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SITUATION GÉOGRAPHIQUE DES GENUES.
est inutile d'en mentionner des exemples. On peut même dire que les
genres ont presque toujours une habitation déterminée, et plus on les
compare, plus on étudie leur structure et leur composition, plus aussi les
formes qui les caractérisent se trouvent véritablement propres à une certaine
partie du globe.
Il en est de ce phénomène comme de la situation géographique des
espèces : rien dans l'apparence et la structure des végétaux ne peut en
rendre raison. On devine quelquefois la cause qui exclut certaines formes
de certaines régions ; ainsi les plantes grasses ne peuvent guère subsister
dans des pays froids et humides, les plantes dont les folioles changent dë
position de douze en douze heures ne peuvent pas vivre dans des pays où
la neige et l'obscurité d'un long hiver empêcheraient cette fonction ; mais
pourquoi tel genre de plante grasse existe-t-il au Cap et non en Amérique,
pourquoi tel genre commun dans les Andes n'est-il pas représenté aussi
dans les hautes régions de l'Asie, pourquoi chaque genre de Mélastomacée
est-il spécial à l'ancien ou au nouveau monde (Naudin, Ann. sc. nat.,
série, XII, p. 300); en général, pourquoi une forme existe-t-elle dans
une des régions du globe et non dans les autres, surtout dans les régions
dont le climat est analogue? Ce sont des problèmes que l'observation des
faits et la connaissance des formes de végétaux ne peuvent nulleméht
résoudre avec les moyens imparfaits dont la science dispose de nos jours.
La solution ne pourra venir que de l'étude des circonstances antérieures
à l'état actuel du globe et aux êtres organisés de notre époque. Pour les
genres comme pour les espèces, la répartition géographique observée
maintenant a ses causes dans le passé. Ceci est même plus important et
plus certain à l'égard des genres qu'à l'égard des espèces, puisqu'il faut
des révolutions bien plus graves et bien plus étendues pour détruire un
genre que pour détruire une espèce.
ARTICLE III.
DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE DES GENRES ET FORME GÉNÉRALE
DE LEURS HABITATIONS.
Un genre est borné géographiquement par la mer ou par les limites de
certaines espèces, lesquelles diffèrent d'un point du pourtour à Vautre.
La faculté des espèces de la circonférence de s'étendre plus ou moins dans
chaque direction, et la diversité denature, quelquefois assez grande, de
ces espèces, ne peut amener pour la circonscription du genre qu'une ligne
irrégulière, assez indépendante de toute loi générale. De même quant aux
limites sur les montagnes.
DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE DES GENRES. 11 2 9
Cependant, l'analogie intime qui existe toujours entre les espèces d'un
môme genre est un obstacle à l'irrégularité complète de la limite. On voit
donc beaucoup de genres, ceux surtout qui sont bien naturels, s'arrêter
d'une manière à peu près uniforme sous tel ou tel degré de latitude, et,
sur les montagnes, à telle ou telle hauteur dont les climats correspondent.
D'après une soixantaine d'espèces du genre Myrsine, par exemple, aucune
ne dépasse le 32® degré dans l'hémisphère boréal, ou le /lO" dans l'hémisphère
austral; aucun Tahernoemontana ne dépasse le 30° degré de latitude
méridionale, et il serait aisé de multiplier ces exemples.
D'un autre côté, les exceptions sont nombreuses.
Les And rosace sont certainement un genre des régions fraîches ou froides
de l'hémisphère boréal, cependant l'Androsace maxima s'avance jusque
dans la Perse et près d'Alep (Duby, dans Prodr., VIII, p. 53); les Conyza
ont pour limite, dans l'Amérique septentrionale, le 33« degré environ
(Conyza sinuata, d'après Torrey et Gray, FI., II, p. 257), et dans l'ancien
monde la limite est aux plaines du pied de l'Altaï, sous le 55® degré
environ (Conyza altaica, d'après DC., Prodr., etLedeb., Fl. Ross., II,
p. Z|98); le genre Salvia s'avance en Europe jusqu'en Suède, vers le
60® degré de latitude (Salvia pratensis, voy. Wahl., Fl. Suee., I, p. 16)
et en Amérique, jusque dans l'Ohio seulement, sous le Al'- degré (Salvia
lyrata, L., voy. Cray, Bot. N.-St., p. 320), etc. Chaque botaniste peut
citer des exemples analogues. Ils ont de l'importance pour mettre en
garde contre certaines conclusions précipitées, dans lesquelles on juge du
climat d'une localité ou d'une époque géologique^, par la présence d'un
certain genre.
La non-extension d'un genre dans telle ou telle direction, ou sa présence
en dehors des limites ordinaires, sur tel ou tel point, ont presque toujours
pour cause l'absence ou l'existence dans telle partie du monde d'espèces
ayant plus ou moins la faculté de se répandre. Aucune raison botanique
ne peut faire deviner pourquoi il n'existe pas en Amérique une espèce de
Salvia, par exemple, qui supporte le froid aussi bien que le Salvia pratensis
en Europe. En d'autres termes, la cause principale de la limite actuelle
des genres est une cause antérieure, une cause tenant à la création et à
la distribution des formes végétales avant l'époque actuelle. Ces considérations
nous dispensent d'examiner de plus près un phénomène qui échappe
aux moyens d'observation dont les botanistes disposent.
Nous pouvons aussi ne pas fixer notre attention sur la forme générale
de la circonscription géographique des genres. Cette forme se moule en
grande partie sur la forme des continents. Quand cela n'arrive pas, elle est
limitée par une ligne dont les contours irréguliers présentent peu d'intérêt.