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1 1 2 0 ORIGINE PROBABLE DES ESPÈCES SPONTANÉES ACTUELLES.
ARTICLE IV.
DURÉE DES ESPÈCES ET DES RÀCES.
Qu'on étudie l'espèce au point de vue théorique ou d'après l'observation
pure et simple des laits, elle se présente à nous comme une agrégation
qui n'a pas, dans sa nature niême, des causes d'extinction nécessaire. Il
en est à cet égard de l'espèce connue des plantes vivaces et des arbi^es, dont
la durée est illimitée, c'est-à-dire qui meurent à des époques irrégulières,
par des causes accidentelles. Rien ne peut faire présumer une diminution
dans la faculté de produire des graines de génération en génération, ni
dans la vitalité de ces graines; par conséquent il faut des circonstances
extérieures pour rendre une espèce plus rare et pour l'éteindre, et ces
circonstances arrivent d'une manière souvent imprévue.
Les espèces les plus exposées sont celles des petites îles, comme Sainte-
Hélène, Tristan-d'Acunlia, Juan-Fernandez, etc. Ce sont elles qui ont l'aire
la plus limitée (p. 586), et il suffit d'une éruption de volcan, de la destruction
d'une forêt, ou de l'invasion d'un animal, comme la chèvre, pour
les faire disparaître. c( Plusieurs causes, dit le docteur Hooker {FL ant.y
I I , part. II, p. 216) ont réduit la Flore de Sainte-Hélène, de mémoire
d'homme, à une ombre pour ainsi dire de ce qu'elle était lorsque l'île était
couverte de bois (a). Ceux-ci ayant été presque tous détruits par les chèvres
et les porcs, et par l'usage d'enlever les écorces pour les tanneries,
les espèces et le nombre des individus ont diminué. Dans l'intervalle de
mes deux séjours à Sainte-Hélène, une plante très particulière, l'Acalypha
rubra, avait disparu, et deux belles espèces ligneuses du genre Melhania, à
fieurs très apparentes, venaient de s'éteindre, pendant que l'existence de
plusieurs Wahlenbergias, d'un Physalis et de quelques Composées arborescentes,
très particulières, devenait de plus en plus précaire. »
Ces observations sont curieuses, surtout quand on les rapproche de
celles sur la multiplication rapide des espèces naturalisées à Sainte-Hélène
et dans les îles analogues (p. 719). Il ne faut cependant pas regarder
comme éteintes les espèces qu'un voyageur ne retrouve plus, même lorsque
ces espèces sont de nature à frapper les yeux. Les plantes ne sont pas
comme les animaux de grande taille dont la disparition est aisée à constater.
Elles ont par le moyen de leurs graines des réserves dans le terrain
(a) Il y avait 2,000 acres de forets, dont il ne restait que des arbres isolés en 1724.
Les chèvres et les porcs introduits en 1502 avaient multiplié très vite dès l'origine, et
quand on ordonna, en 1731, de détruire les animaux errants, le mal était déjà fait. Il
s'est naturalisé 74G espèces étrangères de plantes, et il ne reste que 52 espèces
indigènes. (Ch. Darwin, Journal^ édit. 1852, p. 487.)
DUmÎE DES ESPÈCES ET DËS RACES. H21
(p. 62/i)j et ces réserves sont d'autant plus nombreuses, d'autant plus
profondes et à l'abri des accidents que les espèces sont plus anciennes. A
Sainte-Hélène, il doit y avoir, au fond des fissures de rochers et dans le
sable accumulé par les pluies, une quantité de graines soustraites aux
causes d'altération et de germination. Si les circonstances extérieures
actuelles venaient à changer, si la surface du terrain n'était plus livrée aux
hommes, aux animaux domestiques et à certaines plantes envahissantes
naturalisées, on pourrait voir reparaître et reprendre possession de l'île,
à la suite d'éboulements ou de ravage des eaux, quelques-unes des espèces
qui semblent anéanties dans ce moment.
Il est plus difficile d'apprécier la disparition d'espèces continentales.
Elles ont, comme les espèces insulaires, leurs réserves dans le sol et en
outre leurs habitations sont étendues et les stations qui leur conviennent
ne peuvent guère changer partout à la fois. Il y a quelques espèces à aires
très limitées (p. 587) qui semblent près de disparaître. On remarque aussi
le retrait des limites de certaines plantes sur de vastes étendues (p. 807);
enfin, il y a des habitations disjointes (p. 993), qui souvent paraissent
avoir été continues à une époque antérieure historique ou géologique. De
ces faits, on est conduit à regarder comme probable l'extinction graduelle
de quelques espèces, indépendamment de la destruction accidentelle causée
par des révolutions géologiques. Sur 157 espèces cultivées, 32 n'ont pas
encore été retrouvées à l'état sauvage (p. 98Zi) ; elles le seront peut-être
quand on connaîtra mieux la Perse, la Tartaric, la Chine, etc.; cependant
on ne peut s'empêcher de voir dans ce fait un indice de la disparition
d'un nombre assez considérable d'espèces depuis l'époque historique. II
n'aurait disparu qu'une seule espèce sur JOO, parmi les plantes cultivées^
qu'on pourrait en augurer l'extinction de 1,000 à 2,000 espèces phanérogames,
car, après tout, les espèces cultivées sont comparables aux autres,
puisqu'elles appartiennent à plusieurs familles, à diverses régions du globe
et aux catégories les plus variées sous le point de vue physiologique. L'envahissement
des cultures dans leurs habitations et stations primitives a
bien été pour elles une cause particulière de destruction, ou du moins àla
suite de cet envahissement nous ne distinguons plus les pieds descendus
de pieds aborigènes de ceux descendus de pieds cultivés ; mais/
en compensation, les espèces cultivées sont ordinairement robustes et
avaient bonne chance de résister dans des habitations étendues et dans des
stations moyennes ou diverses.
Une extinction irrégulière, tantôt lente, tantôt brusque des espèces
actuelles, est donc probable. Le meilleur moyen de la démontrer serait
une étude complète des tourbes, en passant de là aux diluvium et terrains