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 1 0 8 0  ORIGINE  PROBABLE  DES  ESPÈCES  SPONTANÉES  ACTUELLES.  
 témoignage  de  mon  père  (a)  et  par  mes  propres  souvenirs.  Un  propriétaire  
 des  environs  de  Genève,  M. Saladin  de  Budé,  amateur  d'horticulture,  avait  
 remarque  dans  sa  propriété  de  Frontenex,  une  branche  unique  d'un  marronnier  
 où  les  fleurs  étaient  doubles.  On  prit  des  greffes sur  cette  branche,  
 et  ces  greffes  propagées,  depuis  Ì82/Ì,  par  les  pépiniéristes,  ont  répandu  
 en  Europe  le  marronnier  double.  J'ajouterai,  comme  information,  que  la  
 même  branche  existe  toujours  et  fleurit  encore,  chaque  année,  avec  des  
 fleurs  doubles,  le  reste  de  l'arbre  étant  à  fleurs  simples.  L'acacia  toriu,  
 l'acacia  en  parasol,  le  frêne  pleureur,  le  saule  à  feuilles  recourbées  (Salix  
 annularis),  le  sophora  pleureur,  le  saule  pleureur  (Salix  babylonica)  qu'on  
 ne  trouve  pas  sauvage  et  dont  on  ne  connaît  qu'un  seul  sexe,  doivent  probablement  
 leur  origine  à  des  accidents  du  même  genre,  mais  souvent  on  a  
 négligé  de  les  constater,  ou  le  temps  en  a  fait  perdre  les  preuves.  
 Plusieurs  de  ces  variétés  monstrueuses  ne  donnent  pas  de  graines.  On  
 ignore  jusqu'à  quel  point  elles  conserveraient  l'état  monstrueux  si  elles  en  
 donnaient.  J'ai  ouï  parler  de  graines  obtenues  dans  une  année  chaude,  sur  
 un  acacia  en  parasol,  qui  n'ont  pas  reproduit  la  variété  ;  mais  malheureusement  
 j e  n'ai  pas  suivi  moi-même  l'expérience.  Dans  le jardin  de  Genève,  
 un  Cytise  Aubour  (Cytisus  Laburnum)  à  folioles  multiples,  a  donné  des  
 graines  qui  ont  produit  des  cytises  ordinaires.  
 Les  serais  sont  une  autre  origine  bien  connue  des  variétés.  On  sème  des  
 pelargonium,  des  tulipes,  des  calcéolaires,  etc.;  puis  on  remarque  des  
 pieds  qui  offrent  quelque  circonstance  particulière  plus  ou  moins  nouvelle.  
 Il  est  aisé  de  propager  cet  état  de  la  plante  au  moyen  de  boutures,  marcottes, 
   etc.,  mais  le  semis  des  graines  donnerait  souvent  d'autres  formes.  
 Enfin,  des  variations  prolongées  paraissent  pouvoir  se  changer  en  variétés. 
   En  d'autres  ternies,  une  influence  constante,  qui  amène  chaque  
 année  un  état  particulier  d'une  espèce,  communique  à  la  longue  aux  individus  
 ainsi  affectés,  une  disposition  à  rester  dans  cet  état.  La  vigne  en  
 donne  la  preuve.  Assurément  les  ceps  qu'on  fait  venir  de  Madère  ou  du  
 Cap,  pour  les  cultiver  en  Europe,  se  distinguent  de  toutes  nos  variétés  
 européennes,  et  conservent  longtemps  des  caractères  distincts;  cependant  
 personne  n'ignore  que  les  vignobles  de  Madère  et  du  Cap  ont  été  plantés  
 avec  des  vignes  tirées  d'Europe.  Il  est  clair  que  l'action  de  climats  nouveaux  
 et  d'une  culture  peut-être  différente,  prolongée  pendant  deux  
 siècles,  ont  produit  un  état  particulier  de  la  plante.  L'expérience  a  montré  
 combien  les  semis  de  pépins  de  raisins  conservent  rarement  les  qualités  
 complètes  et  propres  du  fruit  dont  on  les  a  tirés.  Les  variétés  de  Madère  
 (a)  M m  soc  phys.  et  cVhist.  nat.  de  Genève,  vol.  II,  part,  ii,  p.  129  ;  Plantes  rares  
 au  jardm  de  Geneve,  p.  91.  
 CHANGEMENTS  QUI  ONT  PU  S'OPÉREK  DANS  LES  ESPÈCES.  1081  
 ou  du  Cap  sont  de  vraies  variétés,  dont  la  propagation  par  graines  serait  
 nulle  ou  mal  assurée.  D'ailleurs,  comme  la  vigne  a  été  propagée,  depuis  le  
 temps  des  Romains,  par  des  boutures  et  non  par  des  graines,  les  innombrables  
 variétés  qu'elle  offre  aujourd'hui  sont  des  effets  de  variations  
 locales  ou  de  monstruosités,  jamais  de  semis.  D'après  cet  exemple,  il  est  
 probable  que  le  cerisier  d'Europe,  devenu  un  arbre  toujours  vert  à  Ceylan,  
 prendra  cette  manière  d'être  au  bout  d'un  temps  plus  ou  moins  long,  de  
 telle  sorte  que  des  greffes  transportées  en  Europe  ne  perdraient  pas  leurs  
 feuilles, et  donneraient  des  cerisiers  incapables  de  supporter  nos  hivers.  
 Cette  expérience  méritera  d'être  faite  dans  un  quart  de  siècle,  un  demisiècle  
 et  plus  tard.  Elle  fera  probablement  toucher  au  doigt  la  cause  pour  
 laquelle  beaucoup  de  variétés  méridionales  ne  réussissent  pas  dans  les  
 pays  du  Nord.  
 Une  chose  est  bien  digne  d'attention  dans  l'histoire  des  variétés  de  la  
 vigne.  Je  veux  parler  de  leur  durée,  de  leur  ténacité,  sous  des  influences  
 différentes  de  celles  qui  les  ont  produites.  Un  enclos  du  jardin  botanique  
 de  Genève  renfermait,  depuis  1818,  environ  /lOO  variétés  de  vigne  de  
 différents  pays.  On  a  pris  des  notes,  à  des  époques  successives,  sur  la  
 date  de  la  maturité,  l'abondance,  la  grosseur  des  raisins,  leur  goût,  leur  
 forme,  leur  couleur.  Je  puis  certifier  qu'après  un  quart  de  siècle,  les  
 observations  sur  chaque  pied  étaient  les  mêmes,  c'est-à-dire  que  les  variétés  
 précoces  restaient  précoces,  que  les  tardives  restaient  tardives,  etc.  
 Rien  ne  changeait,  si  ce  n'est  la  quantité  de  produit  annuel,  qui  dépend  
 du  climat  de  l'année.  Un  plant  de  Bordeaux,  introduit  dans  le  village  de  
 Dardagny,  près  de  Genève,  en  1782,  par  les  officiers  d'un  régiment  français  
 qui  occupait  alors  le  pays,  a  donné  des  vignes  dont  le  vin  de  18Zi8,  
 dégusté  dans  une  séance  de  la  Classe  d'agriculture  de  Genève,  a  été  trouvé  
 différent  des  autres  et  très  supérieur  aux  vins  ordinaires  des  vignes  de  la  
 même  localité,  obtenus  par  les  mêmes  procédés  de  culture  et  de  fabrication. 
  M.  le  comte Odart  a  fait  des  observations  semblables  sur  une  collection  
 de  vignes  très  nombreuse.  Il  affirme  que  trente  ans  n'ont  pas  altéré  les  
 variétés  (a).  Pour  détruire,  comme  pour  produire  une  variété  de  vigne,  il  
 faut  l'action  de  plus  d'un  siècle.  Ne  faudrait-il  pas  un  temps  beaucoup  
 plus  long  pour  d'autres  espèces ?  Oui,  probablement,  car  la  flexibilité  des  
 espèces  est  différente.  
 En  général,  quelle  que  soit  l'origine  d'une  variété,  on  ne  peut  pas  en  
 prévoir  la  fin.  On  cite  quelques  variétés  comme  ayant  disparu:  par  
 exemple,  le  Fragaria  monophylla  (issu  jadis  duFragaria  vesca,  par  semis),  
 qui  aurait  duré  trente  ans,  d'après  Duchêne.  Mais  en  admettant  que  cer- 
 (a)  Ampélographie,  1  vol.  iii-8,  p.  14  et  27.