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Enfin le 17 mars dernier 1778, ayant examiné
ce v in, je l’ai trouvé prefque totalement éclairci;
fon refte défaveur fucrée avoit difparu, ainfi que
fon acidité ; c’étoit celle d’un vin de pur raifin
allez fort, ne manquant point d’agrément, mais
fans aucun parfum ni bouquet, parce que le raifin
que nous nommons verjus n’a point du tout de principe
odorant ou d’efprit reâeur. A cela près, ce
vin qui eft tout nouveau 8c qui a encore à gagner
par la fermentation que je nomme infenfibie promet
de devenir généreux, moelleux 8c agréable.
Ces expériences me paroiffent prouver avec évidence
que le meilleur moyen de rémédier au défaut
de maturité des raifins, eft de fuivre ce que
la nature nous indique , c’eft-à-dire, d’introduire
dans leur moût la quantité de principe fucré né-
ceffaire & qu’elle n’a pu leur donner. Ce moyen
eft d’autant plus praticable que non-feulement le
fucre, mais encore le miel, la melaffe 6c toute
autre matière faccarine d’un moindre prix peuvent
produire le même effet , pourvu qu’ elles
n’aient point des faveurs acceffoires dèfagréables ,
qui ne puiffent être détruites par une bonne fermentation.
Je fuis très-convaincu, non-feulement d’après
mes propres obfervations , mais encore d’après
celles de MM. Baumè, Rouelle 8c de quelques autres
chimiftes qui ont fait beaucoup d’expériences
fur la fermentation fpiritueufe, que par les additions
convenables du principe fucré on peut faire
avec le jus des raifins quelconques des vins excellens
& comparables à ceux qu’on tire du moût
des raifins le mieux conditionné. .
11 eft vrai que l’addition d’une matière faccarine
dans les moûts trop acides 8c trop peu fucrés occa-
fionne néceffairemeht une certaine dépenfe : mais
fans compter qu’il en faut d’autant moins que les
raifins font moins éloignés de la parfaite maturité,
8c que pour l’ordinaire il en 'faudra peu , même
dans les années les moins favorables , de quelle
confidération cette dépenfe pourra-t-elle être fi
l’on en eft dédommagé avec un bénéfice confidé-
rabîe par la bonté 6c le haut prix du vin qui en
réfultera ? C ’eft un calcul à faire d’après des expériences
réitérées plus en grand ; mais fi le produit
en eft auffi avantageux que l’indiquent celles
dont je viens de parler , on ne devra pas balancer
affurêment à faire la dépenfe néceflaire. Ne fait-on
pas tous les ans de grandes avances pour la culture
8c les façons de la vigne dans l’efpérance très*,
incertaine d’une bonne vendange? Pourquoi crain-
droit on quelques frais dans l’attente affûtée d’un
bénéfice eonftaté par l’expérience 8c qui ne pourroit
jamais manquer ?
Ces confidérations fur le défaut de matière fucrée
dans le fuc des raifins 6c fur les moyens d’y ré-
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médier; nous conduifent naturellement à celles
qu’on peut faire fur les effets d’une forte de furabon-
dance de cette même matière, 8c fur les avantages
qu’on en retire pour faire les efpèces de vins
qu’on nomme vins de liqueur , à caufe de la fa,
veur fucrée qu’ils confervent même après la fer.
mentation la plus complette. Pour avoir une idée
jufte de ces fortes de vins qui diffèrent fi confi.
dérablement des vins fecs, il faut remonter aux
principes de la fermentation vineufe 6c fe rap.
peler que le fuc des raifins eft compofé de deux
parties principales , favoir, le principe fucré &le
principe acide extra&if ; qu’il n’y a que le premier
qui foit la matière propre de la fermentation fpiritueufe
; que cette fermentation change la nature
de ce principe, le convertit en efprit ardent', qui,
après la fermentation fe trouve combiné 6c adhèrent
avec la partie extra&ive ; que c’eft l’union de ces
deux matières qui conftitue effentiellement le vin;
que le principe faccarin eft le même dans les li.
queurs quelconques fufceptibles de fermentation
vineufe ; qu’il n’a aucune efpèce d’odeur 6c nulle"
autre faveur que la douceur qui lui eft propre ; que
par conféquent les différences tiès-grandes qui fe
trouvent dans les différens vins, non-feulement
de raifins, mais de toutes les autres efpèces de-
fruits, ne peuvent venir que de deux caufes;
favoir, la différente proportion de la partie faccarine
8c de la partie extra&ive, 6c les qualités particulières
de cette dernière , dins laquelle je comprends
tout ce qui n’eft point principe doux fucré
dans les fucs fermentefcibles. Ainfi toutes les
faveurs, odeurs & couleurs particulières qui ca-
raéfétifent les différens vins , ce qu’on nomme le
bouquet, le goût de terroir, de pierre à fufil,
de mufcat 8c autres qualités pareilles dans les vins,
viennent uniquement de la partie extraélive du
fuc, des peaux, pépins , rafles jdes raifins, qui va*;
rient fuivant les efpèces, les climats, les terreins,
l’expofition, la culture des vignes, 6cc.
Mais il n’en eft pas de même de la faveur fucrée
que certains vins confervent après leur fermentation
fenfible , après qu’ils font parfaitement
éclaircis, 6c qu’on nomme par cette raifon vins
de liqueurs. Cette qualité vient uniquement de U
furabondance même de la matière fucrée conte-
tenue dans le moût des raifins avec lefquels on
fait ces fortes de vins ; elle eft telle qu’il en refte
encore beaucoup après que la fermentation fenfible
a ceffé d’elle-même dans ces vins, contint
elle ceffe dans tous les autres.
Ce principe fucré étant, comme je l ’ai dit, h
vrai 6c unique matière première de la fermentation
fpiritueufe , étant très-difpofé à la fubirdans
toute fon étendue, 6c à fe changer totalement en
efprit ardent, il eft naturel de demander pouf*
quoi il en refte dans les vins de liqueur, pour*
quoi la fermentation fenfible s’arrête 8c ceffe d’elle*
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Blême dans ces v ins , tandis qu’ils contiennent
i encore une fi grande quantité de matière fermen-
tefcible. Voici, je crois, la reponfe fatisfaifante
f à cette queftion : c’eft que l’efprit ardent, quoique
j le produit de la fermentation, eft une des fubftances
[ qui s’oppofent le plus efficacement à cette opération.
Il fuit de là que toute liqueur fermentante
[ produit un principe propre à faire ceffer fa fer-
fmentation, 6c que quand la quantité de fefprit
lardent eft parvenue à un certain point, la fei-
[ mentation doit diminuer 6c enfin ceffer' totalement
[ dans le vin , quoiqu’il contienne encore beaucoup
I de matière fucrée três-fermentefcible. C ’eft là , pour
Lie faire obferver ic i , la vraie caufe du phénomène
[étonnant de la ceffation fpontanée de la fermentation
vineufe, fur-tout dans les excellens moûts
■ qui contiennent une grande quantité de matière
■ fucrée; car dans ceux qui n’en contiennent que
[fort p;u, l’épuifement total de cette matière peut
Icontribuer auffi beaucoup à faire ceffer cette ef-
[pèce de fermentation, dont elle eft l’unique fujet.
[ La preuve que la préfènce du fpiritueux s’oppofe
| à la fermentation vineufe avec la plus grande effi-
cacité, confifte dans une expérience bien fimple
I & bien connue, mais qui n’en eft que plus dé-
I monftrative. Qu’on prenne en effet le moût le plus
■ excellent, le plus fucré, le plus difpofé à la fermen-
■ tatioh vineufe, 6c qu’on y mêle à peu près la quantité
I d’eau devie ou d’efprit de vin qui fe trouve dans les
■ vins les plus forts 6c les plus généreux; on verra qu’il
■ nes’excitera aucune fermentation dans ce mélange,
■ qu’il confervera conftamment toute fa faveur fu-
Içrée, pourvu qu’on empêche la diffipation du fpi-
Iritueux, 6c que fi l’on vient à en faire l’analyfe
■ au bout d’un temps quelconque , on n’en retirera
■ exaftement que la même quantité d’eau-de-vie ou
■ aefprit de vin qu’on y avoit mêlée : preuve cer-
■ taine qu’il ne s’en fera pas formé dans ce mélange,
I& que par conféquent il n’aura fubi aucunement
■ la fermentation vineufe.
wncidm une quantité convenable delpnt de vi
la des fucs d’exceliens rai fins; bien mûrs, bien dou
|& bien fucrés, contenant les mêmes principe
I6t dans les mêmes proportions que les vins d
■ liflueur, 6c pouvant s’éclaircir, non par la fermen
jtation dont ils ne font pas fiîfceptibles, mais pa
,des filtrations 8c autres expédiens, ferment de
[liqueurs très-agréables 6c qui imitent jufqu’â u
I*je'rtain P< int les vrais vins de liqueur ; el'es e
■ flitterent néanmoins d’une manière fi fenfible qu’o
■ ÜV ^ tromPe point, pour le peu qu’on ait le got
■ oeiicat ; & cette différence vient uniquement d
|^e ^nel’éfprit de vin ne peut jamais fe combine
I .ails ces mélanges avec la partie fucrée 8c extrac
■ j ve, de la même manière qu’il s’y combine dar
/ s v‘ns de liqueur produits par la fermentation
I es derniers font de vrais vins, les autres ne for
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que des ratafiats dans lefquels , de quelque manière
qu’on les traite, l’efprit de vin fe fait toujours
fentir comme efprit de vin.
Cette adhérence , cette combinaifon de la partie
fpiritueufe avec la partie extraéfive fe mani-
felie d’une manière qui n’eft pas moins fenfible
dans l’analyfe. L’efprit de vin étant beaucoup plus
volatil que l’eau 8c que tous les autres principes
du vin , devroit monter dans la diftillation à la
première imprelfion de la chaleur, s’il étoit libre
6c non adhérent dans le vin ; cependant il eft de
fait que c’eft du phlegme 6c non une liqueur fpiritueufe
qqi monte d’abord, quand on commence
à diftillerdu vin, fur-tout à une chaleur modérée,
6c l’eau de vie ne commence à paffer qu’après que
le vin contenu dans la cucurbite a éprouvé un
degré de chaleur plus confidérable. C ’eft affuré-
ment une preuve fenfible que la partie fpiritueufe
eft combinée avec les autres principes moins volatils
du v in , qui la retiennent 8c ne la laiffent s’élever
dans la diftillation qu’après que leur connexion
réciproque a été détruite par une chaleur fuffi-
fante. De là vient qu’il f.'ffit de chauffer un vin
quelconque jufqu’à l’ébullition , pour le dénaturer
entièrement ; dès qu’on lui a fait éprouver cette
chaleur , quoiqu’elle n’ait duré qu’un moment,
quoiqu’on ait fait l’opération dans un vaiffeau clos
pour ne rien perdre du fpiritueux, ce n’eft plus
du v in , la partie fpiritueufe n’eft plus liée avec
les autres principes. Si l’on vient à goûter de ce
vin après l’avoir laiffé tout-à*fait refroidir, on y
diftinguera la faveur de l’eau-de-vie 8c celle de
l’extrait de vin , qui feront chacune féparément
leur impreflion particulière & d’une manière dé-
fagréable fur l’organe du goût; ce qu’on ne remarque
point du tout dans le même vin qui n’a pas
éprouvé cette chaleur.
Mais pour en revenir aux vins de liqueur, on
fent aifément, d’après ce que j’ai expofé, que tout
l’art de les faire , confifte à expofer à la fermentation
vineufe un moût qui contienne affez de principe
fucré pour qu’il en refte une quantité très-fen-
fible dans le v in , après une bonne 6c pleine fermentation.
Dans les climats affez chauds pour que les efpèces
de raifins naturellement les plus fucrés , tels que la
plupart des mufeats, celui qu’on nomme malvoifie
6c autres , parviennent à une parfaite maturité ; le
moût de ces excellens raifins fait naturellement un
vin qui conferve de la liqueur : cependant, pour
donner à ces vins encore plus de force 8c de douceur
, dans certains pays bn fait concentrer jufqu’à
un certain point le jus des raifins dans les raifins
mêmes, en les laiffant expofés 6c riffoler en quelque
forte au foleil, jufqu’au point que l’expérience
a fait connoitre, avant d’en exprimer le moût;
dans d’autres on foule ces raifins immédiatement