
V I N A I G R E .
( Art et théorie du )
jL/E vinaigre eft tin acide végétal, fpiritueux , qui
cft produit par le fécond degré de la fermentation
ou par celle qui fuccède à la fermentation fpiri-
tueufe , & qu’on nomme, par cette raifon , fermentation
acide ou acéteufe.
Il fuit de cette définition , qu’il n’y a que le vin
ou les liqueurs vineufes qui puiflent le transformer
en vrai vinaigre. Toute liqueur qui a fubi complètement
la fermentation fpiritueufe * fe porte
d’elle-même & néceffairement à la fermentation
acide; ainfi il n’y a point de vin , de quelque
nature qu’il foit, qui tende continuellement à
devenir vinaigre , & qui ne le devienne en effe,t au
bout d’un temps plus ou moins Long, fuivant les
circocftances, à moins qu’on ne l’en empêche par
les moyens qui s’oppofent à toute fermentation en
général. On peut donc faire du vinaigre, & on en
fait en effet, non-feulement avec le vin de raifin ,
mais encore avec le cidre, la bière ; en un mot,
avec tous les autres vins : mais comme le vinaigre
de vin de raifin l’emporte de beaucoup fur tous
les autres, ce fera celui-là que nous choifirons pour
exemple.
Comme le vinaigre eft le produit d’une fermentation
, la manière de le faire ou de conduire cette
fermentation , contribue infiniment à fa qualité.
Le vin qu’on deftine à être transformé en vinaigre,
& que les vinaigriers achètent pour cela, eft ordinairement
à moitié gâté & tournant déjà à l’aigre ;
ce qui fait croire à. bien des perfonnes que de tel
vin eft le meilleur pour faire le vinaigre ; mais
c’eft une erreur; car il eft confiant au contraire
que le vin le meilleur , le plus généreux & le plus
lpiritueux eft toujours celui qui produit le plus
de vinaigre, & que plus on peut retenir les efprits
du vin pendant la fermentation acéteufe , & plus
le vinaigre qu’on obtient a de qualité. Reccher dit
dans fa Phyfique fouterreine, feéi. V , chap. 2 , qu’il
a fait digérer du vin pour le convertir en vinaigre,
dans une bouteille fcellée hermétiquement ; qu’à
la vérité ce vin a été plus long-temps qu’à l’ordinaire,
c’eft-à-dire qu’avec le concours de l’air, à
fe convertir en vinaigre , mais que ce vinaigre
étoit auffi beaucoup plus fort ; 8c M. Cartheufer
aftiire qu’on peut augmenter beaucoup la force du
vinaigre, en introduifant dans le vin une certaine
quantité d’eau-de-vie avant de lui faire fubirla
fermentation acide*. Mais quoiqu’il foit vrai qu’il I
faille du ban vin pour faire de bon vinaigre, cependant
comme le vinaigre a une moindre valeur
dans le commerce que le bon vin, ce n’eft, comme
nous l’avons dit, que le vin tourné, & qui n’eft
plus vendable comme v in , qu’on emploie communément
pour le vinaigre.
Les vinaigriers ont différentes pratiques pour
faire leur vinaigre ; cependant il paroît certain qu’il
ne s’agit , pour faire de très-bon vinaigre , que
d’employer de ban vin , & de faire procéder la
fermentation acide de la manière la plus avant*
geufe : de même que, pour faire de bon vin, leI
point effentiql eft d’avoir du moût de bonne qualité
, & de le faire fermenter régulièrement. Celt
la nature qui fait réellement les principaux frais
de ces fermentations.-.
La méthode pour faire le vinaigre confifte en
général à mêler le vin qu’on veut faire ferment^
avec fa lie & avec fon tartre, & à le mettre dans
un endroit dont la température foit allez chaude!
comme de dix-huit à vingt degrés : cette fermentation
paroît exiger, pour bien aller, un peu plus
de chaleur que la fpiritueufe ; elle eft plus tumul
tueufe, & produit elle-même plus de chaleur. 1
eft bon qu’elle foit menée vivement : cependant
comme elle croît d’elle-même rapidement, on en
obligé de l?inrercepter de temps en temps , pour
l’empêcher de s’emporter trop fortement.
Les phénomènes qui accompagnent la fermei
tatiôn acéteufe font allez femblables à ceux de
la fermentation fpiritueufe. Il y a dans l’une
dans l’autre un mouvement irireftin, un gonfle*
ment , un frémiffemenr & bouillonnement :
obferve cependant des différences effentielles entre
ces deux fermentations ; car fans compter le pro-[
duit qui eft totalement différent, on a obfervé que
la chaleur de la fermentation acide elt beaucoup
plus forte que celle de la fpiritueufe, cette dernière
étant à peine fenfible : en fécond lieu, il e‘‘
à croire que la vapeur qui s’exhale du vinaigf'
en fermentation, n’eft pas meurtrière comme cel-f
, y;n . du moins aucune observation n’attefle
mi'elle ait eu d'aufli mauvais effets : au contraire,
.! paroît confiant que ta fermentation acéteufe ab-
i fobe plutôt de l’air que J e lai (Ter échapper quelque
j z dangereux. Enfin, le vinaigre ne dépofe point
de tartre comme le vin, & quand même il aurort
éié fait at ec du vin qui n’auroit pas encore laifle
déooferle fieu; mais fon fédiment eft une matière
vifqueufe & huileufe, très-difpofèe à la putréfac-
L od La farment & les rafles dont on fe fe r t,
| comme nous l’avons dit , dans la fabrique du
[vinaigre , pour le faite fermenter plus prompte-
meni°& pour eh augmenter la force, fe trouvent,
[aprèsavoir fervi à cette opération, enduits de ces
[dépôt vifqueux : on les lave pour le leur enlever;
I mais quand ils en font dèbarraffés, on les conforve
tïoignéufemenc pour, les faire fervir à ta fernien-
l’tanondu nouveau vinaigre', parce que celui dont,
Pils font déjà tout pénétrés , devient une efpece
de levain qui détermine la fermentation acéteufe
[ avec efficacité. 11 en eft de même des tonneaux
[dans lefquéls s’eft faite la fermentation : il faut
[ lei nettoyer de la matière vifqueufe dont ils font
pareillement enduiis» yr mais après cela iis valent
beaucoup mieux que les tonneaux neufs, fout y
[ faire de nouveau vinaigre.
Quand la fermentation acéteufe eft achevée-, la
: nature & le caraéfère delà liqueur -qui l’a éprouvée,
[ fe trouvent totalement changés. Le vin a une odeur
[ & are faveur où l’on aperçoit en même temps du
lpiritueux & un peu d’acide; mais dans le bon vin
[ l’acide eft tellement recouvert par le fpiritueux,
[qu'il eft prefque totalement infenfible. On diftin-
[ gue auffi1 dans la faveur & dans l’odeur du vinai-
[ gré, de l’acide & du fpiritueux, mais dans un ordre
[.contraire à celui du vin ; dans cette liqueur, c eft,
[ l’acide qui domine en tiè rem en t& qui mafque
prefque totalement le fpiritueux.
I Nous ne pouvons guère avoir -d idees j lift es &-
[ claires de la manière dont la nature opère ces j
çhatlgemens dans la-fermen cio * tout ce que les'
propriétés du vin & du vinaigre nous font connoitre
fur cela, c’eft que l’effet delà fermentation acéteufe, |
eft de développer d’une manière toute particu-; ,
. libre .les parties acides du. vin , & de les combiner
intimement avec l’efprit inflammable : il arrive de
; là qu’après.quele vin a été transformé en vinaigre ,
fon .efprit.ardent., qui fe trouve dé .St mafqué par
.une g-ande quantité d’ acide , n’eft prefque plus
fenfible; il n’eft plus capable, comme dans le vin ,
de porter à la tète & d’occâftonner l’ïvreffe ; & fi
on. le foumet à.la diftillation , la première liqueur
qui monte à un degré de chaleur inférieur a celui
de l’eau bouillante, n’eft.-plusj. de l’efprtt ardent,
comme quand on .difti'lfe dm,vfi, à moins que1 le
vinaigre ne foit trop ncuv jiu ,-& que la fermenra-
rion.acêteufe, même infenfible , ne foit point com-
i plétenient achevée ; car dans ce dernier cas , le ,
Ans & Métiers. Tome V î l l .
vinaigre fournit encore un peu d’efprit ardent hbre ;
. mais lorfque c’eft du vieux vinaigre qu on diftille ,
la premiè.e liqueur qui monte, tft une efpèce de
flegme acidulé , qui contient feulement la partie la
plus.volatile, la plus odorante & la plus fpiritueufe
du vinaigre.
L’acide du vinaigre eft employé dans un allez
grand nombre de préparations de chimie 8c de
-pharmacie : on ne fe fert point, pour la plupart de
ces préparations, du vinaigre en nature, mais ce
fa partie acide fpiritueufe retirée par la diftilla-
tion : cet acide eft connu fous lé nom de vinaigre
difiillé.
Le procédé de la diftillation du vinaigre eft fort
(impie : on met la quantité qu’on juge à propos , de
bon vinaigre ordinaire dans un.e grande cucurbite
de grès & non de métal, parce que le vinaigre,
en qualité d’acide , eft capable d’agir fur prefque
tous les métaux : on place cette cucurbite dans un
fourneau allez profond pour qu’elle y entre jufqü a
cinq ou fix travers de doigt près de fon col : on
lute exactement-ce col avec de la terre autour du
fourneau^ afin d’empecher le chapiteau de s échauffer
trop fortement : on adapte un chapiteau & un
récipient de verre à cette cucurbite, & on procédé a
la diftillation par un feu doux & trèi-lent. La liqueur
acide & -fpiritueufe paffe goutte à goutte,dans le
récipient ; elle eft blanche ,'transparente , pénétrante
, un peu èmpyreumatique, Sc debarraffee
d’une fubftance acide non fpiritueufe qui exifte
aulfi dans le vinaigre , & d’une matière favon-
neufe de nature éxtraétive , qu’il contient auftî
dans fon état naturel : ces dernières fubftances ref-
tent dans la cucurbite avec la matière colorante,
&. forment enfemble une efpèce d’extrait de vinaigre
extrêmement acide. Ce réfidu contient aufli du
tartre , & il fournit beaucoup d’alkali fixe par l’incinération
, de même que tout ce qui vient de la
vigne, du raifin 6c du vin.
A l’égard de la portion acide fpiritueufe du vinaigre
qui morte dans cette, diftillation, on fe trom-
peroit beaucoup fi on fa regardoit comme plus
aqide que le vinaigre même ; an contraire, elle
l’eft fenfiblement moins. Ce n’eft point pour concentrer
ic vinaigre qu’on lé diftille, mais feulement
pour lé débarra fier, comme nous avons dit,
de fit partie extraffive : l’acide que contient cette
dernière n’eft point, à proprement parler, celui du
vinaigre ; il n’eft qu’ltuileux , point fpiritijeux,
moins volatil que Iç. premier, & même moins volatil
queïéaù; ainfil’acide qu’on obtient dans cette
diftillation .'bien faite ", eft plus'fpiritueux & en
même,temps plus aqueux que celui .du réfidu.
Les chitniftes ont cherché différens moyens de
concentrer le vinaigré diftille, Stahl a indiqué le
meilleur de tous pour le déflegnier fans aucune
Mmmm