
Obfervations & expé-ienc s fur l'altération que le vin
éprouve dans certaines bouteilles de verre , par
M. Ttfli r du Clofcau.
Chargé par le tribunal de la juftice de féconder
fes louables intentions pour l’ordre & le bien
public , d’éclairer Si de diriger fon zèle dans la
recherche difficile d’une vérité chimique, dont la
découverte devoit donner la folution do problème
qui fait l’objet de ce mémoire , j’ai entrepris, le
t x mai 1787, l’aralyfe dont je vais rendre compte.
Ge fut à l’époque de la conteftation qui s’éleva
entre un gentilhomme diftinguè de cette province
& un marchand de bouteilles , qui lui en avoit
vendu une quantité cor.fidérable, provenant de
la verrerie de Souvigny, à Moulins en Bour-
bonnois» Heureux fi par mes foins Si mes travaux,
j’ai pu juftifier le choix de cette célèbre compagnie!
plus heureux encore d’avoir pu contribuer au
bonheur de mes concitoyens, en-leur offrant les
précieufes reffources d’une fcience & d’un art qui
leur apprennent à dévoiler une fraude préjudiciable
à leurs intérêts & pernicieufe à leur fanté.
M. de C* ** fit mettre 3 au mois d’oâobre
1786 , plufieurs barriques de vin de Saint-Bar-
thellmi, près d’Angers, dans les bouteilles en
quefiion. Son vin y contraâa fucceffivement les
mauvaifes qualités dont je vais faire mention.
Confidérant d’abord fa pefanteur fpécifique , j’y
plongeai l’aréomètre ; lequel indiqua deux degrés
au-deffus de zéro, à la température de treize degrés
au thermomètre de Réaumur. Le même vin ,
mis dans des bouteilles d’une verrerie de Nevers ,
dont la fupériorité eft reconnue, a donné le même
réfultat. Leurs pefanteurs fpécifiques étoient les
mêmes, mais les autres qualités phyfiques étoient
bien différentes.
La couleur du vin contenu dans les bouteilles
de Nevers , étoit claire , limpide 8c tranfparente,
un peu citrine ou paijliée, couleur ordinaire &
naturelle aux excel'.ens vins d’Anjou , dans lef-
quels le muqueux eft très-abondant. Le même
v in , dans des bouteilles de Souvigny , au contraire
> étoit louche, trouble , dépofant un fédiment
brunâtre qui formcit un nuage épais lorfqu’on
l’agitoit. Le vin des bonnes bouteilles n’offroit
qM*un léger dépôt adhérent à la paroi inférieure.
Ce dépôt eft commun aux vins riches en muqueux,
dans lefquels la fermentation fecondaire s’achève
lentement, en raifon de ce principe fermentef-
cible Si confervateur. Enfin la faveur , l’odeur &
la couleur, du vin des mauvaifes bouteilles étoient
tellement altérées, qu’elles étoient méconnoiffa-
bles.
Après cet examen préliminaire , j’ai filtré au
papier le produit d’une des bouteilles de Souvigny
de la capacité de cinq fetiers, pefant deux
livres 8c demie , lequel a teint le filtre d’un enduit
épais & noirâtre, & y a laiffé dix-neuf grains
de tartre, dont la majeure partie avoit la forme
criftilline du caibonate calcaire romboïdal obtus,
ou fpath calcaire ; le refie étoit criftallifé d’une
manière confufe & indéterminable à la loupe,
Une égale quantité de vin mife dans les bou-
teilles de Nevers, a légèrement teintle filtre, &
n’a laiffé que fix grains de tartre acidulé de po-
taffe criftallifé confufément-, produit fpontané de
la fermentation infenfible qui donne au vin cette
maturité exquife & ce goût agréable & généreux,
qui le rend un remède falutaire à celui qui en
ufe rarement & avec modération^ L’analyfe des
vins d’Anjou fournit une grande quantité de ce
fe l, dont la proportion varie, en raifon des crus
& des faifons , plus ou moins favorables. J’ai aufli
remarqué que les petits vins très-acides de la même
province . attaquoient plus promtpement & plus
comp'efctement les ver ns tendres. Quoique le vin
de Saint-Barthellmi, ' par la jufte proportion &
'l'intime combinaifon de fes principes, contienne
plus d’acide tartareux libre, il n’en a pas moins
agi fenfiblement fur les mauvaifes bouteilles, qu’il
a diffoutes en partie, 8c entraînées dans fa crif-
-tallifation.
O.i conçoit aifément que la féparation forcée
d’un des principes conflitutifs du vin n’a pas pu
avoir lieu fans opérer une entière décompofidon.
Onze onces de vin des bouteilles de Nevers, évaporées
en confiflance d’extrait, dans une capfule
de verre au bain de fable, ont fourni un gros,
cinquante grains d’extrait folide brun. Pareille
quantiré de vin des bouteilles de la verrerie de Sou*
vigny, traitée de lamême manière, a donné un poids
égal d’extrair, mais très-différent par la faveur, qui
parricipoit du mauvais goût que le vin avoit acquis
dans les bouteilles. Ce vin, quoique clarifié par la
filtration qui en avoit féparé un réfidu abondant,
avoit encore confervé une faveur défagréable &
femblable à ce que l’on défigne vulgairement fous
le nom d’éventé ou gâté ( expreflîon plus exafte ).
Elle indique une altération dans les principes,
laquelle étoit fort fenfibie dans le vin enqueftion.
Je n’ai pas cru devoir pouffer plus loin mes
recherches fur la nature du vin, ayant pour objet
principal de faire l’analyfe des bouteilles. Il
eft donc inconteflable que l’altération que le vin
a éprouvée dans ces bouteilles, eft due à leur
mauvaife compcfition , puifque le même vin, mis
dans des bouteilles de meilleure qualité, fournis
aux mêmes épreuves, s’eft confervé intaéh
J’ai caffé plufieurs bouteilles provenant des
verreries de Nevers & de:Souvigny à Moulins
en Bourbonnois, afin de mieux obferver & de
conflater leurs différentes qualités par l’infpeéfion
de leur caffure & de leur intérieur; celui-ci n’er
toit pas fenfiblement attaqué dans l’une & dans 1 autre
forte de bouteilles ; mais la caffure & les angles
qui en réfultoient, étoient très-différens. On fa t
que la caffure vitreufe eft fi confiante & uniforme,
qu’elle a fervi de caractères au célèbre Daubenton.
Voyez fon tableau méthodique des minéraux. La caffure
du verre de bonne qualité eft donc toujours
ondée, & fes angles font plus ou moins aigus ;
ce que j’ai obferve & vérifié fur celui de Nevers,
au lieu que le verre de Souvigny m’a offert une
caffure plus égale, dont les ondes étoient peu fen-
fibles 8c fort éloignées, les angles obtus 8c pref-
qu’arrondis. Enfin la maffe vitreufe étoit remplie-
de groflès bulles d’air, lefquels indiquent certainement
une fufion & une vitrification imparfaites.
Ces fragmens mis dans les acides minéraux
libres & dans ces mêmes acides combinés à di-
verfes bafes, en ont éprouvé les altérations fui-
vantes : l’ acide fulfurique, concentré au point
de pefer le double de l’eau diftillée, n’a pas plus
agi fur le bon que fur le mauvais verre ; mais
l’ayant étendu par l’eau , fon aétion s’eft alors ma-
nifeftée fur ce dernier , lequel a été corrodé ou
diffous. Les acides nitrique & muriatique ont dé-
j compofé très-promptement & complettement le
I mauvais verre, fans attaquer celui qiii étoit de
1 bonne qualité. J’ai rempli d’acide nitrique foible
ou d’eau forte du commerce, une des mauvaifes
| bouteilles; je l’ai plongée dans un grand vafe plein
du même acide, afin de l’attaquer de toutes parts.
[ J’obferverai que cet acide nitrique a produit un
effet inverfe ; c’eft-à-dire, que fon aétion a été
| d’autant moins fenfibie, qu’il étoit plus étendu
d’eau, tandis que l’acide fulfurique foible a déve-
| loppé une énergie plus grande que ce même acide
I plus fort ou plus concentré. Ayant traité divers
morceaux de verre des deux qualités, par des
I diffolutions de nitrate mercuriel, de fulfate 8c de
[ pruffiate de mars : ces trois fels ont été décom-
[ pofés par le verre de Souvigny , fans éprouver
I la moindre altération de la part de celui de Ne-
l vers; ce qui décele évidemment une compofition
& une fabrication très-défe&ueufes.
Après avoir pulvérifé les débris d’une des bouteilles
de Souvigny , 6c réduit en poudre un
I fragment d’un mortier de verre verdâtre , pro-
I venant de la verrerie de la Pierre, dans le Maine,
I je les ai mis dans des creufets fie Heffe.Le dernier
I verre s’eft parfaitement fondu dans l’efpace de
j fix heures, tandis que le premier, ou celui de
I mauvaife qualité , placé dans le même fourneau
I & dans le même inftant, s’eft feulement aglutiné
j & réuni dans une maffe jaune, très-reffemblante
I par la couleur, la forme grenue 8c parla fragilité,
a ce que les minéralogiftes défignent fous le nom I de grès pourri; le creufet qui le contenoit a été
I coloré en violet par la manganèfe, q u i, mife en
I excès ou mal combinée, donne ordinairement
Arts 6* Métiers• Tome VIH«
cette couleur au verre ainfi qu’aux vaiffeaux qui
le contiennent. Une once d’acide nitrique, & pareille
quantité d’acide muriatique, verfées fépa-
rément fur deux gros de cette matière jaune, for-
tant du creufet, l’ont diffoute en partie. 11 eft ef-
fentiel de rappeler ici les principes fondamentaux
de l’art de la verrerie; tel eft celui-ci qui les
renferme prefque tous. La fufibilité des marières
vitrifia blés eft en raifon de la nature 8c de la quantiré
des fondans falins terreux du métallique 8c de
la violence du feu, pour en opérer la vitrification.'
Une longue fuite de faits 8c d’obfervations ayant
appris ces vérités inconteftables , les phyficiens Si
les gens de l’art en ont fait des lois générales qui
doivent fervir de règle dans les verreries. Il n’eft
donc pas permis de les enfreindre impunément,
foit par ignorance, foit par mauvaife foi ; l’une
8c l’autre font également condamnables.
D ’après ces principes, fondés fur les expériences
ci-deffus, 8c confirmés par celles dont je vais rendre
compte, je fuis en droit de conclure que les
bouteilles de Souvigny ne doivent leurs mauvaifes
qualités qu’à la nature des fondans terreux,
impurs , 8c au défaut de proportion entre fes principes
conftitutifs. Il en eft donc réfulté une combinaifon
imparfaite, qui ne les fortifiant pas l’un
par l’autre, les laiffe , pour ainfi dire, à nud 8c
fans défenfe contre l’aétion des divers agens.
Defirant démontrer cette vérité, j’ai caffé une de
ces mauvaifes bouteilles, je l’ai mife dans une
pinte d’acide nitrique, dont la pefanteur fpécifi-,
que étoit à celle de l’eau diftillée :: 1500:1,000. Les
angles 8c les bords des fragmens ont été attaqués
les premiers, les filets criftallinç convergeoicnt de
la circonférence vers le centre.
Douze jours après cette opération, j’ai obtenu
dix gros de concrétion faline folide, 8c de cou-
■ leur d’un blanc d’émail, formée par la combinaifon
de l’acide nitrique 8c de la fubftance des bouteilles,
qui étoient corrodées à plus d’une ligne de profondeur.
J’ai trituré Si fait diffoudre ces dix gros
de nitrate , à bafe des bouteilles, dans vingt-huit
livres d’eau diftillée, dans une capfule de verre
blanc, au bain de fable. A ce degré de chaleur ,
la capfule a été colorée en violet, ainfi que je
l’ai obfervé dans le creufet ci-deffus, vraifem-,
blablement par la même caufe.
Il a refté fur le filtre tin réfidu du poids de
trois gros trente fix grains ; lequel a refufé de fe
diffoudre. Soupçonnant que ce pouvoit être la filice
ou terre quartzeufe, j’ai verfé fur une partie de
ce réfidu, de l’acide fulfurique 8c nitrique, afin
d’en extraire tout ce qui étoit foluble par les menf-
trues; mais ils ont paru fans a&ion. Alors , j’ai
expofé cette terre feule au chalumeau fur un fup-
port de platine; n’ayant remarqué aucune ahér
ration, j’ai ajouté un peu de carbonate de Coude,