!|
l i
1108 ORIGINE PROBABLE DES ESPÈCES SPONTANÉES ACTUELLES.
trois questions, que nous devons examiner. Ces questions sont: l'' de
savoir si les espèces actuelles sont parties de un ou plusieurs pays différents;
2" si elles ont été créées à des époques successives; si elles ont
eu, dès leur origine, un seul représentant ou plusieurs. La situation des
espèces actuelles, leur disposition à se propager et à se naturaliser dans
des pays nouveaux, et, d'une manière générale, l'observation des faits peuvent
donner des indices plus ou moins positifs sur ces trois grands problèmes.
I I . DES CENTRES PRIMITIFS DE VÉGÉTATION.
Il est assez inutile de s'arrêter aujourd'hui sur l'hypothèse de Linné (a),
que toutes les espèces végétales et animales seraient sorties d'un seul point
de la terre, berceau en même temps du genre humain. Cette opinion ne
pouvait se soutenir, même avant les découvertes modernes de la géologie,
i\i\e par de grands efforts d'imagination, et en acceptant, comme base du
raisonnement, une interprétation très superficielle et très contestable des
termes de la Genèse. On l'a réfutée mainte et mainte fois (6). Chaque
progrès dans les connaissances d'histoire naturelle et de géographie en
démontre l'impossibilité. Elle est en opposition flagrante avec les faits les
plus certains. Aucune région, même un peu vaste, même offrant des hauteurs
diverses, ne présente seulement la dixième partie des espèces qui
existent à la surface de la terre. Les espèces végétales n'auraient pu se
trouver toutes rapprochées sans être immédiatement détruites en grande
partie, soit par les animaux, soit par le climat quelque varié et favorable
qu'on le suppose dans une seule localité. Enfin, le transport de tant d'espèces
dans les divers pays où elles se trouvent maintenant cantonnées,
d'une manière souvent étroite, rend une pareille théorie complètement
impossible à soutenir. Elle n'a plus qu'un intérêt philosophique, celui de
montrer qu'un grand naturaliste peut tomber dans de singulières erreurs,
quand il s'écarte de la base des sciences naturelles, l'observation directe
des faits et les probabilités qui en découlent.
Bufl'on s'était montré bien supérieur à Linné, lorsque s'appuyant sur le
phénomène d'une température autrefois très élevée du globe, il en déduisait
que la végétation a dû s'établir d'abord dans les régions polaires et se
propager, à mesure du refroidissement, vers les régions équatoriales.
Ce point de vue d'un homme de génie reste vrai dans une certaine sphère
(a) De telhiris încremento, dans ÀmoenitatGS acaclGmicoe, édit., vol. ÏI.
(b) Ija réfutation la plus forte peut-être a été donnée par M. Agassiz, dans un article
sur la distribution des aiiimaux, inséré dans le Christian examiner de mars 1850.
ORIGINE ET REPAUTITION rKEMIEUE DES ESPÈCES. 1109
très élevée, en embrassant de longues périodes géologiques, et en admettant
un refroidissement qui ne peut avoir été que d'une lenteur extrême. Lorsqu'on
descend ensuite aux applications à chaque période, on trouve dans
les découvertes modernes la preuve de variations successives et en sens
divers de la température sous chaque zone. Ainsi dans plusieurs points de
l'hémisphère boréal, après des végétations qui supposent beaucoup de
chaleur, il y a eu de grandes accumulations de glaces, qui ont elles-mêmes
cédé le terrain à des végétaux de climats tempérés. Il n'est pas prouvé,
d'ailleurs, qu'à l'époque où les régions polaires étaient très chaudes, il
existai entre ces régions et celles de l'équateur la différence qui existe
aujourd'hui. Si la température élevée tenait à une chaleur centrale du globe
plus importante que la chaleur venant du soleil, des espèces analogues
auraient pu vivre à la fois près de l'équateur et près des pôles.
Une autre opinion, soutenue par Willdenovv (a), et avant lui, avec plus
d'habileté peut-être, par Zinn (¿), fait commencer les espèces sur les montagnes
et chaînes de montagnes, qui auraient été, suivant les anciens systèmes
géologiques, les premières surfaces abandonnées par les eaux. Aujourd'hui,
on a prouvé que les montagnes se sont presque toujours élevées
après les plaines, et se sont élevées souvent par des actions successives.
Il ne vaut donc plus la peine de discuter cette hypothèse, à laquelle on pouvait
d'ailleurs présenter de fortes objections, entre autres l'existence de
plusieurs milliers d'espèces dans les régions basses intertropicales, sous une
température plus chaude que celle d'aucune montagne.
Le défaut de toutes les théories de cette nature est d'avoir voulu embrasser
des questions multiples et immenses dans un seul système. C'est
aussi de n'avoir pas marché du connu à l'inconnu, en se résignant à attendre,
lorsque l'état de la géologie le rendait encore nécessaire.
J e désire éviter ces causes d'erreur, et, pour cela, j e me bornerai à
énoncer quelques idées incomplètes, timides peut-être, mais fondées uniquement
sur des faits et sur les opinions les moins contestées de la géologie
actuelle.
Un des progrès les plus importants de cette science a été de montrer les
phénomènes d'cmersion et de submersion des terres comme successifs et
locaux. Ainsi, pendant que le terrain subapennin se déposait sur la molasse
en Bresse, la molasse restait à découvert, avec toutes ses productions,
dans telle autre localité. Il y a donc eu dans chaque siècle des surfaces
élevées au-dessus de la mer, qui ont pu servir de centres pour la végétation
de l'époque. Les géologues sont encore loin de pouvoir se représenter
(a) Grundriss der K rün terkunde.
[b) Dans un ouvrage danois, cité par Schouw, De sedibus plant, urig.y p. -4 et 9.
^ : il
il J :