
troubler : on remet, d’autre vin femblable fur les
mêmes copeaux, & on les fait fervir ainfi jufqu’à
ce qu’ils (oient tellement imprégnés de lie, qu’ils
ne produifent plus cet effet. Alors on les lave pour
emporter la matière mucilagineufe que le vin a
dépofée deffus : on les fait fécher enfuite, & ils
peuvent fervir pour une autre opération.
Il y a des marchands de vin qui, au-lieu de copeaux
de bois de chêne , emploient des grappes de
raifm féchées. Ces grappes produifent le même
effet que les copeau* de bois de chêne, & four-«
niffent également au vin une fubftance acerbe &
aftringente qui fait précipiter la lie.
Le vin qui a fubi l’une ou l’autre de ces opérations
, fe nomme vin râpé.
Ce vin perd ordinairement beaucoup de fa couleur;
c’eft la propriété qu’ont ces matières acerbes
& aftringentes de précipiter en même temps une
partie de la fubftance colorante du vin.
Lorfque le vin a trop perdu de fa couleur, les
marchands lui en redonnent, en ajoutant du fuc
d’ïeble ou du fuc de fruit de fureau , ou pour le
mieux, d’une efpèce de gros vin rouge, que l’on
nomme vin de teinture, à caufe de la propriété qu’il
a de donner beaucoup de couleur, même en n'en
mettant qu’une petite quantité.
Si les moyens illicites qu’emploient certains marchands
de vin n’étoient point connns* on fe dif-
penferoit volontiers d’en parler ici; mais comme
nous ne prétendons rien leur apprendre à ce fujet
en en faifant part au public, nous indiquerons les
moyens de reconnoître les fraudes.
I l y a des marchands qui adoucirent le vin dif-
pofé à devenir aigre ou qui l’eft déjà, en y ajoutant
de la craie ou du fiel alkali fixe ; l’une & l’autre
de ces fubftances s’emparent de l’acide du vin, &
le rendent plus potable : comme ces matières donnent
une légère faveur amère au vin , on y ajoute
un peu de miel ou de caffonade pour en mal'quer
l’amertume.
Ces matières ne font pas pernieieufes pour la
famé ; mais elles font toujours illicites , en ce que
c’eft une addition de matière étrangère qui refte en
diffolution dans le v in , & en diminue la qualité.
La vin qui a été raccommodé par la craie, ne
peut pas fe garder plus de quinze jours ou environ ;
il devient plat & fade au bout de ce temps.
Le moyen de reconnoître le vin qui a été ainfi
falfifié, eft d’en verfer un peu dans un verre , &
de verfer deffus quelques gouttes d’alkali fixe : il
fe fait fur le champ un précipité blanc & terreux,
ce qui provient de ce que l’alkali fixe s’empare de
l’acide du v in, & fait précipiter la craie que le vin
tenoit en diffolution.
A l’égard du fel alkali qui auroit été ajouté au
vin pour l’adoucir,^ ne peut être reconnu avec
la même facilité : il faut, pour y parvenir , employer
des moyens chimiques qu’il feroit trop long
de détailler, & qui nous éloigneroient trop de
notre fujet.
Il y a. encore un troifième moyen qui a été employé
par des falfificateurs, pour adoucir'le vin
aigri ; il confifte à mêler une certaine quantité de
litharge dans un tonneau de vin. L’acide de ce
vin diffout la litharge, & il acquiert une faveur
douce & même fucrèe ; mais ce moyen eft des
plus dangereux & des plus pernicieux pour la
famé, en ce qu’il ôccafione des coliques métalliques,
que l’on nomme .plus communément coliques
des Peintres 9 des Plombiers ou de Poitou. Ceux
qui emploient ce moyen.font punis de mort dans
certaines parties de l’Europe , telles que l’Aile*
magne ; mais ce poifon lent n’eft pas regardé d’un
oeil aufli févère en France.
Il y a environ vingt-trois ans que quelques marchands
de vin furent faifis avec de femblable vin
lithargè : quelques-uns payèrent une amende, on
mura la boutique des autres.
Dans la faifie qui fut faite alors , on trouva un
grand nombre de pièces de mauvais vin qui n’étoit
point lithargè : on reconnut que ce vin étoit abfo-
lument faâice & compofé de toutes fortes de droguescomme,
miel, melaffe, eau-de-vie, vinaigre
, bière , cidre, &c.
Ces efpèces de vin ne peuvent pas empoifonner
comme ceux dans lefquels on a fait entrer de la
litharge; mais au moins eft-il certain'qu’ils font
mal-fains.
Le moyen de reconnoître le vin lithargè, eft
d’en mettre un peu dans un verre, & de verfer
deffus quelques gouttes de diffolution dé.foie k-
foufre ; lorfque le vin contient de la litharge , il fe:
fait fur le champ un précipité noirâtre, qui provient
de ce que l’acide du vin s’empare de l’alkali
du foie de foufre. Le foufre & le plomb fe précipitent
enfëmhle.
Lorfque le vin ne contient point de litharge, le
précipité qui fe forme par l’addition du foie de
foufre eft blanc, & c’eft du foufre tout pur. Dans
l’un & dans l’autre cas, il s’exhale du mélange du
vin avec le foie de foufre , une odeur d’oeufs
pourris.
Il y avoit à Paris un corps de marchands de vin j
oui comprend tous ceux qui font l’une & 1 autre
efpèce de commerce dont nous avons parlé au
commencement de cet article; mais quoiqu’il foit
confidérable, foit par le grand nombre de fujets
oui le compofent, foit par la richeffe de plufieurs
tfentre eux, il n’a pu encore obtenir des fix anciens
corps d’être traité d’égal avec eux, & d’être reçu
dans leurs affemblées générales , quoique d’ailleurs
il jouiffe prefque de tous leurs privilèges.
Le corps des marchands de vin doit fon établif-
fement à Henri III. Avant fon règne, le commerce
de vin, foit en gros, foit en détail, étoit prefque
libre à toutes fortes de perfonnes ; & pour le faire
il fuffifoit , à Patis & par-tout ailleurs dans le
royaume, de quelques légères .permillions qu’on
obtenoit aifément & à peu de frais, ou des officiers
1 de police du roi, ou de ceux des feigneurs qui
avoient le droit du ban , c’eft-à-dire , de vente de
vin. Aujourd’hui on compte à Paris quinze cents
marchands de vin.
Cette grande liberté dont jouiffoient les mar-
I chands de vin , fut reftreinte par un édit du même
prince-, du mois de mars 1 577, pour remédier aux
I abus fans nombre qui fe commettoient à ce fujet ;
& il fût ordonné que nul à l’avenir ne pourrôit
tenir hôtellerie & cabaret, qu’il n’çût pris des lettres
I de permiffion.
Ayant été inquiétés dans la fuite par les vînai-
I griers, à l’occalion de la liberté qu’ils avoient tou-
I jours eue de convertir leurs vins gâtés & leurs lies
en vinaigre, & d’avoir chez eux des preffes pour
I cet effet, ils demandèrent & obtinrent en 158$ »
I d’être érigés en corps de communauté, laquelle fut
I divifée, conformément à Tes ftatuts, en marchands
[ en gros & marchands en détail.
donner k boire du à manger, & de recevoir personne
dans leurs cabarets pendant les temps défendus
par les règlemens de la police , à peine
d’être punis fuivant la rigueur des ordonnances,
& enjoignit aux intendans de province, à tous
juges & officiers royaux, même aux juges des
feigneurs , de tenir la main à l’exécution de cet
arrêt, & des ordonnances & règlemens faits à ce
fujet.
Les gardes étoient au nombre de quatre , dont
deux élus chaque année pardevant le prévôt de
Paris ou fon lieutenant-civil, le procureur du roi
auffi préfent, qui doit recevoir le ferment des
nouveaux élus.
Les mêmes maîtres ne peuvent être appelés deux
ans de fuite pour l’éleâion , ni tout le corps y
affifter; mais, pour la convocation, les règlemens
faits pour le corps de la draperie doivent
être obfervés.
Les maîtres élus gardes font obligés d’accepter,
s’ils n’ont des excufes valables ou des empêche-
mens légitimes.
Nul ne peut être reçu maître qu’ il n’ait fait un
apprentiffage de quatre ans , ou qu il ne foit fils
de maître.
Nul maître n’a droit d’obliger plus d'un apprenti.
Le veuves peuvent achever l’apprenti commencé
par leur mari, mais non en faire un nouveau
: du refte, elles jouiffent de tous les privilèges
du corps, & peuvent avoir chez elles un
ferviteur pour l’employer au fait de leur marchan-
dife de vin.
Les marchands de vinpouvoient autrefois avoir
autant de caves en ville & de cabarets qu’ils vou-
loient; depuis quelque temps il leur étoit défendu
d’avoir plus de deux caves.
Les ftatuts de la communauté des marchands de
vin confident en vingt-neuf articles, dont les dix
derniers., à l’exception du vingt-neuvième, concernent
l’éleôion, les fondions & les droits des
maîtres & gardes, qui prefque en tout font égalés
aux maîtres & gardes de la draperie & des autres
corps des marchands de Paris.
Par leurs ftatuts, les cabaretiers marchands de
vin ne peuvent point vendre leurs vins les jours
de dimanche & de fête, pendant le fervice divin,
& les autres jours après huit heures du foir en
hiver, & dix heures en été. Pour ôter "tout prétexte
d’abus, & empêcher qu’on ne paffât la nuit
dans les cabarets, fa majefté leur défendit, par un
»trêt de Ion confeil d’état du 4 janvier 1724 > de
Il eft défendu à tous les maîtres d’exercer les
états de vendeurs de vin ou de courtiers en office,
tant qu’ ils feront réputés du corps. Pareilles dé-
fenfes font faites d’avoir chez eux des cidres &
poirés pour en faire négoce.
Les arts & métiers étant devenus libres par les
décrets de l’affemblée nationale, & le commerce
des vins pouvant fe faire par toutes perfonnes,
moyennant les droits de patentes , les règlemeng
ci-deffus concernant les marchands de vin, n_ont
été rapportés que pour faire connoître leur ancien
état en France avant le nouvel âge d’or de U liberté
des Français.
Nous devons auffi faire connoître à la fuite de
cet article, comme une inftruétion effentielle &
nèceffaire aux marchands , le Manuel pratique pour
faire 6* gouverner toutes fortes de vins ; mémoire
excellent, publié en 1795 par M. Bridélle de
Neuillan. C’eft toute fa doôrine que nous nous
* ' G g S S 1