632 C H A N G E M E N T S DANS L'IIABITATION DES ESPÈCES. N A T U R A L I S A T I O N S A PETITE DISTANCE. 633
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grandeur où l'espèce ne se voit plus, tandis que dans le voisinage elle
n'est pas rare.
Lorsqu'une lacune dans l'iiabitation d'une espèce peut s'expliquer par
l'absence de la station qui lui est nécessaire, on trouve le fait tout
simple, et il l'est évidemment. De même si une espèce manque parce
qu'une cause locale, comme l'élévation du sol, une exposition trop froide
ou trop chaude, l'empêche de s'établir, il ne vaut pas la peine de s'en
occuper autrement que pour constater la cause. Mais il arrive quelquefois
qu'une espèce manque en un point, sans cause actuelle apparente. Peutêtre,
dans les siècles antérieurs, une cause locale l'a-t-elle fait disparaître;
ou la plante, venant de pays plus ou moins éloignés, ne s'est-elle pas encore
répandue dans le district, tout en occupant ceux qui l'environnent ; ou,
enfin, des causes de diffusion très anciennes ne pouvaient-elles pas agir
sur certaines localités à l'époque où la plante s'est établie dans le pays?
Alors, on peut voir l'espèce pénétrer dans certains endroits où elle manquait
naguère.
Les plantes aquatiques en offrent les exemples les plus curieux,
A Genève, nous avons dans les marais le Nymphsea alba, mais non le
Nuphar luteum. Personne ne l'a trouvé d'une manière certaine et spontanée,
plus près de nous que dans le lac des Rousses (7 lieues) (a) ; dans les
marais de Valorbe (Reuter, verbalement); autour de Vevey et Villeneuve
(Rampold, Cat. mss.), à l'extrémité du lac Léman (là lieues). Il manque
au Chablais et au Faucigny ; mais il existe autour du lac d'Annecy (Reuter,
verbalement), à 8 lieues de Genève. Il se trouve à une journée de marche
dans plusieurs directions. Le Nuphar luteum est très commun dans les
pays circonvoisins ; dans le Jura et au delà, dans tout le centre de la
Suisse, le nord de l'Italie, la France. Il vient dans des localités plus hautes
et plus basses que Genève. Ici, nous n'avons aucune nymphéacée à fleur
jaune, et le pays a été tellement parcouru par les botanistes, que le fait est
incontestable. Or, le Nuphar luteum peut vivre parfaitement bien à
Genève. Il existe dans les bassins du jardin botanique depuis 1816. Je l'ai
mis dans une pièce d'eau chez moi, au Vallon, et il y prospère depuis dix
ans. Il s'établirait dans tous les étangs et canaux de nos environs, si l'on
voulait l'y mettre, aussi complètement que le Nymphoea alba, qui s'y trouve
déjà de toute antiquité.
Le Nymphoea alba présente les mêmes lacunes et les mêmes facultés de
naturalisation, dans quelques parties du nord-est de l'Angleterre (V\^ats.,
(a) Un manuscrit de Girod-Lacaussade, en ma possession, dit qu'on aurait trouvé le
Nuphar luteum près du fort de l'Écluse, mais il en doute. Il ne savait pas le nom du botaniste
qui avait parle de cette localité.
Cybele Brit., I, p. 100 ; Johnston, Bot. of east, borders, 1853, p. 31).
Le Villarsia nymphoides, Vent. (Menyanthes nymphoides, L.), offre les
mômes circonstances. Il manque à Genève, à la Savoie (du moins aux
parties qui avoisinent Genève), et à toute la Suisse, car le seul point où on
l'eûttrouvé jadis près de Bàie en est dépourvu depuis plusieurs années
(Ilagenb., Fl. Basil, suppl., 18/i3, p. 33). Il existe, d'un autre côté,
dans les provinces de la France, de l'Italie et de l'Allennagne qui entourent
la Suisse, notamment dans le lac de Constance et le haut Danube (Doli,
Bhein. FL, p. quoique manquant d'ailleurs au Wurtemberg (Schûbl.
et Mart., Fior.) et aux environs de Munich (Zuccar, FL). La Savoie,
la Suisse, le Wurtemberg et la Bavière centrale, formant des pays élevés,
où les points les plus bas sont à 300 mètres environ au-dessus de la mer,
j'ai cru d'abord que le Villarsia ne s'y trouvait pas à cause de la rigueur
des hivers; mais comme il est spontané dans le Danube, près Ratisbonne
(Fûrnrohr, Nat. hist. Topog. Begensb.Jl, p. 106), en Silésie (Wimm.,
FL, édit.), autour de Dantzig (Patze, Mey., Elk., FL Preuss.,
p. 271), même à Pensa, dans la Russie orientale et autour du lac Baikal
(Ledeb., FL Boss., Ill, p. 78), il faut renoncer à cette e^^plication. Bien
plus, le Villarsia, transporté au jardin botanique de Genève, y prospère
depuis plusieurs'années. Je l'ai même introduit de là dans ma pièce d'eau
du Vallon, près de Genève, dont je parlais tout à l'heure, et la plante s'y
multiplie depuis sept ans au point de couvrir tous les bords où l'eau
n'est pas trop profonde, et d'avoir passé dans une pièce inférieure, où elle
s'établit également. Rien ne peut faire présumer qu'elle ne réussît de la
même manière dans tout autre étang de nos environs. Le Villarsia manquait
aux comtés du nord de l'Angleterre. Il a été naturalisé dans un étang
près de Wallington (Winch, Essay geog. distr., 2"= édit., p. 35). On l'a
aussi naturalisé dans une pièce d'eau de l'île de Wight, avec l'Hydrocharis
morsus-ranoe et le Stratiotes aloides, qui manquaient également à cette île,
quoique vivants sur l'île voisine de la Grande-Bretagne (Bromfield, the
PhytoL, 18/i9, p. 560).
Le Sagittaria sagittaìfolia manque aux environs du lac de Genève, en
général, et aussi à plusieurs vallées de la Suisse, par exemple, aux environs
deThun (J.-P. Brown, Cat.), de Lucerne (Krauer, F/.); mais il existe
dans le canton de Zurich (Kôlliker, Cat.), autour des lacs de Neuchàtel et
de Bienne (Gaudin, FL, VI, p. 156), dans la Broyé (Rapin, Cat. pl.
Vaud.), dans le Valais (Murrith, p. 182, sans localité indiquée). Je
crois qu'il existe dans (juelques parties de la Savoie (d'après un catalogue
manuscrit qui ne porte aucune localité). Sans parler des vallées
de Thun et de Lucerne, où l'élévation du pays est peut-être défavorable, il
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