
remplis à la place où ils dévoient refier ; mais
environ foixante tonneaux de M. de R ., qui con-
tenoient fon vin de grès, le plus fin & le plus
fpiritueux, furent remplis au bord de feS cuves,
fituées fur le fommet de la hauteur où eft le château
de Galargues. Ces tonneaux fortement bouchés,
furent chargés tout de fuite fur des charrettes
, & tranfportès à un grand cellier placé au bas du
village. Il y avoit lieu de craindre que ce tranfporr,
par un chemin allez raboteux , n’occafi r-nnât quel-
qu’accident à quelqu’un de cés tonneaux , d’autant
plus qu’on n’y avoit ménagé aucune ouverture par
où l’air furabondant pût s’échapper.
Il y eut plufieurs de ces tonneaux qui donnèrent
figne d’effort au premier moment où ils furent
placés dans le cellier ; mais dans très peu de temps
tout parvint à l’état de tranquillité ordinaire. Il
n’y eut qu’un feul tonneau que l’on avoit fans
doute trop rempli, qui travailla affez fes fonds
pour qu’on fût obligé d’ouvrir le fauffet ; mais il
fut fermé de nouveau dès qu’on vit les fonds remis
a leur état ordinaire.
Tout ceci s’eff paffé fous les yeux de plus, de
deux cents perfonnes qui avoient peine à croire ce
qu’elles voyoient , tant le préjugé contraire eft
enraciné : on venoit toucher & bonde & fauffet,
pour s’affurer que tout fût bien bouché.,
Mon vignoble eft fitué au midi & fur le rocher.
Je puis donner une preuve du degré de fpirituofité
de mon vin de cette année, par un fait fingulier
qui m’ eft arrivé.
J’ai fait faire de la piquette, vulgairement dite
aigade, avec les raffes imprégnées de moût, que
l’on rejettoit en foulant le ra fin. Je décuvai cette
piquette dès que je jugeai qu’elle avoit affez fer- \
menté , & j’en fis remplir des tonneaux qiîi dévoient
être tranfportès dans un cellier particulier.
On boucha le premier tonneau dès qu’il fut plein,
& on le fit rouler à quelques pas. A peine le fécond
fut-il rempli, que j’aperçus que les fonds du premier
étoient forcés ; ils étoient déjà fort convexes
& au point de crever, fi on ne fe fût empreffé à
ouvrir la bonde. Cette piquette s’élança en écume,
& avec une telle impétuofifé, qu’elle atteignit au
comble du cellier, qui a deux toifes & demie d’élévation.
Il fe .perdit plus du quart de la liqueur
contenue dans cette barique, avant que l’effort fût
calmé.
On penfe bien que, tenu en follicitude par ce
fait & par le préjugé, j’obfervois fréquemment
mes tonneaux. La fermentation intérieure fut fen-
fibîe pendant les premiers jours, & au taâ par la
chaleur, en touchant le tonneau, & à l’ouïe par le
bruit qui fe faifoit entendre ; mais dès le fixième
ou le feptième jour , toute fermentation fenfible
parut totalement calmée.
J’ai éprouvé encore quel temps il pouvoir s’écou. I
1er avant que l’air ou le gas ne tendît plus à s’ échap. 1
per : j’ouvrois chaque jour quelque tonneau avec I
précaution , pour examiner avec quelle pétulance I
l’air fe dégageroit. Le fifflement fut affez confidé- I
rable pendant les premiers jours; mais il diminua :
de jour en jour, de manière que, vers le dixième, I
je n’aperçus aucun bruit, aucun fifflement en ou.
vrant le bondon ; preuve évidente que le gas ou
l’air qui s’étoit dégagé pendant les premiers morne
ns, & qui avoit été contenu dans la partie vide
d i tonneau , s’étôit recombiné de nouveau a v ec la
liqueur. J’avois fi fort compté fur cette combi*
nàifon & fur Futilité du gas ainfi retenu, que je
n’avois fait à aucun de mes tonneaux les préparations
généralement ufitées, ayant penfé que mon
vin n’ étant pas expofé à la perte de fes principes
effmtiels, il étoit inutile de lui en donner d’artificiels.
Mon vin refta huit jours dans cet état : le jugeant
parfaitement tranquille à cette époque, je fis achever
de remplir tous mes tonneaux, S t ils furent
î de nouveau très-fortement bouchés. M. de Roche-
more, qui penfé que ce rempliffage n’eft pas ne-1
I ceffaire, n’a pas fait ou vrir fes tonneaux depuis le
premier moment où ils ont été bouchés. Il croit que
le gas qui fumage la liqueur dans la partie vide du
tonneau , s’oppofera auPontaél de l’air de l’atmof-
phère. Je me propofe d’obferver la différence qui ■
réfultera de cette pratique & de la mienne, & d’en I
rendre compte à la fôciété royale des fc ie n c e s .
Nous 'voulu mes éprouver, en décuvant nos vins,
s’il ne feroit pas poffible de fe paffer"de faire brûl.r
une mèche de foufre dans les tonneaux. On fait
que c’eft une méthode généralement & très-anciennement
pratiquée. On donne au vin , par ce
moyen, un feu & une qualité qu’il eft évident!
qu’il n’a pas en général lorfqu’on néglige cette
pratique. Elle fert à rendre au vin un gas qui fup-
plée à celui qui s’eft perdu dans le tranfvafement !
& dans les diverfes manipulations. Mais ce gas eft
minéral, & il nous parut qu’un gas végétal,retire
du vin même , rempliroit mieux les vues qu’on fe
propofe par cette opération.
M. de R. imagina & fit exécuter un entonnoir
, dont la partie fupérieiîre , qui avoit en-
I viron quinze pouces de diamètre^, étoit à demi-
couverte. Le col de cet entonnoir avoir environ
dix pieds de longueur : c’eft à-peu-près la hauteur
de fes cuves au deffus du fol où étoient placés lés
tonneaux à remplir. On plaçoit le bout de l’entonnoir
dans la bonde du tonneau, que l’on achevoit
de boitcher avec du vieux linge, & avec un vafe
de terre on prenoit du gas au déffus de la c.ave»
de la même manière qu’on y auroit pris un h*
quide, 8c on le verfoit doucement dans l’enton*
noir qui l’introduifoit dans ce tonneau.
Nous voulûmes nous afftirer que le gas parviendrait
au tonneau malgré la difiance & malgré !a
réfiftancede l’air ambiant, & voici comment nous
parvînmes à cette certitude.
Nous eûmes un très-gros rat de plus vivaces;
nous le mimes dans une de ces grandes bouteilles
de verre blanc à large ouverture, dites vulgairement
conférées* Nous adaptâmes le bout de l’en-
tonnoir à l’orifice de cette bouteille, en achevant
de la couvrir affez légèrement avec des chiffons
de vieux linge. Le rat s’agitoit violemment dans
la bouteille. Dès le premier jet de gas, il fut
étonné j& refta prefqtie fans mouvement; dès le
fécond il fut totalement mort.
Convaincu par cette expérience , M. de Roche-
more fit verfer une quantité de gas très-confidé-
rable dans-un tonneau, qui fut rempli du vin de
la même Cuve d’où le gas avoit été pris.
Un fécond tonneau fut préparé avec la mèche
de foufre, & rempli du même vin.
Un troifième fut rempli de même, fans aucune
préparation quelconque.
Ces tonneaux furent fortement bouchés, comme
je l'ai expliqué ci-deffus , & placés les uns à côté
des autres.
Le tonneau dans lequel on avoit fait brûler la
mèche , & celui qui n’avoit reçu aucune prépa-
i ration, ne donnèrent pas le moindre figne d’al-
; tération; mais le tonneau préparé avec du gas
1 vineux , força fes fonds dés le fécond jour. Il
•fallut vite ouvrir le fauffet : il s’en exhala une
! très-grande quantité d’air avec un gros fifflement.
Dès que les fonds furent remis à leur état ordinaire,
on mit à chacun une traverfe dite porte-
fond, & on la fixa suffi folidement qu’il fut pof-
! fible, avec plufieurs chevilles de bois qui traversent
les doueîles. On remit dans ce tonneau une
certaine quantité de gas, pour remplacer celui qui
s’étoit exhalé. Dès le lendemain.de cette nouvelle
opération , le vin de ce tonneau fit de tels efforts,
que les chevilles de bois fe caffèrent, & que les
fonds furent au point de céder. On fut obligé
I d’ouvrir de nouveau le fauffet, jufqu’à ce que
le tout fût^revenu à fon état naturel. N’ayant plus
de gas à y verfer , ce tonneau fut fermé comme
1 les autres, & depuis il n’a montré aucun figne
I d’altération. M. de Rochemore fe propofe d'exa-
! miner avec foin les différences que ces trois ton-
I neaux préfenteront lorfqu’on tirera le vin.
Il ne faut pas être furpris de l’effort prodigieux
I que le gas ajouté -a procuré au vin de ce ton-
I neau , parce qu’on l’avoit totalement rempli de
I ce gas avant d’y mettre du vin : or, certainement
Ans & Métiers, Tome VIH.
il y en avoit une trop grande quantité. Mais convaincus
par cette première expérience, que le gas
vineux produit un effet aufli évident, nous nous
propofons de fuivre cet effai, et dé ne mettre
dans chaque tonneau que la quantité que nous
reconnoîtrons pouvoir fuffire & approcher de la
quantité de gas que peut produire une mèche de
foufre ordinaire.
Il n'eft rien de fi fimple & de fi facile à pratiquer
, que les moyens de tirer le gas de deffus une
cuve, & de le verfer dans un tonneau. On n’a
qu’à fe pourvoir d’un entonnoir plus ou moins
long, tel que celui que j’ai décrit, & d’ un pot ou
vafe quelconque que l’on plongera dans le vide
qu'il fout laiffer au deffus de la cuve d’où on veut
tirer le gas. Il faut obferver que cette vapeur étant
plus pelante que l’air de l’atmofphère , elle ne
s’élève jamai; au deffus des bords fupérieûrs des
cuves ; & que lorfque les cuves font trop pleines ,
le gas fe verfe en bas , tout co'mme feroit un
liquide. Ainfi, au-lieu de remplir totalement les
cuves, on y laiffera environ un pied de vide : cela
fuffira pour cette quantité de gas qu’on voudra fe
procurer.
On a peine à concevoir la quantité de gas qu’une
cuve fournit, & avec quelle faci'ité it fe reproduit.
Il en a été tiré plus de trois cents pots (près de
cinq cents pintes de Paris ) de deffus une cuve qui
n’a pas deux toifes quarrées de furface, & qui
n’avoit pas plus d’un pied de vide d’un marc au
bord de la cuve. On con no,t facilement, au moyen
d’une lampe à queue , ou de toute autre lumière,
le point précis auquel il y a ou n’y a pas de gts :
on n’a qu’à obferver la profondeur à laquelle la
lumière s’éteint. Malgré nos trois ou quatre cents
pots pris fur une même cu v e , la lumière s’est
éteinte toujours à la même profondeur.
Il eft plusieurs chofes à confidérer fur les divers
objets d’expérience que je viens d’indiquer : je me
propofe de les fuivre avec attention pendant les
époques favorables ; mais je le ferai avec plus de
précaution que je n’ai employé cette année. Sollicité
par la nouveauté du lujet & des réfultats, je
m’y fuis livré avec trop peu de prudence, 8c j ’ai
éprouvé qu’il y a quelque danger à ne pas fe prémunir
contre les effets d’ une vapeur aufli fubtile
que pernicieufe.
Je dois , entr’autres , faire mention d’un accident
qui m’eft arrivé, afin que mon exemple puiffe engager
à prendre des précautions , les perfonnes
qui voudrojent fuivre de près la marche de la
fermentation du vin.
M’étant un peu trop approché d’une cuve que
Fon venoit de remplir , j’éprouvai une fenfation
que je ne puis exprimer ; elle ne peut être comparée
lu i