux vins qui ont un goût de fût ou qui font
cbancis, on parvient à les rétablir en très-grande
partie, en fuivant la même opération que celle
j indiquée ci-devant pour les vins tournés, à l’amertume
: on y ajoute de plus uti petit fachec contenant
quatre onces' de baies de laurier & une écorce
[ d’orange pulvérifée , avec un peu de limaille de
fer’ , afin qiVë le nouet nè fumage pas en le fuf-
pendant dans le milieu du tonneau : autrement on
prend line livre & plus de froment bien grille,
qu’on met dans un petit fac & qu’on laiffe fuf-
pendre dans le tonneau pendant trois ou quatre
jours. Mais pour ceux qui font moifis ou qui ont
i line mauvaife odeur, voici un moyen certain pour
la leur ôter : on prend du genet avec fix feuilles
d’orv-ale ( qu toute-bonne ) , on en fait lin petit
paquet-de cinq à fix pouces de longueur , & gros
de façon à pouvoir entrer par le trou de la bonde
i du tonneau, qu’on fufpend dedans au moyen d une
ficelle attachée à l’ouverture ; ôt après huit heures
; d’intervalle, on goûté fon vin de demi-heure en
demi-heure , jufqu’au moment où l’on s aperçoit
qu’il n’à plus de mauvais goût : on peut encore
ajouter air genet & à l’orvale un gros d iris de
Florence, fi on veut communiquer à fon vin un
parfum agréable.
On rétablit auffi les vins hlancs qui rompent
& jauniffent, en les paffant fur des pièces où il
y a eu de l’eau-de-vie ; & faute d’en pouvoir
avoir, on prend des futailles fraîchement vides
dé bon vin blanc , qu’on a foin de rincer avec
environ une pinte de cette liqueur pour chacune;
enfuite on la mèche & l’on foutire fon vin jaune
& rompu dedans ; aptes on le colle avec^les blancs
d!oeufs & l’alun calciné , obfervant d’y ajouter
gros comme une noix de fucre candi. Dans tous
jes cas où l’on procède à la clarification des vins,
j}î eft toujours effentiel de fupprimer les jaunes
d oeufs des blancs, fur-tout lorlqu’il s’agît de cla-
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rifier les vins blancs ; parce q u e , loin d'accélérer
la clarification, ils ia retardent, & s’oppofent
même à ce qu’elle foit parfaite ; car dès qu’on les
y joint, le vin n’eft jamais auffi net & auffi.brillant
que lorfqu’on les retranche : une longue fuite
d’expériences m’a convaincu de cette vérité.
C ’eft bien mal à propos qu’on fe prévient contre
le mélange d’un vin avec un autre vin; ce travail
eft fouvent trèj-utile & même indifpenfable , particulièrement
lorfqu’on a du vin trop chargé en
couleur, qui en outre eft dur ou trop mat; on ne
fauroit mieux.faire, en pareil cas , que de le couper
avec moitié de bon vin blanc; par ce moyen
on le rend délicat, plus coulant & plus agréable:
cette opération doit Ce pratiquer fur-tout à l’égard
des vins deftinés pour l’ufage ordinaire. Il eft auffi
d’autres mélanges dont on peut tirer un très-grand
avantage ; mais il faut toujours en faire l’épreuve
avant que de procéder, foit au moyen d'une petite
mefure on , par exemple, avec un dez à coudre,
afin de déterminer la jufte quantité de chaque ef-
pèce de vin propre & néceffaire à former un tout
dont il puiffe réfulter le bien qu’on fe propofe ,
tant pour la couleur que pour la qualité qu’on veut
lui donner : un gourmet intelligent ne fe trompe
jamais à cet égard. Il y a cependant des vins peu
propres à être coupés avec d’autres , & qui veulent
être bus en nature ; d’ailleurs l’ufage, appuyé du
raifonnement, indique parfaitement ces procédés,
qu’on appelle parmi les gens qui font commerce
de vin, faire des cuvées.
On obfervera encore qu’on blanchit avec le lait
écrémé, les vins mufeats, ceux de Condrieux 8c
autres vins de li sueurs ; que, pour les clarifier,
on fe fert de la colle de poiffon , à laquelle on
joint quelquefois un peu de crème de tartre pilee.
Cette manière de coller convient également à
tous les vins difficiles à s’éclaircir & qui réfiftent
aux blancs d’oeufs ; mais cela n’eft pas|ordinaire.
La colle de poiffon, pour être bonne, doit être
claire & tranfparente ; pour s’en fervir, on la bat
avec un maillet de bois afin de l’effeuiller ; & pour
qu’elle foit plus aifément diffoute, on en met une
once pour une pièce de 240 pintes, mefure de
Paris, dans un peu de vin qu’on augmente peu
à peu , à mefure que la liqueur eft abforbée par
la colle. Lorfque cette dernière eft bien diffoute,
on la paffe à travers d’un linge blanc de leffive,
enfuite on tire environ deux bouteilles de vin du
tonneau , puis on la verfe doucement en remuant
circulairement le vin avec un bâton fendu , qu’on
fait defeendre au milieu du tonneau feulement:
après on le ferme, obfervant de lui donner de
l’air par un trou de foret près de la bonde, afin que
la clarification s’en faffe plus promptement.
Lorfqu’on veut accélérer la diffolution de la
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