
Tout le monde fait au (il que le vin contient,
des parties fpiritueufes rrès-fubtiles, appelées par
les mêmes chimiftes, efprit reéteur, huile éthérée,
defquelles , quel que foit leur nom , dépendent fa ,
fineffe & fa délicateffe.
Il eft donc très-effentiel de les retenir : c’eft cê
que les oenoîogiftes enfeignent eq preferivant de
couvrir la cuve ; mais aucun d’eux ne prefcrit.de*
boucher fortement le tonneau avec la bonde. Ils
fe contentent de dire qu'il eft très-utile de mettre
fur l’embouchure une feuille de vigne avec dp
fable, ou un tuileau, & de remplir les barriques
deux fois par jour dans le commencement, puis
une fois par jour, enfin tons les deux jours, ainfi
de fuite , en diminuant jufqu’à la Saint-Martin ;
mais ces foins , auxquels peu de perfonnes veulent
s’aflùjetdr-, malgré l’avantage qu’elles en retire-
roienr, font infuffifans. La feuille de vigne & le '
fable ne font pas capables d’empêcher l’évaporation
du gaz qui fe trouve encore dans le vin après fa
l'ortie de la cuve , ni de la partie la plus fpiritueufe.
Il faut nn moyen plus fort pour les contenir.
Ce moyen eft celui qu’a donné, il y a déjà deux
cents ans , Olivier de Serres dans fon théâtre
d’agriculture. « Ayant entonné les vins , dit-il,
» l’on les gardera de foigneufement de l’efvent,
» tenant fi bien clos leurs tonneaux, que n’en forte
» aucune exhalaifon ; & cela même leur confer-
» vera la force & lé goût, ce qu’en ne pourroit
» efpérer tendant longuement à les fer mer, à l’ufage
» d’aucuns qui laifient ouverts leurs tonneaux juf-
» qu’après avoir achevé de bouillir, en quoi ils fe
>• trompent, perdant fans le cuider faire ( croire
» faire ) , une partie de la quantité & de la bonne
» qualité de leurs vins. Tenez , ajoute-t-il, pour
» une feule nuit, ouverte une bouteille pleine de
» vin , vous trouverez le lendemain ce vin-là être
» éventé & avoir perdu de fa valeur. »
Ce qui arrive à la bouteille , arrive auffi aux
barriques. De deux pièces remplies du même vin
fait également, qu’on en bouche une, qu’on laiffe
l’autre ouverte, ou même qu’on la couvre fi on
veut avec une feuille de vigne ou un tuileau , la
différence fera frappante.
On doit donc avoir attention de bondonner le
plus fortement que l’on peut, les barriques auffitôt
qu’on y a inféré du vin : quoiqu’on ne les rem-
püffe pas tout de fuite, on ne doit pas moins y
mettre la bonde, ne i’ôter qu’au moment qu’on y
ajoutera d’autre v in , & la replacer fur le champ.
Il n’y aura pas de déperdition d’efprit ardent ni de
gaz : le tout fe combinera avec le vin au-lieu de
s’évaporer. en augmentera la force & la durée ,
& lui donnera un goût plus flatteur. Après avoir j
forcé la bonde avec un marteau , on fera bien de |
l’entourer de fable ou de cendre mouillée, qu’on
prefiera- avec les mair.s, jpour fermer exa&ement
les intërflices qui pourroient fe trouver entre elle
& la douve. Pour plus grande fureté, fi on craint
qu’eîlé faute en l’air, qu’on la retienne avec un-
pied-droit qui touchera au plancher d’en haut.
Le vin étant ainfi renfermé, bouillira t?ès-vi.
goureufement. La fermentation fera auffi tumul-
tu£ufe que dans la cuve , St fe fera entendre de
lo;n. Elle le fera moins, à la vérité, fi on l’a laide
cuver pendant long-temps, & f i , au-lieu de le
retirer lorfqu’il aura atteint fon maximum ou iorf-
qu’il aura commencé à rétrograder, on a attendu
que le marc'foit defeendu au point où il étoit
avant (on afeenfion , mais elle le fera toujours ; elle
dure fix, huit, dix jours, plus ou moins, fuivant
l’année, la qualité de la vendange & la manière
dont on aura fait le vin. On ne touchera pas à la
bonde tant que cette fermentation durera : on eft
difpenfé , par cette méthode , de verfer journellement
du vin dans les barriques, & de tenir celles-
ci toujours pleines.
Bien loin de-les remplir , il faut au contraire
avoir grand foin d’y- laiffer environ deux pouces
de vide : fans cela, la liqueur brifera les barrières
de fa prifon, & occafionnera du défaflre dans'’ le
cellier; mais avec cette précaution, je puis affurer,
& affurer bien pofitivement qu’on n’a rien à appréhender.
Que ceux qui feroient inquiets fur le fort
de leur récolte, calment leurs follicitudes, à moins
que les nièces ne foient pourries ou qu’elles ne foient
mal cerclées , ils ne vert ont aucun effort fenfible.
Ce que j’avance, je ne le dis qu’après une multitude
d’épreuves de toute efpèce pendant une longue
fuite d’années. Je les ai faites fur des vins
trés-fpiritueux & fur des vins plats , fur du vin
rouge, fur du vin blanc, dans des' années de verdure
& dans des années de maturité, dans de petites,
de moyennes & de groffes barriques, même
dans des foudres contenant plufieurs muids. Je n’ai
jamais effuyé aucun accident, cependant mon vin
renferme toute la partie fpiritueufe qu’il peut contenir
, parce que j’en empêche l’évaporation autant
qu’il dépend de moi, en couvrant la cuve très-
fcrupuleufemenr pendant le féjour qu’il y fait; par
conféquent, il agit aufli violemment qu’il eft pofli-
ble , contre les parois du tonneau.
On n’a pas befoin de laiffer plus de vide dans
les foudres que dans les barriques ordinairedeux
ou tout au plus trois pouces fuffifent aux uns comme
aux autres. Les pièces qui ont les.fonds épais, en
exigent moins que celles’ qui n’en ont que de minces
; celles qui ont des cercles de fe r , moins que
celles qui n’en ont que de bois. Chaque propriétaire
fe réglera à ce fujet fur la nature de fon vin.
Il agira prudemment d’y veiller la première année,
le v-ifiter plufieurs fois par jour , & mettre un fauffet
;V I N 631
E dairdjfetnens far k dépôt au haû't du fond dé devaût, qn’il ouvrira S’il aper- 1 des vins en bouteilleï.
"çoit quelque dérangement, , jufqu’à ce que chaque
chofe foit •remife à fa place; la fécondé année il
faura à! quoi s’en tenir. S’il veut s’éviter rembarras
de ces fréquentes vitites , il n’a qu’à laiffer un peu
plus de vide ; la différence ne fera jamais que d’un
demi-pouce ou à peu près.
Je viens d’appr-endre avec le plus grand plaifir,
quetandis que je pratiquois dans le Bas-Limofin
lesleçons d’Olivier de Serres , .un phyficien diftin-
gué fàifok de femblables expériences dans un vignoble
différent du mien, U un climat un peu plus
chaud, celui de Montpellier. J’ai vu tout récemment
dans la -bibliothèque phyfico - économique ,
queM. Mourgue, de l’académie de Montpellier,
s’étoiit occupé du même objet. D ’après la réuflite
quénous avons eue dans deux provinces éloignées,
il y a lieu de croire que toutes celles du royaume
en obtiendroient de pareilles.
J’aurois beaucoup defiré me trouver également
d’accord avec cet académicien , fur les principes
qu’il établit concernant le gaz vineux. J’avois toujours
penfé , avfec M. l’abbé Rozier, que cette vapeur,
quoique plus pefante que l’air atmofphéri- |
que, fe volatilifoit lorfqu’elle étoit parvenue au>!
haut de la'cuve. M. Mourgue prétend au contraire '
qu’elle fe répand en bas, comme feroit un liquide,
& donne un moyen ingénieux pour en trânfvafer
tant qu’on voudra dans, les barriques. J ai promene,
à plufieurs reprifes , une lumière autour des bords
extérieurs de plufieurs cuves ; la lumière h a pas
fouffert la moindre altération, pendant qu elle s’e-
teigftoit fur le champ aufli tôt que je l’avançois dans
l’intérieur. Enhardi par cette tentative, j’ai appliqué
ma bouche autour des mêmes bords extérieurs
, en renverfant la tête & ayant le vifage
tourné en haut pour recevoir le gaz ail cas qu’il en
tombât, ma refpiration a toujours été aufli libre.
I J’ai puifé avec un vafe dans une cuve à moitié
I pleine de vendange, & bien remplie de gaz, .de
l’exiftence duquel je ne pouvois pas douter. J’ai
porté le vafe hors de la cuve, j’ai plongé une lumière
dedans, elle ne s’eft pas éteinte ; j y ai plongé
l la tête, je n’ai rien fenti. D’autres fois, j’ai retiré
. le vafe brufquement & avec la plus vive précipitation,
pour que l’évaporation n’eût pas le temps
} de fe faire : les effets ont toujours été les mêmes,
j Je crois donc que cet air fe volatilife très-prompte-
j ment. M. l’a-bbé Rozier, dans fon cours d’agriculture
, perife de même : d’où il femble qu’on
j devroit conclure que le tranfvafement dans les tonneaux
eft au moins très-difficile ; mais M. Mourgue
I apporte des faits pofitifs , & une expérience qui
établit les effets du gaz hors de La cuve. Je me
rends à fes lumières : il feroit à fouhaiter que ce
favant communiquât au public les nouveaux fuccès
qu’il a eus dans cette partie, depuis la publication
de fon mémoire.
Nous croyons devoir tranquillifer les perfonnes
à qui la chimie eft étrangère, fur un phénomène
tout naturel, dont on tire des conféquences alarmantes
, & fur le fquel s les chimiftes font journellement
confuhés.
Il s’3git de Tefpcce de dépôt qui fe forme
quelquefois dans les vins mis en bouteilles ; fpé-
eifiquement plus pefant que le vin , il s’y précipite
fous la forme de mica; il eft plus ou moins
coloré en rouge ; il ne trouble pas la tranfparence
de la liqueur : pour peu qu’on l’y agite, il nage
&. brille comme l ’aventurine. Ce dépôt, qui n’tft
autre chofe que du tartre, produit néceflaire du
v in , on le prend pour de la litharge. La lithatge
eft une chaux de plomb fondue; & le plomb pris
intérieurement eft un poifon.
Autrefois on ne fe faifoit pas de fcrupule de li-
tkargirer les vins ; il y a même des ouvrages qui
indiquent ce procédé meurtrier, comme un m oyin
de les améliorer ; mais depuis , les loix l’ont proférât,
& pourfuivroient , comme empoifonneurs
publics, ceux qui ofercient y recourir. Ce crime
eft donc aujourd’hui très-rare, cependant on voit
la litharge par-tout, dans le v in, le cidre, le ‘poiré.
Rien de plus facile que de reconnohre fa préfence
dans le vin.
Il faut établir d’abord qu’un vin lithargiré ne
dépoferoit pas fa lithatge fous cette forme brillante
& micaffée qui appartient au tartre ; que la
litharge refte confia minent en diffolution dans le -
vin, & que fi elle s’y précipitoit, ce feroit dans-
1 un état pulvérulent. Enfin, le vin lithargiré n’acquiert
jamais de limpidité , quelque foin que l’on
prenne de l’éclaircir, par la raifon que le fcl
qui réfulte de fa combinaifon avec l’acide du vin,
eft un corps étranger qui tend à décompofer le
vin , & qui rompt l’harmonie & l’union de fon
principe.
Maintenant il refte à propofer une expérience
très-fimple .pour s'affurer fi ce dépôt qui fe forme
eft du tartre ou appartient à la précipitation de
la litharge; il s’agit de le laver, de le faire fécher,
& de l’expofer lur un charbon ardent; fi c’eft du
tartre il fe gonflera, noircira, brûlera avec flamme,
& donnera une odeur propre au tartre ; odeur
qui fe rapproche un peu de celle du pain brûlé.
La litharge , au contraire , foumife à la même
expérience , ne fe tuméfiera pas , ne donnera ni fumée
ni flamme, elle ne noircira pas : fi le charbon
eft attifé par le foufle , on verra fe former un
petit bouton de mitai qui fera le plomb reflufeit«
par le phloglftique du charbon.