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après qu’ils font cueillis, mais on fait concentrer
& réduire leur moût fur le feu jufqu’à ce qu’il
foit un peu fyrupeux, ayant de lé lailïer fermenter,
& les vins de liqueur qui en proviennent fe nomment
vins cuits. Cette opération ne change nullement
la nature du moût, parce que le degré de
chaleur qui n’excède point celui de l’eau bouillante,
ne change point la combinaîfon de fes principes,
& ne lui enlève rien autre chofe que la furabon-.
dânce de l’eau de la végétation.,.
i | Quoique la plupart des vins de liqueur les plus
renommés nous viennent des pays dont la température
eft favorable à la végétation.des-efpèces de
raifins les plus fucrés , tels que la; Grèce, les îles
de l’Archipel, les Canaries , l’Efpagne , l'Italie ,
& même la Provence & le Languedoc , on en peut
faire cependant dans des climats plus, feptentrio-
naux, & l’on en fait en Hongrie, àT e ck a y , qui
eft à peu près à »la même latitude que Paris, un
des plus eftimés & d: s plus recherchés : ce v in ,
comme la^ plupart des autres , porte le nom de
fon pays. C'eft le fameux vin de T ock a y , dont
Frédéric Hoffmann a Vanté les vertus médicinales.
Ce vin eft à la vérité plus fec & un peu moins fucré
que ceux des pays que je viens de nommer; ce
n’e ft, à proprement parler , qu’un demi-rvin de
liqueur, dont la faveur ell à peu près la même
que celle d’un mélange de vin d’Elpagne avec d’excellent
vin vieux et non mouiTeux de Champagne ;
mais il n’en paroîtque plus fin & plus agréable à la
plupart, des grands connouTeurs.
Le vin de Tockay fe fait avec une efpèce particulière
de raifin, qui eft farrs doute le plus fucré
qui puifle’ mûrir parfaitement en Hongrie. Dans
les années favorables , qui font celles, ou il fait
beau pendant l’automne , on lailïe ce raifin fur la
vigne jufqu'au mois de décembre; & lorfque cette
falfon eft pkivieufe, on le cueille 6l on achève,
fuivant Frédéric Hoffmann , de le faire mûrir &
fécher jufqu’à un point convenable fur des fours:
ce raifin ainfi préparé , fournit un moût très-fucré,
qui par la fermentation produit le vin de Tockay.
On ne peut douter qu’il ne foit très-pofiible de
faire du vin tout pareil dans d’autres pays du
même climat que la Hongrie, où leshabitans auront
l’indufme & les attentions convenables : je
fuis alluré même qu’on en fait depuis un certain
temps , dans la' haute Alfaee , d’excellent & qui
approche beaucoup de celui de Tockay. J’ai goûté
de ce vin d’Alface, fait à l’imitation de celui de
Hongrie , & je ne doute point que les çoniioif-
feurs ne le trouvent aufli bon qu’il m’a paru; je
le tiens d’un citoyen de cette, province, qui a
beaucoup contribué à le perfeâionner, & qui a
bien voulu nie communiquer lés obfervations qui
lui font particulières, d'en inférerai ici les plus
importantes, d’autant plus volontiers, quelles îoijt
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proprés à compléter l’iiiftoire de la fermentatiôli
vineufe, qu’elles confirment & étendent la théorife
de cette opération'établie par les meilleurs chi;
miftes', & que je ne ferai en cela que me confor-1
mer aux intentions de l’auteür , dont l ’efprît eft
communicatif, comme l’eft toujours celui des ci«
toyens eftimables & éclairés.
Suivant le mémoire qu’a eu la bonté de m’envoyer
M. Hoffmann, bailli de Bensfdd, à Stras-■
bourg j avec plufieurs bouteilles de vin de fa façon, ‘1
il y a environ cinquante ans qu’un .particulier de la
haute'Alfaces’eft avifé, au mois de mars, de faire}
du vin avec, des raifins qu’il avoir confervés juf- S
qu’à ce temps fur de la paille, pour l’ufage de fa ,
table. Ge vin , qui avoit de la liqueur, s’eft trouvé
fi bon & fi agréable , que plufieurs autres habitans
de la même province, auxquels il avoit fait part dsl
fon procédé, le mirent en pratique & firent du vin
pareil, avec plus ou moins de fuccèsfuivant les
années & les attentions qu'ils y apportoient ; mais
communément il- s’èft trouvé aflez bon pour tenir
lieu de vins de liqueur étrangers : enfortë que l’ufage
s’en eft établi dans cette province fous le nom dé
vin de paille , & qu’on le prèfente communément
fur les tables à la fin des repas, comme un vin fin
de liqueur.
M. Hoffmann en a fait d’abord comme les autres,' J
c’eft-à-dire, en petite quantité & feulement pour ]
fon ufage ; mais confidérant que. cet objet pouvoit ;
devenir important poyr le commerce de fa province,
il s’eft appliqué à obferver, à éprouver
depuis douze ans tout ce qui pouvoit contribuer
à la perfe&ion de cette eipêcë de v in , à en faire
beaucoup plus en grand ; & non-feulement celui
"dont il m’a fait goûter m’a paru avoir au plus haut
point toutes lés qualités qu’on punie défirej- dans
un vin de. ce genre, mais des perfonhes qui s’y
connoiffent beaucoup mieux que moi., en ont porté
le même jugement.
Indépendamment des qualités, telles que îa,bonte
& la maturité «des raifins que la nature feule peut
donner , trois circonftances efîentielles doiveat fe
réunir de la part de l’art, pour obtenir un excellent
vin de paille,
La première eft le choix & la culture de la meit*
leure efpèce dç raifin propre à faire ce vin,
La fécondé, c’eft la manière de conferver ce
raifin pour lui donner fon dernier degré de matu*
rire, pour augmenter la proportion de fon pnn*
cipa fucré, & diminuer fuffifamment la quantité
de fon eau de végétation,
La troifièmé, c’eft la meilleure méthode de con»
duire & de gouverner' la fermentation du nîCll£
qu’on retire de ces raifins.
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Sur la première condition, les Alfaciens ont commencé
par choiftr les efpèces de raifins de leur prp-
ince crui leur ont paru les meilleurs, & ils ont
trouvé qu’il en falloit réunir de deux fortes pour
imiter de plus près le vin de T ock a y ; mais M.
Hoffmann, pour y ajouter une perfeaion de plus,
s’eit procuré du plant de Hongrie, qu il cultive
avec fuccès, & qui lui a très-bien réuffi.
A l’égard de la préparation de ce raifin, avant
J’en faire le moût , c’eft la manière de le con-
fever en bon état pendant tout l’hiver , qui de- -
mande le plus de foin ; il faut qu’il foit toujours
l l ’abri de la gelée ; & quand on le tient pour
cela dans des endroits fermés, l’humidité qui s en
I ivapore abondamment, fur-tout lorfqu’il y en a
I une affez grande quantité , ne pouvant ie dtiiiper,
! le fait moifir & pourrir. M. Hoffmann a remédié
I très-bien à cet inconvénient par le moyen d un
poêle qui lui procure toujours la température & a
fécbereffe convenables. 1 a obfervé que, pour la
parfaite réuffite, il faut que ce raifin ait perdu,
avant qu’on en tire le moût, prefque les trois quarts
de fon poids. Lorfqu’il eft queftion de le fouler,
t il en fépare les rafles , qui, étant très-fèches ^boiraient
une partie du jus ; & même comme ce dernier
eft fort épais, il y ajoute une vingtième partie I de vin ordinaire de l’annee précédente. Après un
I foulage très-exaâ, illaiffe le tout en repos pendant-
I vingt-quatre heures, le porte enfuite au prefloir ;
I le moût qui en fort eft très-fucré, comme on l’ima-
[ gine.bien, & prefque aufli épais qu’un ftrop ou
I miel liquide.
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quiéter de l'éclaircir ; & fi le vin a réuffi, il commence
à s’éclaircir de lui-même a la fin de la quatrième
année : à la cinquième il eft potable, & fe
conferve ainfi tant qu’on v eut, en augmentant toujours
de bonté. L’auteur' avertit qu’il faut bien fe
donner de garde de le tirer en bouteilles plutôt que
la cinquième année, & qu’avant de l’y mettre on
doït le coller à l’ordinaire avec la colle de poiffon.
J’ai, dit M. Macquer, de ce vin de paille fait avec
toutes ces attentions par M. Hoffmann. Sans compter
qu’il eft d’une finefle & d une bonté très-peu
communes > il n’eft pas pofîible de voir une liqueur
d’un coup-d’oeil plus flatteur, par la vivacité &
par le brillant de fa limpidité.
L’explication de tous ces curieux phénomènes
peut fe déduire f i facilement & fi naturellement
de la théorie & des principes de la fermentation
du v in , qu’il eft inutile de s’y arrêter. Je me
contenterai de faire obferver qu’il eft probable
qu’on pourroit Amplifier & abréger la plus em-
barraffante des opérations de vin de paille, je
veux dire la confervation du raifin pendant tout
rhiyer.
Il eft bien vra! que les raifins, de même qu’un
grand nombre d’autres fruits, après avoir acquis
toute la maturité à laquelle ils peuvent parvenir
fur les arbres, peuvent en acquérir un nouveau
degré, & même extrêmement fenfibler dans certains
fruits, comme ceux qu’on nomme fruits £ti-
ver, quand, après avoir été cueillis, on les conferve
pendant un certain temps dans un endroit
fec & à l’abri de la-gelée : il eft vrai aufli que l’effet
de cette fécondé maturation eft d’augmenter con-
fidèrablejnent la proportion du principe fucté de
ces fruits, par rapport à leur principe acide ou
extraâif, & qu’ils en deviennent par conféquent
infiniment mieux difpofés à une bonne fermentation
fpiritueufe. Je ne doute point non plus que
la matière fucrée qui fe forme ainfi par l’effet de
la maturation dans les fruits, ne foit mieux combinée
avec leurs autres principes prochains, que
le fucre qu’on ajouteroit à leur moût pour tenir
lieu de celui que la parfaite maturation n’a pu
leur donner ; & ainfi il eft très certain qu’il faut
procurer ce dernier degré de maturité par tous les
moyens poflibles aux raifins dont on veut faire, du
vin de liqueur. Mais le temps néceffaire pour cette
dernière maturation a fes limites, & diffère beaucoup
pour chaque efpèce de fruits. Il eft très-long
pour leS pommes & pour certaines poires d’hiver ;
mais il m’a paru, par le peu d’obfervations que
j’ai faites à ce fujet, qu’il l’eft bien moins pour
les fruits beaucoup moins dnrs , beaucoup plus
fucculens, & en particulier pour les raifins.
Il eft bon d’obferver aufli que quand les fruits
fucculens quelconques font parvenus à leur dernier
degré de maturité, ils commencent à dégénérer