
également immédiat avec le lingot d’argent : on
les voit foulevées en plufieurs endroits par les
bulles d’air ; mais en fouettant avec le paquet de
franges de fil, on les colle au lingot, qu’on entoure
enfuite d’un ruban de fil de chanvre , & en
cet état on le met dans le brafier rougir jufqu’au
cerife.
On retire le lingot, on le fouette de nouveau
pour èn détacher les cendres du ruban, & quand
il eft bien net, on le brunit avec une pierre de
foudre, monté au milieu d’un morceau de bois a fiez
long pour qu’on puilfe le conduire avec les deux
mains; enfuite avec une efpèce de cifeau court,
nommé couteau, on fend la dorure d’un bout à
l’autre, pour faire fortir l’air qui peut être refié
entre l’or & l’argent; enfin on l’examine avec une
loupe, & fi l’on y aperçoit la plus petite' véhicule
, on l’ouvre avec un couteau pour en faire
fortir l’air ; & l’on paffe par deffus plufieurs fois
la pierre de foudre.
Lorfqu’on n’aperçoit plus de défeftuofité à la
«lorure, on reporte le lingot à l’argue, pour y
être tiré à peu près à la groffeur du petit doigt,
en le faifant paffer fucceflivement par trentç-fept
trous de filière.
Mais fi le lingot n’a point été doré , & qu’il
foit deftiné par conféquent à faire du trait d’argent,
on emploie dix-fept trous de moins, parce-
qu’i! n’eft pas néceffaire de le ménager comme
le lingot doré, dont on feroit refouler l’or fi on
le faiîoit paffer par des pertuis trop ferrés.
Pour éviter la trop grande chaleur que le lingot
acquerroit en pafiant par la filière, & qui fon-
droit dans l’infiant la cire dont on le frotte, comme
nous l’avons dit, on le jette dans une cuve pleine
d’eau, qu’on a même foin de renouveller de temps
en temps en été pour le rafraîchir.
Les lingots réduits à la grofieur dont nous avons
parlé fe nomment baguettes ; on les roule autour
d’un cilindre d’environ un demi-pied dediamette,
pour en former ce qu’on nomme les bracelets.
Le travail de l’argue eft fini pour lors, & ces
bracelets fe portent chez le tireur d’o r , qui les
fait paffer par trois différentes filières , dont la
première s’appelle ras, la fécondé prégatçn, & la
dernière fer à tirer ; c’eft la plus menue de
.toutes.
Chacune de ces différentes filières eft placée fur
un banc folide & fcellé en plâtre, qu’on appelle
banc à tirer.
Avant de faire paffer les bracelets par les pertuis
du ras, on met -ceux qui ne font pas dorés
au milieu d’un feu de flamme, pour les y faire
rougir jufqu’au cerife, ce qui s’appelle blanchir
V argent»
A l’égard de ceux qui font dorés, on fait feulement
rougir ia partie non dorée, qui fe nomme
la pointe, parce qu’en effet cette partie for-
moit originairement 1a pointe du lingor.
L’opération du ras fe nomme le dégrojji du trait ;
elle confifte à faire paffer le fil par les vingt-cinq
trous de cette filière : au fortir du dernier trou ,
ce fil fe trouve déjà réduit à une ligne & demie
de groffeur. Il faut trois hommes pour tourner
la manivelle du ras.
L’opération du prégaton eft la même, excepté
que les pertuis de cette filière font plus petits
que ceux du ras.
Quand on opère fur du fil d’argent non dore,
on le fait paffer , au fortir du leptième trou du
prégaton , par les trois trous d’une petite filière
particulière qu’on appelle fer à racler.
Le brillant que ces trois raclages donnent' au
fil d’argent, diiparoît bien v ite , dit M. Hellot *
puifque pour le faire paffer par les dix-huit trous
du prégaton , on le frotte de cire qui le falit de
nouveau ; cependant ce raclage eft néceffaire félon
les tireurs d’or; mais, ajoute-t-il, pour prouver
cette néceflité, ils n’ont d’autre raifon que l’ancien
iffage, Un feul homme fait tourner la manivelle
du prégaton.
Le fil qui a paffé par les vingt-cinq trous du
prégaton étant réduit à la groffeur d’une moyenne
épingle, prend le nom de trait, & eft remis à
des femmes pour en achever le tirage dans les
différens pertuis du fer à tirer, d’où il fort enfin plus
délié qu’ün cheveu.
Pendant que ces femmes travaillent, un ouvrier
qu’on nomme accoûtreur, fraife en entonnoir Si
arrondit à chaque changement de trou, le troij
du fer qui va fervir.
Pour cet effet il les rétrécit d’abord avec un
petit marteau, fur un tas d’acier , & il les arrondit
Si les polit enfuite avec des efpèces de poinçons
d’acier, que l’on nomme pointes.
Ces pointes , longues de huit à neuf pouces ,
font forgées par un bout en rouleau , pour qu’elles
puiffent tourner fous la maini, fans fe fervir d’archet;
elles font quarrées dans tout le refte de
leur longueur, & leur extrémité eft réduite fur
le moule en pyramide quarrée à angles tranchants,
Si plus ou moins alongée.
L’accoûtreur place une petite pointe ronde qui
eft à l’extrémité du rouleau, dans un trou fait à un
bouton de fer enfoncé dans fon établi, dont il eft
élevé d’environ un pouce & demi ; puis mettant la
pointe de la pyramide dans le trou du fer à tirer, &
paffant la main droite en long fur le rouleau, il
le fait tourner prefque aufli vite que j S se fervoip
d’un archet.
Il paffe l’une après l’autre fept ou huit de ces
pyramides ou équariffoirs , commençant par la plus
étoffé & la plus courte, & en employant enluite
de plus alongées , pour rendre ce trou conique;
enfin il nettoie le trou accoutré avec un morceau
de bois de fufain, taillé en pointe quarrée.
La ma’adreffe ou l’inattention de cet ouvrier,
peut occafionner beaucoup de déchets, c’eft-à-dire,
des ruptures de traits fréquentes.
Le trait d’argent, pour arriver à fa plus grande
fineffe , paffe par cent trente-cinq trous des différentes
filières, & le trait doré par cent quarante-
cinq. '
Pour faire connoître jufqu’à quelle prodigieufe
longueur le métal s’étend dans ce travail, M. Hellot
rapporte un fait extrait de l’original du procès-verbal
de toutes ces opérations,lorfqu’elles furent faites
en 1701 à l’hôtel de ville de Lyon, en préfence
des Ducs de Bourgogne & de Berry. -
Un lingot de dix-fept marcs produifit un trait
d’argent de la longueur d’un million quatre-vingt-
feize mille fept cent quatre pieds ; en forte que fi
l’on eût attaché ce fil par un de fes bouts, & qu’il
eût eu affez de confiftance pour être étendu fans fe
rompre, il auroit pu être conduit jufqu’à une dif-
tance de 73 lieues, comme depuis Lyon jufqu’à
Toulon.
M. Hellot fait encore une autre remarque dont
nous croyons devoir faire part à nos leaeurs;
c’eft qu’à Paris on ne tire pas le trait fi fin qu’à
Lyon, & que d’ailleurs on y fait la dorure beaucoup
plus forte ; en forte que la mauvaife réputation
du filé d’or de Lyon étoit due autrefois à ces deux
caufes, c’eft-à-dire,à la trop grande ténuité du trait
& à fa foible dorure, & non à l’or lui-même dont
la qualité eft très-bonne, puifqu’il eft à 23 karats
de fin.
Le trait d’or & d’argent faux, comme on le verra
ci-après , fe fait de la même manière que le fin, excepté
qu’au lieu d’un lingot d’argent on emploie un
lingot de cuivre rouge argenté feulement pour le
trait d’argent, & enfuite doré pour le trait d’or
faux.
Lorfque le trait a été amené au degré de ténuité
dont nous avons parlé, le travail du tireur d’ or
n’eft pas encore fini.
Pour le difpofer à être converti en filé, il faut
l’applatir en lames, ce qui s’appelle ècacher, &
c’eft de là que les tireurs d’or font aufli appellés
écacheurs d’or & d’argent.
Cette opération s’exécute par le moyen d’une
machine appelée moulin à ècacher ou moulin à
battre,
Ce moulin eft compofé de deux roues d’acier
très-poli, placées l’une au-deffus de l’autre , & très-
ferrées fur leur épaiffeur qui eft de douze à quinze
lignes ; la roue fupérieure eft ordinairement chargée
d’un poids de vingt-quatre à vingt-cinq livres.
On les fait mouvoir par le moyen d’une manivelle
qui, étant attachée à l’une des deux, fait aller
l’autre en fens contraire.
Ces roues entraînent par leur révolution le trait
d’or ou d’argent qu’on y a engagé par un de fes
bouts, & elles fe réduifent en une lame très -flexible,
qu’on file aifément enfuite par le moyen du rouet
autour d’un fil de foie ou de chanvre.
Les traits d’or & d’argent fins fe filent fur foie
teinte ; mais fuivant les réglemens le. faux ne peut
fe filer que fur le fil de lin ou de chanvre , pour
qu’on puiffe le diftinguer plus aifément.
Obfe/vations fur le trait d'or & d'argent.
Le trait fe divife ordinairement en trois parties
principales pour la groffeur.
La première eft appelée lancé, beaucoup plus
fine qu’un cheveu, la deuxième fuperfn fin ; la
troifième fuperfin ordinaire ; cette dernière partie
eft de la groffeur d’ un cheveu.
Tout ce qui vient d’être dit ne concerne préci-
fément que le trait d’argent. Le trait d’or ne fe
tire pas autrement, & à proprement parler , ce
qui eft appelé or dans les manufactures, n’eft:
autre chofe que de l’argent doré.
Pour faire le trait d’o r , on dore le lingot en
barre au fortir de U forge, & avant de le paffer à
l’argue.
Le lingot pour ck doit être difpofé à la fonte
d’une autre façon que le lingot pour argent; c’eft-
à-dire que les affineurs ou fondeurs doivent avoir
foin de le rendre plus dur ; afin que les feuilles
d’or qui fervent à le dorer ne s’enterrent pas dans
la matière d’argent, & fe foutiennent toujours
deffus pour que l’or foit plus brillant. De là vient
que le filé d’or eft toujours plus pefant que 1© filé
d’argent.
On penferoit que l’or dont il eft chargé caufe
l’augmentation du poids, ce qui n’eft pas, puif-
qu’un lingot de 50 marcs n’employera pas un
marc d’or pour le dorer.
La véritable raifon de la différence de ce poids
ne vient donc que de ce que le lingot étant plus
dur, le trait ne peut pas être tiré fi fin que l’argent.
D’ailleurs quand il feroit poflible de le tirer
aufli fin, la qualité de l’or qui n’eft que fuperfi-
cielle fur matière d’argent, n’auroit plus aucune
J apparence, attendu la fineffe du trait.