f ) i ) 0 ORIGINE GÉOGRAPHIQUE DES ESPÈCES CULTIVÉES.
organes pour lesquels on cultive la plante, c'est une grande probabilité que
ces caractères viennent de la culture. Ainsi, quand deux formes voisines
d'arbres fruitiers diffèrent par la grosseur, la saveur ou la forme du fruit, le
botaniste doit y mettre moins d'importance que si les caractères étaient dans
la fleur ou les feuilles. Évidemment, en effet, l'homme a été entraîné à conserver
les modifications qu'il obtenait pour les fruits, et il cherche toujours
à les obtenir. Dans les thés, le tabac ou le chanvre, qui sont cultivés pour
leurs feuilles ou leurs tiges, les diversités de fleurs et de fruits sont probablement
naturelles et non artificielles.
Quelquefois une modification qui semble être ou une espèce ou une race
est indiquée dans les livres, à une certaine époque et dans certains pays,
avec des circonstances qui font présumer une introduction récente dans les
cultures. Si la modification en question a des qualités économiques supérieures
à celles des variétés qu'on cultivait avec elle plus anciennement
ou plus communément, il est probable qu'elle s'est produite par la culture.
En effet, si elle avait existé de tout temps comme espèce sauvage et distincte,
la culture aurait commencé par elle. Au contraire, les qualités inférieures
qui se maintiennent par habitude dans les cultures, ont la chance
d'être des espèces primitives, car une variété médiocre étant produite, on
l'abandonne volontiers.
En appliquant cette règle de probabilité, les Hordeum vulgare, distichon,
hexastichon, paraissent de bonnes espèces, carie plus riche,
l'Hordeum hexastichon, est d'une grande antiquité comme culture, et il est
probable qu'on a eu l'idée de le cultiver parce qu'il existait avec de bonnes
apparences. Après lui on aurait rebuté les autres, s'ils s'étaient manifestés
par accident dans les cultures, mais comme on les a cultivés aussi, il est
probable que certains peuples les avaient trouvés dans la nature autour
d'eux, et qu'ils ont continué de les cultiver par habitude, ou par défaut de
communication avec ceux qui avaient la meilleure espèce. Inversement
l'oranger à fruit doux semble une modification de l'oranger à fruit amer,
car il paraît moins ancien dans les cultures, et cependant, si l'un et l'autre
avaient existé en Asie spontanément, les peuples les moins habiles se
seraient emparés d'abord de l'orange douce, comme ayant des avantages
évidents, et auraient néglige l'autre pendant longtemps.
Lorsqu'on hésite pour savoir si une forme héréditaire de plante cultivée
est une race ou une espèce, il convient aussi de chercher si la culture en
a commencé dans des régions différentes ou dans la même région. Si le
premier cas se présente, plus les régions sont éloignées, plus il est probable
que les formes représentent (les espèces distinctes. On sait que les espèces
phanérogames communes à l'ancien et au nouveau monde, sont infiniment
ESPECES CULTIVEES MALGRÉ LA VOLONTE DE L HOMME. 991
rares, excepté.vers le Nord, ainsi quand on parvient à établir qu'un Indigofera,
je suppose, ou un Gossypium, a été cultivé d'abord en Amérique, on
a démontré presque complètement qu'il appartient à une espèce, relativement
aux formes voisines de l'ancien monde, quelque difficiles à distinguer que ces
plantes puissent paraître. D'après un raisonnement analogue on peut supposer
une confusion d'espèces dans le lin cultivé, uniquement parce que la
culture semble avoir commencé à la fois dans l'Europe tempérée et en
Egypte, c'est-à-dire dans deux pays qui ont infiniment peu d'espèces phanérogames
communes. Le cas inverse n'a pas la môme valeur. Si la culture
(le deux formes voisines a commencé dans la même région, on peut croire
ou que les deux formes étaient spontanées dans le pays, ou que l'une d'elles
s'est développée anciennement dans les cultures, sans que l'histoire ou les
noms vulgaires en aient laissé le moindre indice.
Ces raisonnements tendent donc à montrer, dans certains cas, si deux
formes héréditaires d'une plante cultivée sont plus anciennes que l'agriculture,
ou si elles sont le résultat de l'action de l'homme. Quand on a établi
que deux formes sont antérieures à l'agriculture, on peut encore soupçonner
que l'une d'elles est dérivée de l'autre à une époque plus ancienne,
peut-être avant la présence de l'homme ou avant certains phénomènes
géologiques. On retombe alors dans les grandes questions de la définition
de l'espèce, de la date des espèces actuelles, du nombre et de la répartition
de leurs individus avant l'époque historique, et même de leur origine
première, questions formidables, sur lesquelles les espèces cultivées
n'apprennent rien^ et dont la solution dépend de la distribution actuelle
des espèces spontanées, éclairée par la paléontologie et la géologie. J'y
reviendrai dans les chapitres XI et XXYI.
SECTION II.
ESPÈCES CULTIVÉES MALGRÉ LA VOLONTÉ DE L'HOMME.
A côté des plantes que l'homme cultive en grand et volontairement, on
en compte plusieurs qui profitent de ses travaux et dont il serait heureux de
pouvoir se débarrasser (p. 610, 6Z|2).
Leur introduction dans les cultures remonte quelquefois à une époque
reculée; cependant on ne peut pas dire qu'elles aient beaucoup varié. La
plupart sont annuelles ; or, la circonstance d'avoir eu des milliers de générations
soumises à des influences particulières, et d'avoir passé sous des
climats nombreux et divers, en raison de l'extension de l'agriculture, n'a
pas amené chez elles autant de modifications que chez les espèces cultivées
proprement dites; il semble même qu'elles ne présentent pas des modi-
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