
328 T U R
Je me fuis déterminé enfuite à mêler de la
farine de maïs avec partie égale de gruaux de
froment; & quoique ceux-ci enflent perdu, par
ce mélange, un peu de leur corps ordinaire, il
n’çji eft pas moins rèfulté un vermicelle excellent
, favoureux , de couleur jaunâtre, qui, fe
cuit, tïès-bien dans le bouillon, ainfi que dans
le lait, fans avoir cependant la vifcofité du froment
; ce qui eft peut-être un avantage, parce
qu’il arrive louvent que les Médecins profcrivent
la bouillie de ce grain, uniquement à caufe de
cette vifcoftté , indigefte dans beaucoup de cir-
conftances. Or le maïs, fous quelque forme
qu’on le prenne, femble toujours conferver une
vertu apéritive.
E m ploi du m aïs pour les voyages de long cours«
Il faut moins de nourriture à l’homme qu’on
ne le croit communément; on feroit même fur-
pris de voir la maffe énorme d’alïmens qu’il
prend , & la petite quantité de fucs qu’il en
retire pour fe fubftanter. C ’eft vraifemblable-
ment d'aptes cettte obfervation qu’on a imaginé,
en différens temps, plufieurs moyens pour fe
garantir de la faim pendant les voyages de long
cours. Les peuples d’Ethiopie n’emportent avec
eux d’autres provifions que de l’orge grillé; &
nous voyons le maïs rôti ou fa farine , fervir
d’aliment & même de boiflon à ceux de l’A mérique
qui font de grandes cOurfes.
Fernandez d’Oviedo affuré que quand les Européens
& les Indiens naviguent aux mers auf-
trales, ils emportent avec eux de la farine de
maïs rôtie, à laquelle ils ajoutent de l’eau; qu’ils
mêlent enfuite pour en faire une panade claire,
dont ils fe fervent comme boiflon & comme
nourriture. Cette farine corrige , dit-on , les
mauvaifes qualités de l’eau qu’on rencontre dans
les déferts de l’Amérique,' & détruit dans un
inftant l’odeur fétide qu’elle répand. C ’eft pour
cette raifon qu’on a foin d’en porter toujours
fur mer. On prétend même que les troupes an-
gloifes qui en ont fait ufage, n’ont pas été incommodées
par ces eaux, tandis que ceux qui
ont négligé cette précaution, ont été malades.
J’ignore fi cette propriété appartient réellement
à la farine de maïs : il eft confiant qu’un peu
de chaux produit l’effet annoncé : mais on fait
auffi comment cet effet a Heu; il feroit difficile
de l’expliquer relativement au maïs; à moins
que rous les grains, ou leurs farines toréfiées
& bouillies dans l’eau , ne l’opéraffent indiftinc-
tement.
M a ïs en bijcult de mer.
Pour préparer le bifcuit de mer, on prend une
certaine quantité de farine de ce grain, convenablement
moulu. On y ajoute un peu de
T U R
levain , qu’on délaie dans de l’eau tiède ; on en
forme une pâte, de confiftance plus -molle que
celle deftinée au bifcuit ordinaire. On en détache
enfuite des morceaux, pefant chacun trois
quarterons; qu’on applatit de manière à ne leur
donner que vingt-quatre pouces de circonférence
, & quinze à feize lignes d’épaiffeur. .
Quand la pâte eft divifée & façonnée en bifcuit,
on la diftribue fur des tablettes ; & peu de
temps après on la met au four, en la piquant
avec un fer armé de plufieurs dents, pour empêcher
le bourfoufflcment & favorifer l'évaporation
de tous les points; Il faut la Iaiffer dans
un four doux, pendant deux heures au moins,
parce que cette cuiffon demande d’être pouffée
très-loin.
Il convient de placer le bifcuit , au fortir du
four , dans un lieu chaud , afin qu’il puifle fe
refroidir infenfiblemenc., & perdre l’humidité qui
s’en exhale perpétuellement, tant que la chaleur
fubfifte. I l eft donc effêntiel de ne le renfermer
que cinq à fix jours après fa fabrication.
Si on fait entrer dans -la confection du bifcuit
de maïs, partie égale de farine de froment, la
pâte prend alors plus de corps & donne un
produit plus parfait : l’Académie fera d’ailleurs
à portée déjuger de l’un & de l’autre, d’après
les échantillons que je foumets à fon examen.
Je me fuis affuré que le bifcuit de maïs pof-
fédoit les caractères généraux du bifcuit de mer
ordinaire, qu’il fe caffoit net, qu’il était fonore,
& trempoit très-bien dans l’eau. fans s’émiéter ;
& s’il eft permis de hazarder quelques conjectures
fur la nature des corps farineux^avec lefquels
il eft fabriqué , on eft fondé à.croire qu’il bravera
également le féjour de la mer 8c les voyages
de long cours ; & q ue , fans vouloir prétendre
le Comparer au bifcuit de froment, il a un avantage
fur ce dernier , en ce que le thaïs n’ayant
point de matière animalifée, il eft moins fuf-
ceptible de s’altérer.
On connoît depuis long-temps le pouvoir de
1 habitude contractée dès l’enfance , .& le danger
qu’il y auroit d’abandonner tout-à-coup l’ufage
d’une fubftance alimentaire, même la plus dé-
feCtueufe. Ne pourroit-on pas jouir de la reffour-
ce que je propofe, pour approvifionner les bâ-
tîmens , dont les équipages feraient déjà accoutumés
à la nourriture du maïs, dans un temps fur-
tout où ce grain ayant fourni des récoltes abondantes
, excéderoit les befoins ordinaires du
pays ou ceux des provinces avec lefquels il feroit
en commerce?
M a ïs en fa rin e grillée.
Le maïs déjà deffé,cjîé au four, puis converti
en
T U R
en farine féchée de nouveau. & mis ï l’abri
c ... . > ____o.i/ïi à VïRffln e des
Il feroit impoflible, dans la circonftance dont
il s’agit; d’embarquer, en même-temps que le ’
bifcuit de maïs, de cette farine, qui, moyennant
les précautions obfervées , deviendrait d une excellente
' garde. On pourrait .la diftribuer aux
matelots, fous forme de bouillie, lorfqu ils feroient
menacés dune indifpofition prochaine ,
qui viferoit au ïcorbut. Quelques auteurs de ré--
putation prétendent même qué le maïs èft un excellent
préfervatif contre cette fatale maladie des
gens de mer.
L e m aïs en poudre alimentaire.
C’eft principalement dans les temps d’abondance
qu’il faut fe ménager les reffources contre
les fuites de la ftérilité & les malheurs de la di-
fette, parce que l’homme affame n eft capable -|
d’aucunes recherches heureufes. Il feroit donc prudent
de pourvoir, à peu de frais , à une provïfion
économique , affez durable pour être préparée 8t
confervée long-temps avant les époques où fe
manifeftent plus communément ces temps de calamité.
Le bifcuit de maïs dont je viens d’indiquer la
fabrication & l’ufage, étant réduit en poudre
groflière, féchée au four, fe conferve fans frais
comme fans rifques, abforbe beaucoup d’eau , &
prend, en bouillant avec un peu de beurre & de
fel, la forme & le goût d’une bonne panade. J’ai
elïayé fon effet alimentaire : il n’eft guère pôffible
de les réunir à un plus haut degré : tout eft nourriture.
Cette poudre, renfermée dans des caiffes ou
des barrils, peut fe conferver des fiécles, pourvu
toutefois que ce foit dans un endroit fec, à labri
des animaux défit uCteurs. Elle fera d’une garde
plus facile que le bifcuit lui-même, qui fe détérioré
fouvent dans les traverfées, a caufe de fon
épaiffeur , qui ne permet pas au centre d etre auffi
parfaitement féché que les bords. Pourquoi nos
négocians ne fe ferviroient-ils pas de cette poudre
, lorfqu’ils vont acheter des cultivateurs en
Afrique? Les Nègres font déjà accoutumés dès
l’enfance, à la nourriture du maïs : on préviendrait
peut-être ainfi les maladies horribles auxquelles
font fujets ces enclaves, dès qu’ils font dans les
vaiffeaux, & auxquelles ils fucçombent fi fouvent.
Le commerce & l’humanité y gagneraient également.
La poudre alimentaire, dont l’eflai a été fait en
différens1 endroits du royaume , fur des foldats
Arts & Métiers. Tome VIII.
T U E 3 2 9
reftreints à cette feule nourriture , & pour laquelle
le gouvernement a fait tant de dépenfes , n’eft
autre chofe que du maïs, réduit en farine, puis
en pâte, enfuite defféchée & pulvérifèe. L’auteur
qui avoit trouvé la recette de cette poudre dans
les ouvrages qai ont parlé des précautions que
mêmedes Sauvages de l’Amérique prennent pour
fe nourrir dans les momens de dètreffe , avoit
affuré qu’il entrait, dans la compofition, des fucs
de viande; mais toutes les recherches que l’art
fuggère, n’ont pu y faire découvrir la préfence
d’une matière animale.
Il y a encore la drèche, cette matière muqueufe
par excellence, que la fermentation a atténuée,
perfectionnée , & dont les plus célèbres navigateurs
recommandent l’ufage en mer , qu’on pourroit
préparer avec lè maïs, auffi aifèment que celle
retirée de l’orge. Les habitans de la Guienne, les
négocians de cette province ns dôivent pas être
indifférens à cette propriété , & iis doivent chercher
à l’appliquer à la confervation des matelots.
E m ploi d u M a is en bou.llie.
La bouillie de maï> porte différens noms. On
l’appelle polenta dans les pays chauds de l’Europe ;
milliade , cruchade dans nos provinces méridionales',
& gaudes en Franche-Comté & en Bourgogne ;
mais c’eft toujours la farine de ce grain , plus ou
moins divifée & purgée dç fon , delayee & cuite
avec de l’eau, du lait ou de la crème ,- & relevée
par différens affaifonnemens, dont il réfulte une
bouillie plus ou moins épaiffe, que l’on mange*
chaude ou refroidie, grillée ou frite.
D e la P olenta*
Le maïs eft l’aliment des habitans de la campagne
dans la Lombardie, dans le royàume de
Naples, dans les états de Venife & dans beaucoup
d’autres cantons de 1 Italie. Il femble même qu’on
feme ce grain principalement pour en préparer de
la bouillie; car lorfqu’iis recommandent d’ efpacer
les pieds de maïs dans les champs, pour augmenter
la groffeur des épis , ils fe fervent de ce proverbe :
melgone raro f a polenta, fp e ffa .
Préparation de la Polenta.
On met trais ou quatre pintes d’eau dans un
chaudron de cuivre jaune, & trois onces de fel
ou environ. Dès que l’eau b out, une perfonne
prend quatre livres de farine , quelle verfepeu à
peu d’une main , tandis que de l’autre elle remue ,
fans difcontinuer le mélange, avec un rouleau de
bois. Lorfque la totalité de la farine eft dans le
chaudron , la ménagère continue de remuer le
mélange, qui ne tarde pas à prendre de la con-
fiftance & à s’attacher au fond ; alors elle tient le