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aucun mouvement , même dans la cuve demi-
pleine , c’eft une marque que la fermentation eft
achevée, & que le vin eft entièrement converti en
vinaigre.
La chaleur plus ou moins grande accélère ;ou
ralentit cette fermentation, de même qne celle du
vin ; elle s’achève en F rance dans l’elpace d’environ ;
quinze jours pendant l’été ; mais fi la chaleur de
l’air eft trop forte, &. qu’elle paffe le vingt-cinquième
deg-è du thermomètre de M. de Réaum'ur,
alors on remplit de douze heures en douze heures
le tonneau demi- plein, parce que fi on n’interrom-
poit point la fermentation au bout de ce temps,
elle deviendroit fi. vive., & la liqueur s’étharuâç-
roit à tel point, qu’une grande quantité des parties
fpiritueufes, defquelles dépend la force du vinaigre
, fe perdroit, & qu’on n’auroit, après la ferr
men taiion, qu’une matière va pi de, aigre à la vérité,
mais fans force. On: prend aufli la précaution, pour
empêcher la diflipation de ces mêmes parties, de
couvrir la cuve demi-pleine où fe fait la fermentation
, avec un couvercle de bois de chêne. A l’égard
de la cuve pleine , on la laifle découverte , afin
que l’air puiffe agir librement fur la liqueur qu’elle
contient, pour laquelle il n’y a pas les mêmes in-
cor.véniens à craindre, parce que la liqueur n’y
fermente que très-lentement.
Les rafles & les farmens que quelques vinaigriers
emploient, fervent à introduire, dans le vinaigre,
un principe acerbe & aftringent qui peut accélérer
la combinaifon de la partie fpiritueufe avec les
autres principes du vin. Ces matières contiennent
elles-mêmes un acide développé qui eft trèi-fen-
fible; elles fervent aufli de ferment, c’eft-à-dire-,
quelles difpofent le vin à fe tourner à l’aigre plus
promptement & d’une manière plus vigoureufe.
Quand elles ont une fois fervi, elles font encore
meilleures & plus efficaces , parce qu'elles font
toutes pénétrées de l’acide fermenté ; aufli les vinaigriers
les confervent-ils pour fervir à de nouveau
vinaigre, après les avoir lavées promptement dans
un courant d’eau, pour emporter feulement une
matière gluante & mucilagineufe qui s’eft dépofée
deflùs pendant la fermentation. Il eft .néceflaire
d’emporter ce dépôt, parce qu’il eft difpofé à la
moififlure & à la putréfaction ; ainfi il ne pourroit
être que nuifible à la liqueur dans laquelle on le
mettroit. ■
Dans le procédé que nous venons de décrire,
on s’aperçoit que le contad de l’air & l’agitation
de la liqueur à propos paroiffent abfolument né-
ceffaires 5 du moins cela accélère confidérablement
fa préparation.
Quelques chimiftes, & fingulièrement Siaahl,
ont fait du vinaigre dans des vaifleaux de verre
hermétiquement bouchas, & qui, toutes chofes
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égales d’ailleurs , s’eft trouvé infiniment meilleur
que celui qu’on prépare dans les vaifleaux où l’air
a un libre accès. Staàhl avoit employé pour cela la
chaleur du fumier.
Après que le vinaigre eft préparé, on le met dans
dés tonneaux qu’on tranfportè dans un endroit frais.
Le vinaigre s’éclaircit, il dépofe fa lie : on le fou tire
en fuite, & on met la lie dans des toiles que l’on
foumet à la prefle, pour en féparer le plus qu’il
eft poffible le vinaigre dont elle eft encore imprégnée.
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Il règne dans le public un préjugé , qui eft que
les vinaigriers ont un fecret pour faire le vinaigre,
& que ce fecret n’eft communiqué aux apprentis
que lors de -leur réception à la maîtrife. Cette idée
eft peut-être fondée fur ce que plufieurs vinaigriers
ajoutent dans la préparation de leur vinaigre;, pour
lui donner plus de force, certaines ma iëres âcres
& piquantes , telles que font le poivre de Guinée,
le poivre long, le poivrë.noir en grain, le gingembre
, ék ci’autres fubftances à-peu-près de même
nature.
La plupart des vinaigriers de Paris préparent très-
bien leur v inaigre, & le font d’une meilleure qualité
que celui qu’on fait à Orléans, qui jouit aufii
d’une certaine réputation. On reproche cependant!
-aux vinaigriers de Paris de préparer leur vinaige |
avec des lies de vin. Mais fi l’on examine cette
matière fans prévention, on verra que la liqueur
qu’on tire de la: lie avant d'en faire le vinaigre,
eft pour Jle moins jàuifij bonne que les vins gâtés
qu’on emploie ordinairement D ’ailleurs, il eft certain
que le vinaigre qu’on prépare avec la lie, eft
même meilleur & plus acide que celui qui eft fait
avec le vin duquel on a féparé la lie. Mais une
faute grave qui mériteroit punition , & qu’on eft en
droit de reprocher à quelques vinaigriers de Paris,
eft de mêler à de mauvais vinaigre plat & fans
qualité , une certaine quantité d’eau-forte pour lui
donner la faveur acide & la force qui lui manquent.
Cette fraude eft difficile à découvrir au premier
abord & par la fimple déguftation, même par un
chimifte , à moins qu’il n’en faffe un examen particulier.
Voici la méthode qu’on fuit à Paris pour prépaier
le vinaigre.
On ramaffe la quantité qu’on veut de lie de
bon vin; on la met dans une .cuve de bois contenant
environ dix-huit muids ; on la délaye avec
une fuffifante quantité de vin , & on introduit ce
mélange dans des facs de toile forte. On arrange
ces facs dans un très grand baquet de bois très-
fort , dont le fond fait fonélion de la partie infé*
rieure d’une prefle. On pofe des planches pardemis
les facs, on fait agir la vis d’une bonne prefle » *
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onia ferre de temps en temps pour faire fornr le
vin que la lie contient : cette opération dure ordi-
naireroent huit jours! ' - M S jg lf
On met ce vin dans des tonneaux qui tiennent
m„id & demi. ( On fe fert ordinairement des
bnfes d’eau-de v ie ). On place les tonneaux verticalement
fur’leur fond , & on pratique à la partie
> {intérieure un trou d’environ deux pouces de dia-
i.mètre, qu’on laide toujours ouvert , afin que la
liqueur ait communication avec l’air extérieur. Le
[,vinaigre eft ordinairement quinze jours à fe faire
pendant les 'chaleurs d e l’été ; ;mais lorfqu on, le
prépare en hiver, il faut un mois : on^ eft meme
; obligé de mettre des poêles pour accélérer, par
la chaleur artificielle, le mouvement de la fermentation
acide;
[ Lorfque la liquetir eft parvenue à un certain
degré de fermentation, elle s’échauffe beaucoup > j
&°quelquefois fi confidérablement, qu’à peine on
y peut tenir les mains. Dans ce cas on arrête le
progrès de la fermentation , en rafraichiffant la
liqueur par l’addition d’une certaine quantité devin.
On la laiffe fermenter de nouveau jufqu’à ce que le
[vinaigre foit fuffifamment fait. Alors on met ce vinaigre
dans des tonneaux, au fond desquels il y a
une bonne quantité de copeaux de bois de hêtre. Les
| vinaigriers emploient à cet ufage., autant qn il leur
eft poffible, les râpés qui ont fervi aux marchands
de vin. On le laifle s’éclaircir fur ces râpés, où il
refte pendant environ quinze .jours : ôn le tire
I enfuite au clair , & on lë conferve dans de grands
| tonneaux.
Le point principal de l’art du •vinaigrier confifte
: à arrêter à propos la fermentation ; fiori’la laiffoit
aller trop loin , le vinaigre pafferoit très-pitomptè-
! ment à une forte dè putréfa&ion. Les copeaux des .
i vinaigriers leur fervent très-long-temps , quelque-
j fois même pendant quinze années çte fuite.
La lie eft le dépôt ou le fédiment qui fe forme
dans le vin après la fermentation fpiritueufe ; mais
e’is retient toujours du vin : on la délaye dans
d'u vin avant de la mettre à la prefle , afin de
1 rendre l’expreflion plus facile en. diminuant la vif-
cofité de cette matière. Lorfque la lie eft très—li-
quide, comme il s’en trouve quelquefois , mais
rarement, il n’eft pas nécessaire - de la délayer
avant de la mettre à la prefle. Par cette opération
on fépare la partie terreufe de la lie, qui nuiroit
et embarrafîer.oit dans la préparation du vinaigre.
[ S’il étoit poffible de faire cette expreflion très-
promptement et dans des vaifleaux clos, ce que
l’on en retirëroit feroit du vin-prefque aufli bon
que celui qu’on tire du tonneau ; mais ces précautions
ne font pas u Citées pour le vin qu’on
veut convertir en vinaigre.
Les vinaigriers qui n’ont pas intention de faire
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du vinaigre parfait, délayent le vinaigre avec-partie
égale d’eau & de vin ; mais le vinaigre qui en
réfulte, n’eft pas à beaucoup près aufli bon. Pour
lui donner la même qualité en apparence, ils y
font infufer une certaine quantité des ingrediens
âcres dont nous avons parlé plus haut : ces fubi-
tances lui. procurent une faveur âcre & piquante,
que bien des perfonnes confondent.avec la faveur
fraîche, acide , forte & ;pénétran;e que doit avoir
le,bon vinaigre.
Dans toutes ces opérations le vin qu’on tire de
la lie •& celui qu’on emploie , perdent confidéra-
blement de leur couleur : le vinaigre, api es qu il
eft fait, n’a qu’une couleur rouge tres-foible , tirant
fur celle de feuille morte. Mais comme on aime
à voir au vinaigre une couleur rouge décidée, les
vinaigriers la lui donnent par l’addition d une
fuffifante quantité de fuc de baies de fureau ou
d’hlèble.
Le marc qui refte dans les facs, eft la partie
terreufe de la lie : on le prive de liquide le plus
qu’il eft poffible, en l’exprimant très-fortement;
& dans cet état il fe vend aux chapeliers , qui
s’en fervent pour le foulage des chapeaux.
La toile qui fert à faire, les facs pour cette ex-
preffion, doit être forte, parce qu’elle fupporte
des efforts très-confidèvables qui la font fouvent
crever : les vinaigriers ont remarqué que la meilleure
de toutes eft une efpèce de toile qui ne fe
fabrique que dans le Barrois , & qu on ne piépare
pour ainfi dire que pour eux.
Le baquet dans lequel on arrange la preffée de
matière , eft très-grand , & cerclé de plufieurs
cercles de fer très-forts : les douves ont deux pouces
d’épaifleur, & le fond pareillement : tout le
fond eft exactement goudronné par deffous, & les
joints font garnis de ma flic faits de .brique pnee
& de poix-réfine : on fait porter le fond de ce
baquet à terre, afin qu il ait plus de folidite, &
qu’il ne foit pas expofè à' être enfonce par 1 effort
de la prefle : à un des côtés de ce fond, on a pratiqué
un trou par où s’écoule la liqueur qui fort des
facs, & qui tombe dans un baquet qu’on a placé
an-deffous , dans une foffe qu’on a creufée en
terre.
Nous avons dit que lorfque le vinaigre eft fait,
on le tire au clair pour le féparer de fa lie. Les
vinaigriers mettent toutes cés lies de vinaigre à
part ; ils les expriment pour en féparer ce qui peut
y refter de vinaigre, & le marc fe vend aux imprimeurs
pour leur encre.
Le vinaigre blanc fe fait comme le rouge; mais
le marc qui refte dans lés facs après l’expreflion ,
n eft point propre aux chapeliers;.il ne fert que