
T A B L E A U X ( Art de réparer les ).
Première manière de tranfporter des peintures fur une
toile neuve,
L A peinture qui fur la furface plane d’une toile
nous repréfente la nature vivante & animée, eft
malheureufement expofée aux injures du temps ;
les 'couleurs que cet art emploie font cependant
quelquefois plus durablesjque les toiles furlefquelles
on les applique , & on voit les chef d’oeuvres admirables
des Raphaël, des Correge, des le Brun ,
des Lemoine , & c . , prêts à être évanouis , parce
que les toiles des tableaux auront été gâtées par
l ’humidité.
On vient heureufement de trouver l’art précieux
de tranfporter le corps de peinture de ces
chefs-d’oeuvre fur des toiles neuves, & de les
rendre à l’immortalité qui leur eft due : voici la
méthode qu’a employée un Italien à Nanci, &
qui a eu les plus heureux fuccès , ainfi que le
rapporte M. Gauthier dans fes obfervations fur
Vhijloire naturelle , la phyfique & la peinture,
Lorfqu’on veut reftaurer un tableau dont la
toile eft fort ufée, il faut d’abord appliquer fur
la peinture une couche de colle-forte, & étendre
par deffus une toile que l’on fera coller bien
exactement fur le tableau ; on le renverfe en-
fuite fur une table , & on l’y cloue : on verfe fur
la toile du derrière du tableau de l'eau fécondé ,
ç’eft-à-dire de l’acide nitreux aftoibli, pour corroder
infenfiblement, défunir la vieille toile &
la féparer du corps de peinture ; cela fait, on
enleve toute la vieille toile, & on en fubftitue
une neuve qu’on colle fur le corps de peinture
avec de la colle forte ordinaire.
Lorfque cette toile eft fuffifamment féchée ,
on retourne le tableau entre les deux toiles ; on
imbibe d’eau la première pour la détacher, &
on lave doucement la peinture pour en enlever
toute la colle.
En peu de jours , par ce procédé, le vienne
tableau eft rajeuni , & fe trouve remis fur une
toile neuve, & comme il étoit en fortant de la
main du peintre.
Aulieu d’employer l’eau fécondé qui peut
aufli quelquefois altérer le corps de la peinture ,
il y a un autre procédé qui ne demande que
de la patience, & au moyen duquel on peut
éviter tous les inconvénients.
Ce procédé confifle, lorfque le tableau a d’abord
été collé fur une toile, & renverfé, au
lieu de corroder la toile de derrière avec de
l’acide, de l’hume&er avec une éponge qu’on a
trempée dans de l’eau tiede : on imbibe bien la
toile petit à petit, & fur-tout fur les bords :
on examine de temps en temps fi elle ne quitte
point la peinture : quand elle commence à
quitter, on la détache avec foin tout du.long
d’un des côtés du tableau ; on replie ce qui s’eft
détaché, comme pour le rouler, parce qu’en fuite ,
en repouffant doucement avec les mains, toute la
toile fe détachera en roulant.
Il faut obferver en faifant cette opération que
l’éponge ne foit jamais trop remplie d’eau , parce
qu’il pourroit en couler par deffous, ce qui
détacheroit la colle qui tient la peinture attachée
à la toile qui repofe fur la table.
. Lorfque la vieille toile eft enlevée-, on y en
fubftitue une neuve que l’on colle avec de la
colle-forte, comme on l’a dit plus haut, mais
en obfervant de laiffer la toile neuve, plus grande
qu’il ne faut, afin de pouvoir la clouer par les
bords avec de petites pointes , & l’empêcher
qu’elle ne faffe des plis ; après quoi- avec une molette
on preffe légèrement la toile également
par-tout, & on la laiffe fécher ; on remet encore
de nouveau de la colle par deffus la toile, en
frottant de toutes fes forces, afin de faire entrer
la toile dans la colle & même dans la peinture,
& pour faire écrafer les fils de la toile, afin
qu’ils s’appliquent exa&ement fur la peinture.
Lorfque le tout eft fe c , on retourne le tableau
; on détache la toile avec un peu d’eau ;
on laiffe fécher le tableau , & enfuite on donne
fur le tableau une couche d’huile de noix toute
pute, & on la laiffe fèeher pour mettre enfuite
une petite couche de blanc d’oe uf, qui fait l’effet
d’un vernis & rend les couleurs plus brillantes.
//. Méthode pour racommoder les ampoules , envaffes,
6» ècaUlures qui furviènnent aux tableaux.
Pour faire difparoître les ampoules, on les frotte
d’abord avec de la colle-forte, & avec une épingle
on les perce de petits trous & on remet de
la colle fur les ampoules avec un pinceau, tâchant
qu’elle paffe par ces petits trous pour pénétrer
en deffous, afin qu’elle puiffe fervir à recoller
l’ampoule ; enfuite on effuie la colle & on
paffe fur l’ampoule un pinceau trempé dans de
l’huile de lin , qui fert a la ramollir ; on prend
enfuite un fer chaud fur lequel on paffe üne
éponge ou un linge mouillé , jufqu’à ce qu’il ne
frémiffe plus, afin d’en ôter la trop grande chaleur
; alors on paffe ce fer promptement fur l’am-
poule , qui fe rattachera à la toile, >& s’unira
comme s’il n’y en a voit jamais eu.
Avant d’affaiffer les ampoules, il èft abfolu-
ment néceffaire de mettre par derrière une fécondé
toile pour maintenir la première, & affurer davantage
la peinture , de crainte qu’avec le temps ,
^elle ne reforme de nouvelles ampoules.
Lorfque la peinture s’eft écartée en fe deffé-
chant & qu’il s’eft formé des crevaffes , il faut
prendre de la terre glaife en poudre & de la
terre d’ombre qu’on délaiera avec un peu d’huile
de^noix pour en faire une efpèce de pâte; on
prend enfuite de cette pâte'avec le couteau à
mêler les couleurs , & on l’infinue dans toutes
les crevaffes & les écaillures, effuyant bien ce qui
peut s’attacher fur les bords & hors des creux.
Lorfque cette pâte eft bien fèche , on donne
fur le tableau une couche d’huile de noix pure ,
& quand ellq'eft féche, on remet au pinceau fur
l’eadroit où étoient les crevaffes, les couleurs
juftes des teintes qui y étoient.
III. Méthode pour faire revivre les couleurs des tableaux
noircis.
On a fouvent des tableaux que le temps , la
fumée ou les mouches ont tellement tachés qu’on
a peine à reconnoître ce qu’ils ont d’abord été :
pour leur rendre leur première fraîcheur, & faire
revivre les couleurs fans endommager la peinture
, on prendra un oignon blanc que l’on coupera
par le milieu ; on le trempera dans le vinaigre
, & on en frottera légèrement le tableau ,
jufqu’à ce qu’on voie l’effet qu’on en peut attendre,
& on ne tardera pas à éprouver l’avantage
de cette opération.
On prétend que l’on parvient à faire revivre les
couleurs des tableaux noircis, & dont même une
partie des figures eft cachée fous le noir, en appliquant
feulement derrière le tableau la compo-
fition ci-deffous : on prend , dit-on, deux livres
de graiffe de rognons de boeuf, une once de
terre jaune broyée à l’huile , une demi-livre de
cérufe broyée à l’huil? de noix.
On fait fondre la graiffe , & on ajoute en
même temps une livre d’huile de noix, avec la
terre jaune & la cérufe ; on mélange bien le tout
avec une fpatule ; enfuite on applique cette com-
pofition tiède derrière le tableau.
D ’autres difent que lorfqu’on veut enlever le
noir qui recouvre un tableau, il faut faire diffou-
dre du fublimé corrofif dans une fuffifante quantité
d’eau , laver les tableaux avec cette eau , &
la laiffer fécher deffus.
Au bout de quelques heures , on lave bien le
tableau avec de l’eau pure, & fi le tableau n’cft
pas encore bien décraffé , on recommence de
nouveau, jufqu’à ce que les couleurs aient repris
leur vivacité. ,
On prétend auffi que l’on employé ordinairement
pour les nettoyer l’eau fécondé , mais qu’il
faut avoir une connoiffance parfaite de l’effet
qu’elle peut produiré fur les différentes couleurs ;
car telle couleur réfiftera à de l’eau fécondé très-
forte , tandis que telle autre fera détruite par
cette même eau fécondé ; ce n’eft donc que de
la grande habitude qu’on peut acquérir cette connoiffance
pour ménager fon eau fécondé, fans
quoi on rifque de gâter entièrement le tableau
qu’on veut nettoyer.
Dans les endroits humides, le vernis qui eft fur
les tableaux fe décompofe quelquefois, & forme
des taches blanches ; cette décompofition vient de
ce que l’eau s’uniffant à l’efprit de v in , à raifon
de la grande affinité qu’elle a avec elle , l’efprit de
vin abandonne la réfine qui paroît fous la forme
de taches blanches : la manière d’enlever ces taches
blanches eft de frotter le tableau légèrement
avec de l’efprit de vin ; expérience dont
nous avons fait l’épreuve , & l’efprit de vin n’al-
tere en rien la qualité des couleurs ; cependant
il arrive quelquefois que le vernis qui a été dé-
compofé refte en ferme de taches fur le tableau
fi long-temps ; qu’elles y ont pris un tel corps ,
qu’on ne peut parvenir entièrement à les enlever ;
peut-être alors faudroit-il effayer de faire chauffer
l’efprit de vin.
On voit' des perfonnes réuffir à enlever ces
taches blanches, en paffant rapidement fur les
tableaux une éponge trempée dans de l’acide
nitreux affoibli , & lavant enfuite promptement
le tableau à grande eau, & appliquant avec un
pinceau une couche de vernis gras.
M. le baron de Taubenheim, qui a trouvé un
moyen plus fimple que M» le comte de Caylus ,