
bien des înconvéniens qu’ils pourroient éviter.
S’ils étoient bien perfuadés qu’il n’y a point de feuille
fans bouton, ni de bouton fans feuille ; que la
feuille eft la mère nourrice du bouton ; que c'eft
d’elle d’où dépendent non-feulement le goût &
la faveur du fruit, mais encore l ’efpoir de la récolte
fuivante ; que lorfque les boutons n’ont point
reçu de la part des feuilles leur complément, ou
poinr de perfeâion, ils avortent l’année d’après,
ou que les grappes qu’ils font éclore s’écoulent
tout de fuite; ils ne feroient plus de tort aux
boutons en arrachant indiftinélement les feuilles ,
mais ils les ôteroient de dift^nce en diftance, leur
laifferoient leur queue & une partie du pédicule
qui les y tient attachées, & qui fuffifent pour la
circulation de la fève. Puifqu’on n’effeuille les
vignes que pour faire mûrir le raifin , & lui procurer
cette couleur agréable & qui flatte les yeux,
on ne devroit pas oublier que l’effeuillage ne doit
avoir lieu que lorfque le raifin eft a-peu près à fa
groffeur, & qù’en découvrant trop les vignes , les
coups de foleil qui furviennent, brûlent une quantité
de raifl'ns, ou les font pourrir en rendant leur
peau trop tendre.
Lorfque les vignes font fuffifamment attachées,
on ne doit pas oublier en effeuillant d’ôter leurs
vrilles, ou cornes vertes , parce que ces appuis
devenant inutiles, ils.confument une grande quantité
de fève qui s’emploieroit mieux ailleurs.
Le vigneron ravare les vignes hautes tous les
quinze ans; c’eft-à-dire, qu’il les abaiffe & qu’il
couche dans un foffé de deux pieds de largeur , 8c
prefque aufli profond que celui du cep, tout le
vieux bois, jufqu’à celui de la dernière année,
auquel il laiffe cinq ou fix boutons lors de la taille,
ce qui fait prendre au bois une nouvelle vigueur.
Tous les dix ou douze ans il terre les vignes , ou^
du moins celles dont la terre eft légère ; c’eft-à-
dire, qu’il y apporte dé nouvelles terres pour réparer
répuifement des fels , &. donner à la vigne
une nouvelle nourriture. La méthode eft excellente
, ainfi qu’on le pratique en Champagne, d’apporter
des gazons dans les vignes, à b place du
fumier : les végétaux'qui forment ces gazons fe
détruifent & forment un excellent terreau qui ne
donne point de goû,t au vin. Un des grands foins
du vigneron eft de détruire les limaçons qui fe
multiplient quelquefois fingulièrement dans les vignobles;
il fait ufage dans certains endroits d’une
çfpèce de tenaille, dans laquelle eft un creux où
il fait entrer le limaçon avec fa coquille, i’éerafe
8c le rejette à l’inftant.
Lorfque le temps des vendanges approche, le
vigneron fait provifion de tonneaux, & fait faire
les réparations néceflaires au preffoir & aux cuves ;
il fe précautionne d’un cuvier , de pelles de bois ,
de fourches de fe r , de fceaux d’ofier, de febiles
de bois, d’entonnoirs, de paniers, de hottes d’ofier,'
Lorfque le raifin eft mûr, les vendangeurs 8c ven-
dangeufes vont dans les vignes faire la cueillette.
C’elt de l’exaélitude de leur travail, & de la nature
du terroir, que dépend la qualité du vin ; c’eft
par les foins dont nous allons parler, que l’on réuf-
ftt à faire ces vins fi délicieux, d’un coup d’oeil fi
agréable, & de couleurs fi variées.
Les travailleurs paffent à trois différentes fois
dans les mêmes vignes pour y faire trois cueillettes:
la première, des grains les moins ferrés, les plus
fins & les plus mûrs, dont ils retranchent examinent
tous lès grains pourris ; ils les coupent fort
court, parce, que la queue en eft amère, & qu’à
proportion de fa longueur, elle communique au
vin un goût de grappe ou de -moifi : la fécondé
cueillette fe fait des gros raifins ferrés & un peu
moins mûrs : la troifième, des raifins pourris, verts,
deflechés & de rebut. De ces trois cueillettes oa>
en fait trois cuvées.
L’art eft parvenu à tirer du raifin noir , qui eft
l’efpèce la meilleure, & qui donne le plus de jus,
du vin blanc, rouge,'gris ou paillet, à volonté.
Lorfqu’avec le raifin noir on veut faire du vin
parfaitement blanc, voici la manière dont on s’y
prend.
Les vendangeurs & vendangeufes entrent de
grand matin dans la vigne , 8c font le . choix des
plus beaux raifins. Ils les couchent mollement dans
leurs paniers, 8t les mettent encore plus doucement
dans les hottes pour être portés au pied de la vigne,
-où, fans les fouler le moins du monde, on les
met dans de grands paniers, en leur confervant
l’azur & la rofée dont ils font tout couverts. Le
brouillard, aufli bien que la rofée, contribue beaucoup
à la blancheur du vin.
Si le foleil eft un peu v if, on étend des nappes
mouillées fur les paniers, parce que le raifin venant
à s’échauffer , la liqueur en pourroit prendre une
teinre.de rouge. On charge ces paniers fur des animaux
d’un naturel paifible, qui les portent lentement
& fans fecouffe jufqu’au cellier où le raifin
demeure à couvert & fraîchement. Lorfque le foleil
n’eft point trop vif, on vendange fans danger jufqu’à
onze heures, alors on arrange les raifins
fur le prévoir, machine inventée par l’art pour en
exprimer le jus.
Quoique l’invention des prefloirs foit de la plus
haute antiquité , que Diodore en.faffe honneur à
l’ancien Bacchus , quoiqu’il en foit fouvent parlé
dans les livres faims, on ignore fi ces machines
étoient femblables à celles dont nons uous fervons.
Le prefloir eft foutenu par de groffes pièces ài
bois qui fervent de fupport ; il y a de chaque cote
,, ‘ un
on montant : cés deux montans foutiennent Une
forte pièce de bois qui eft l’écrou ou le réceptacle
d’une grande vis de bois qui la traverfe : au bas
de cette grande vis eft une roue qui fert à attacher
la corde à l ’aide de laquelle on fait mouvoir cette
vis* ce à quoi l’on parvient en faifant dévider la ,
corde autour d’un poteau rond placé à. côté de
la preffe : cef effet s’opère par des hommes qui
tournent une roue. Au bas du preffoir eft un fort
plancher foutenu par une maçonnerie : on le nomme
la mai. C’eft fur ce plancher qu’on met les tas de
raifins que l’on veut fouler. A fon pourtour eft
un enfoncement, ou un rebord cintré qui reçoit
la liqueur & lui donne la dire&ion par une pente
douce vers un tonneau qui doit la recevoir.
Lorfqû*on veut exprimer le v in , on fait fur ce
plancher du preffoir un amas de raifins qu’on appelle
le fac, le pain ou le tas : on étend par deflus
des planches côre à côte • fur ces planches on met
quatre ou cinq chantiers qui font des pièces de bois
très-fortes; on en croife d’autres fur ceux-ci, &
on abaiffe la vis au bas de laquelle eft attachée
uné large pièce de bois qui comprime les chantiers
' ceux-Ci t par leur poids 8c par la force avec
laquelle ils font coîîiprimés. expriment le jus du
raifin.
Le vin qui coule à la première ferre des raifins
qui ont été mis fous la preffe avec les précautions
que nous avons dites, eft le vin blanc; ce premier
vin eft excellent & fait une boiffon parfaite.
Lorfque cette première ferre eft faite, on releve
les- raifins qui fe font écartés de la maffe ; avec
une pelle tranchante on taille quarrément les extrémités
de la maffe , ôn les rejette par deflus ,
8c on donne une nouvelle ferre. Ce fécond vin
eft fujet à être coloré, parce qu’alors l'aâion du
preffoir fe fait fentir fur la pellicule des grains qui
contiennent lesfucs qui le colorent ; c’eft par cette
raifon quelorfqu’on veut faire de beau vin rouge,
on cueille le raifin pendant la plus grande, ardeur
du foleil : on le foule & on le laiffe cuver avant
de le preffurer, parce qu’alors les fucs contenus
dans la pellicule des grains le mêlent bien mieux
avec leur jus.
La forme des preffoirs varie beaucoup clans les
différentes provinces : il y en a dé très-grands-,
& qui preffent à la fois une fi grande quantité de
raifin,,qu'on en reçoit le jus qui coule par une
longue rigole dans dix ou douze tonneaux à la fois.
Lorfque le vin eft fait & diftribué dans les- tonneaux
, on les'marque félon l’ordre de, la première,,
de la fécondé & de la troifième cuvée,
foit de blanc , foit de rouge : on laiffe le bondon
des tonneaux ouvert pendant un certain nombre
de jours , qui varie félon la maturité des raifins &
« température de l'air, afin de donner lieu à la
Arts & Métiers, Tome VIII*
fermentation vinéufe : on bouche enfuite les tonneaux
affez légèrement pour làiffer échapper les
vapeurs qui s'exhalent : -on conferve le via au
cellier haut tout l’hiver, & on le defeend dans
les caves baffes autour des premières chaleurs.
Les Hongrois fe fervent pour faire le vin de
preffoirs d’une conflru&ion fi. fimple & fi peu
coûteufe, qu’il eft peu'de vignerons qui ne puiffent
en avoir de femblables. Ils confiftent en une caiffe
plus ou moins large St haute, qui eft compofée
de deux planches mifes à côté l’une de l’autre,
& bordées de liteaux pour empêcher .que le vin
ne fe répande d’un côté 8t d’autre. Cette caiffe,
qui eft couverte d’un plateau de bois qui entre
dedans, eft fous deux vis qui, au moyen de deux
morceaux de bois triangulaires avec lefquels on les
fait tourner , font fortir le vin de tous les côtés de
la caiffe à mefure que des hommes les tournent. .
On a encore imaginé depuis^ peu un preffoir
qui n’a point de vis ; qui tient peu de place, qui
coûte fort peu, & qui peut être conftruit par le
moindre ouvrier. Il r eonfiffe en une vafte auge
percée de trous , entourée par bas d’une rigole
comme le font les preffoirs ordinaires. Du milieu
de cette auge s'élèvent deux forts montans garnis
de chevilles' de fer qui les traverfent. Ces montans
font affemblés dans le haut comme dans le
bas par une folive : au-deffus de ces montans on
ajufte une forte cage de bois qui porte des leviers
qu’on paffe fous les chevilles des montans, & au
moyen defquels on force la cage de defeendre &
de preffer le raifin. On peut augmenter la preffion
autant, qu’on le v eu t, en multipliant ou en alon-.
géant les leviers.
Lorfque le vin eft fait, l’air 8c la lie en font
les deux plus grands ennemis; c’eft pourquoi le
vigneron a foin de tenir toujours fes tonneaux bien
bouchés, 8c de tirer fon vin à clair ; pour cet
effet il fait paffer le vin- de deffus fa lie dans un
autre tonneau bien net, à l aide d un boyau de
cuir & d’un foufflet. Une des extrémités du boyau
tient par un tuyau de bois au bas du tonneau
qu’on veut remplir ; 1 autre tient par un fcmblable
tuyau à la groffe fontaine qui eft attachée au bas
dirvaiffeau qu’ il faut vider: la fontaine étant ouverte,
le vin coule d’un vaiffeau dans l’autre juf-
qu’à ce qu’il fe trouve à niveau dans tous les deux.
On infère alors dans ï’ouverture fupérieure du
tonneau qu’on vide, le tuyau d’un large foufflet
fait exprès : l’air qu’on force à diverfes reprifes
à y entrer, 8c qui nen peut fortir, foule le vin
également, 8c le contraint, fans le troubler le moins
du monde, à fe retirer au haut de l’autre vaiffeau.
Pour que le vin ne pèche pas par fes qualités
bienfaifantés, il faut que celles qui le compofent,
foient fi bien proportionnées entre elles, que l'une
D d d d