
Lorfqu’on perce ce fécond banc de pierre , on
trouve ou un tuf poreux ou un fable jaunâtre ,
après quoi on rencontre une couche de tourbe qui
eft fuivie de nouveau d’un fable jaunâtre ; & enfin
d’une argille grife dont on peut fe fervir pour fouler
les étoffe«. Les deux bancs de pierre ne font
point partout de la même épaifleur; pris enfem-
ble ils font tantôt de f ix , tantôt de-douze pieds.
La couche de tourbe eftjd’un, deux, ou tout
au plus de trois pieds d’épaiffeur ; on voit dil-
tin&ement qu’elle eft formée d’un amas d’écorce
d’arbres , de bois, de feuilles pourries & parfe-
inées de petites coquilles de rivière & jardin»
Il y a des endroits où l’on trouve des arbres
entiers enfouis dans la tourbe ; on prétend même
qu’il s’y eft quelquefois trouvé des troncs d’arbres
coupés sur lesquels on vçyoit encore les .coups
de la coignée , & l’on s’aperçoit aifément que le
tuf fifluleux qui étoit au-de flous de la tourbe ,
n’avoit été originairement qu’un amas de jonc, de
-roféaux, de prêles & de plantes femblables qui
croiflènt dans les endroits marécageux, dont cependant
il ne fe trouvoit plus aucuns yeftiges.
M. Schober à qui ces obfervations font dues ,
remarque comme une chofe fingulière, que dans
ce canton , dans tout l’efpace qu’occupent les couches
qui ont été décrites , on ne rencontre point
le moindre veftige de corps marins ; mais dans
la couche de glaife qui eft au-deffous des précédentes
y en . trouve une grande quantité d’empreintes
de coquilles de mer.
Quant aux coquilles qu’on voit dans le tuf et
dans la tourbe, il eft aifé de s’apercevoir que
ce font des coquillages terreftres & de riviere.
On a rencontré dans la pierre compaâe, ou dans
le tuf qui couyre cette tourbe, cfes épis de blé ,
■ des noyaux de prunes , 8c même depuis quelques
«nnées , l’auteur dit qu’on y a trouvé la tête d’un
homme. On y a -pareillement rencontré des dents
des mâchoires, et des offemens d’animaux d'une
grandeur prpdig-ieufe.
On a cru devoir rapporter tout ce détail ,
parce qu’ il est très - curieux pour les Naturaliftes
qui courront voir par là la formation de la tourbe
aufti bien que celle du tuf qui l’accompagne.
Les mémoires de l’Academie Royale de Suède,
de l’année 1745 , parlent d’une efpèçe de Tourbe
qui fe trouve dans la province de ’W’effmanie , près
des mines de Brefioc , dans le territoire de Hiulfoe.
On s’en fert avec grand fucc,èÿ dans les forges
des environs où l’on forge du fer en barres , ce
qui épargne beaucoup de bois.
Cette tourbe a cela de particulier, qu’en brûlant
elle fe réduit en une cendre blanche & légère
comme de la poudre à poudrer les cheveux -,
tandis que pour l’odinaire la tourbe donne une
cendre jaunâtre.
Près de la furface de la terre cette tourbe eft
fpongieufe & légère , comme cela fe trouve partout
où l’on tire de la tourbe. Mais plus on enfonce
, plus elle eft pefante & compacte , & l’on
peut en enlever huit, neuf & meme onze bêches
; les unes au-deffus des autres, avant de parvenir
au fond. On y rencontre quelquefois des racines
de fapin , & même il eft arrivé une fois de
trouver dans cette tourbière la charpente entière
d’une grange qui paroit y avoir été enfouie par
quelque inondation. Cette efpèçe de tourbe en
féchantau foleil fe couvre d’un enduit d’une moi-
fiflùre blanche comme fi on l’avoit faupoudrée de
fel.
Toute la tourbe qu’on trouve en cet endroit
ne donne point de cendre blanche ; il1 y en a
d’autre qui se réduit en une .cendre jaunâtre;
cela vient des plantes plus grpflières dont elle
eft compofée ; aufîi y remarque-1-.on diftinfte-
ment une grande quantité de racines, 4e feuilles,
de joncs, de rofeaux.
Lorfqu’elles ont été brûlées , ces fuhftances
donnent une cendre quelquefois auffi jaune que
de l’ochre. M. Heffelins, Auteur du Mémoire
dont çès détails font tirés, dit que la même tourbe
qui donne Une cendre fi blanche , peut auffi
donner une couleur noire, qui peut s’employer
comme le noir de fumée, & qui eft propre à
fervir dans la peinture, parce qu’elle s’incorpore
très-bien avÇc l’huile.
Lorfque cette tourbe eft bien allumée, & que
l’on a lieu dé croire que le feu l’a entièrement pénétrée
, on l’éteint fubitement d*ms de l’eau ;
après en avoir féparé la cendre blanche, on peut
Pécrafer fur du marbre & s’en servir enfuite pour
"peindre.
On vo it, par ce qui précède, que la tourbe peut
être d’une très-grande utilité ; & dans les pays
où le bois devient de plus en plqs rare , on de-
vroit s’occuper à chercher les endroits où l’on
pourroit en trouver.
M. Jacob Faggot, de l’Académie de Suède,
a inféré dans le volume des mémoires de cette
Académie , année 1748 , plufieurs expériences
qu’il a faites pour prouver que l’on peut fe fervir
de la tourbe pour chauffage, avec le plus grand
fuccès, & il compare fes effets à ceux du bois.
Avant de faire ces expériences , il a pefé la
quantité de bois & celle de la tourbe, 8c il a ob-
1 fervé la quantité d’eau que chacune de ces fubftances
faifoit évaporer, & la durée du feu qu’elles
ont produit.
Il feroit à fouhaiter qu’en France, où la con-
fommation du bois va toujours en augmentant,
on s’occupât de pareilles recherches fur la tourbe ;
on peut s’en fervir avec fuccès pour quelques
Arts & Métiers, dans les brafferies ; & perfonne
if ignore que les cendres de cette fubftance font
très-bonnes pour fertilifer les prairies, & fur-tout
celles qui font humides & baffes.
Il ne faut point confondre la tourbe avec des
terres noires 8c bitumineufes , qui ont aufîi la propriété
de s’enflammer. La tourbe diftillée , donne
toujours une liqueur acide, de l’aikali volatil &
une huile empyreumatique.
La tourbe, comme nous l ’avons déjà remarqué,
n’eft point par-tout la même ; il y en a qui a
contradé des parties nuifibles. C ’eft ainfi qu’on dit
qu’en Zélande il fe trouve une efpèçe de tourbe,
qui fait que les perfonnes qui font dans une chambre
où l’on en brûle deviennent pâles 8c finiffent par
tomber en foibleffe. On pourroit foupçonner que
cette tourbe contient des parties arfénicales : celle
qui fe tire des endroits-où il n’y a pas de minéraux,
n’eft point dangereufe.
Plus la tourbe eft compare & pefante , plus
elle chauffe & conferve la chaleur ; voilà pourquoi
on eft en’ ufage de la fouler & de la pétrir
en Hollande.
D’après le principe que plus les corps font
denfes, plus iis s’échauffent, M. Lind , Ecoffois,
a propofé , dans lés ejffais <TEdimbourg, un moyen
de rendre la tourbe encore plus dénié, & il croit
qu*alors elle feroit propre à être employée pour
le traitement des mines de fer au fourneau de
forge : pour cela , il croit qu’il faudroit écrafer la
tourbe en Cor e molle & humide, fous des meules,
& enfuite en former des maffes ; mais ce moyen
n’enlèveroit point à la tourbe fon acide qui eft ce
qui la rend.le plus nuifihle dans le traitement des
mines de fer.
Le meilleur moyen qu’on ait imaginé jufqu’à
préfenteft de réduire la tourbe en charbon, c’eft-
à-dire de la brûler jufqu’à un certain point, & de
l’étouffer enfuite ; par ce moyen elle fera dégagée
de fon acides, & deviendra propre aux travaux de
la métallurgie;
Le même M. Lind propofe encore de fe fervir de
la tourbe pour l’engrais dès terres , & il confeille
pour cela de la mêler avec des feuilles & des
plantes récentes, afin qu’il s’excite une fermentation
dans ce mélange, qui ne peut'être qu’avantageux
pourfemlifer les terres; d’ailleurs cela fe pratique
déjà jùfqu’à un certain point en Hollande,
où Ton mêle avec du fumier la tourbe1 eïr pouf-.
fière , ou cè qui refte dans les gïariges. où l’on a
ferré la toutbè, & l’on en forme des tas.
Cet Auteur nous apprend encore que la tourbe
répandue fur les endroits où l’on a femé des
pois , les garantit de la gelée.
Enfin la tourbe peut fervir comme la glaife, à
retenir les-eaux dans les viviers.
Tout le monde fait que la cendre des tourbes
eft très-propre à fervir d’engrais ; on l’emploie
avec fuccès , fur-tout pour les prairies baffes &
maécrageufes , où il croit des joncs 8c des rofeaux
que l’on aura loin d’enlever, 8c l’on creufera bien
avant lès endroits de la terre, où ces mauvaifes
herbes ont pris racine , après'quoi l’on pourra
répandre de la cendré de tourbes , dans ces endroits.
Par lès obfervations qui ont été faites dans cét
article on Voit : i° . que la tourbe eft une fubftance
végétale ; 20. qu’elle varié poiir la bonté & la den-
fité, fuivant que les végétaux qui la compofcnt
font plus on moins décompofés : 30. On ne peut
douter que la fermentation de la tourbe ne foit
quelquefois récente ; c’eft ce que prouvent les
arbres, les fruits’ , les charpentes & les ouvrages
de l’art que l’on y rencontre aflez fouvenf.
En Picardie, près de Pequigny, on a trouvé
une chauffée entière enfevelie fous de la tourbe.
Quant à la prétendue régénération de la tourbe,
dans les endroits d’où l’on en a tiré , . elle n’a
point de réalité ; mais comme cette fubftance fe
forme dans des endroits bas & enfoncés, il peut
arriver très-bien que les pluies & les inondations
des' rivières entraînent vers ees fortes d’endroits
des plantes qui en s’y amaflant peu à peu., parviennent
à la longue à remplir de nouvelle
tourbe les tourbières qui avoient été épuifées :
on voit que cela ne peut point être appelé unè
régénération, ni une production nouvelle.
En quelques endroits d’Allemagne, on fait des
tourbes artificielles en mêlant de la poufîière de
charbon avec de la glaife mouillée , & faifant
enfuite fêcher cette pâte au foleil, afin de s’en fervir
au befoin.
Couleur bleue tirée des tourbières.
On trouve auffi quelquefois dans les tduVbières
une fubftance affez précieufe pour la peinture
en détrempe ; cetté fubftance , mêlée de veines
irrégulières de matière tourbeufe tant qu’elle eft
humide & privée d?air dans la tourbière , conferve
une couleur blanche , & une confiftance
graiffeufe , à peu près comme la terre qu’on prépare
pour le ciment : quand on l’éxpofe à l’air,
elle prend, à proportion qu’elle fèche, une cou-'