866 ORIGINE GÉOGRAPHIQUE DES ESPÈCES CULTIVÉES.
nique, à voir là deux races et non deux espèces. Linné les réunissait sous le
nom de Citrus Aurantiuni. Examinons cependant séparément ces deux races
ou espèces. L'étude de leur origine géographique pourra peut-être jeter
quelque jour sur l'importance de leur caractère distinctif.
Le Bigaradier [Citrus viiìgaris^ Risso)^ de même que le Limonier et
rOrange douce, était inconnu aux Grecs et aux Romains, et comme ces derniers
avaient étendu leurs relations jusque vers la péninsule indienne et
même l'île de Ceylan, Gallesio (p. 2/il) en tire l'induction que ces arbres,
en particulier le Bigaradier, n'étaient pas cultivés alors dans la partie occidentale
de l'Inde. Il a étudié, sous ce point de vue, les anciens géographes
et voyageurs, tels que Diodore de Sicile, Néarque, Arianus, et n'a trouvé
aucune mention des Orangers. Cependant, la langue sanscrite, bien plus
ancienne que les Romains et les Grecs, avait un nom pour l'Oranger,
Na(jarunga(Ko\]),^ FI. Ind., édit. 1832,vol. II, p. 392), ou Nagrunya
(Royle,iZ?. i/i/na7.,p. 130). C'est même de là qu'est venu le motorange,
car les Hindustanis en ont fait le nom Nartingee (Royle, que nous
devons prononcer Naroundji, les Arabes ont fait Narunj (Gallesio,
p. 122) et les Italiens Naranzi^ Arangi (Gall., ih.). Dans le moyen age,
les auteurs ont dit en latin Arancium, Arangimn^ puis Aurantiurn
(GalL, p. 123,12/i). Je ne trouve pas dans les auteurs anglais la preuve
que le mot sanscrit s'appliquât à l'Orange amère plutôt qu'à l'Orange
douce (a) ; mais cela semble probable, car les Arabes qui ont transporté
les Orangers de l'Inde vers l'occident, ont connu d'abord l'Orange amère et
lui ont appliqué le moi Narunj (Gall., p. 122 et 2/i8). Les médecins
(p. 355) commentia gelée de 1709, ayant fait périr les orangers de Finale, on avait pris
rhaliitude dans le pays d'élever des orangers à fruits doux de semences. « Il n'y eut pas
nne seule de ces plantes qui ne portât des fruits à jus doux (p. 357), )J
Macfadyen {Fl. Jam., 1837, I, p. 129) : « C'est un fait établi, familier à tous
ceux qui ont yécu quelque temps dans cette île, que la graine des oranges douces donne
très souvent des arbres à fruits amers (bitter), ce dont des exemples bien prouves sont
arrivés à ma connaissance personnelle. Je n'ai pas ouï dire cependant que des graines
d'oranges amères aient jamais donné des fruits doux Ainsi l'oranger amer était le type
primitif, iï II ajoute (p. 1 30) que dans les districts à sol calcaire les oranges semées sont
toujours douces, et que dans ceux d'une autre nature, elles sont plus ou moins acides
ou amères, même quand elles viennent des meilleures oranges. Le même auteur avait
déjà publié ces faits en 1830 (Hook., Bol. misc., I, p. 303). Il disait alors que les-districts
non calcaires sont du Irap ou des formations secondaires. Dans ces localités, les
fruits ont plus ou moins d'acidité (acridity). Cette dernière expression peut faire penser
que les oranges produites mûrissent mal, sont acides, comme les oranges douces de
Hyères, ce qui est bien différent de la quabté amère du bigaradier. Le mot soiir en anglais
veut dire acide et hitter amer, et Fauteur emploie presque partout le mot titter. A la page
130 seulement, il parle d'oranges sour ou bitter, comme.de choses analogues, il ne cite
pas Gallesio, dont l'autorité me paraît supérieure, vu la spécialité de ses études sur les
orangers.
(a) Cette preuve m'a été fournie récemment par M. Adolphe Pictet. Voyez la note plus
loin, p. 870.
OIUGLNE DES ESPÈCES LE PLUS GÉNÉRALEMENT CULTIVÉES. 867
arabes ont employé dans leurs prescriptions le suc amer du Bigaradier
dès le siècle de notre ère (Gall., p. U7). Les recherches approfondies
de Gallesio montrent que l'espèce s'était répandue depuis les Romains dans
la direction du golfe Persique, probablement par l'effet des expéditions des
Arabes dans l'Inde. Ce peuple, agriculteur et conquérant, a transporté le
Bigaradier en Arabie dès la fin du ix^ siècle de l'ère chrétienne. Ce fut par
l'Oman, Bassora, Irac et la Syrie, d'après l'auteur arabe Massoudi (GalL,
p. 315). Les Croisés virent le Bigaradier en Palestine, et on le cultivait en
Sicile dans l'année 1002, ce qui n'est pas étonnant, puisque les Arabes
avaient envahi cette île en 828. Ils l'avaient aussi porté en Espagne
(GalL, p. 257 et 288). Ce sont eux, probablement, qui l'avaient répandu
dans l'Afrique orientale. Les Portugais le trouvèrent en Ethiopie en 1520
(GalL, p. 289) et sur la côte orientale d'Afrique, lorsqu'ils doublèrent le
Cap de Bonne-Espérance eu l/|98(^rf., p. UO) . Rien ne peut faire penser
que rOrange amère ou douce existât en Afrique avant le moyen âge. La
fable du jardin des Hespérides doit concerner un autre pays ou un autre
fruit, et peut-être n'est-elle qu'un jeu de l'imagination fertile des Hellènes
(GalL, p. 223).
Aucun botaniste moderne, à ma connaissance, n'a trouvé le Bigaradier
sauvage dans l'Asie méridionale, qui doit être cependant sa patrie. Roxburgh,
Royle, Griffith, Wight, n^en parlent pas. Le docteur Wallich {List,
n. 638/i) est le seul qui indique une localité, Silhet, au nord-est du Bengale;
mais il ne donne ni description, ni détail sur la station des individus
observés. Le Citrus fusca, de Loureiro (FL Coch., p. 571), qui habite
latissime in Cochinchina, rarius in China, s'en rapproche; mais il a un
fruit de 2 pouces seulement de diamètre. L'intérieur de la Chine est trop
peu connu pour que, du silence des auteurs, on puisse rien conclure. Je
crois, en définitive, le Bigaradier originaire de l'Inde au delà du Gange,
comme le soupçonnait Gallesio, et même je reculerai l'habitation probable
jusque vers Sillet, le pays des Birmans et la Cochinchine. Les véritables
motifs sont, en résumé : 1« que l'espèce était peu ou point cultivée dans le
temps des Romains à l'occident de l'Inde; 2« que les botanistes ne Font
pas trouvée sauvage ou naturalisée dans la péninsule indienne et dans le
Bengale,
Il ne semble pas que le Bigaradier se sème aussi facilement que le Limonier
et le Cédratier dans les colonies américaines. Macfadyen (FL
Jam., p. 128) l'indique seulement comme cultivé; les autres Citrus
comme cultivés et naturalisés.
UOrange douce vient spontanément dans les forêts de Silhet et sur les
pentes des monts Nilgherries (Royle, IlLHimaL, p. 129), Turner en