'W
9 [ i h ORIGINK GÉOGHAPHIQUR DES ESPÈCES CULTIVÉES.
Aniériquejsoiis le nom de Maïs, ressemble, par son port, à la plante nommée
en Italie 31 ilica on Sorghum. G. Bauhin, à la même époque, disait que
les Lombards appelaient Meliga la plante que les Toscans nommaient
Saggina. Matthiole confirme et dit qu'ailleurs, en Italie, on la nomme
aussi Sorgo. Georges de ïurre (Dryadum, Amadryadum^ Clorisque
triumphus^ Patavii, 1685), dit que le Maïs ou Blé turc, importé en Italie
depuis peu d'années, offrait une tige ressemblant à celle de la plante
nommée Meliga o\\ Sorghum. Les académiciens de la Grusca, dont l'autorité
est d'un si grand poids en matière de langue italienne, rendent,
dans leur Dictionnaire, l'expression de Meliga (en latin Melica), par celle
de Saggina. Enfin, M. Targioni Tozzetti, auteur d'un Dictionnaire botanique
justement estimé, traduit les mots Holcus Sorghum^ L., par
Melega, Melica, Melliga, Miglio indiano, Panico indiano. « Ge n'est
que dans le dialecte piémontais, dit Bonafous, que le nom de Melia ou
Meliga se donne à la fois au Zea et à VHolcus, en distinguant néanmoins
cette dernière plante de la première par les mots de Melia rossa ou Melia
de ramasse {Maïs rouge ou Maïs à halai), tandis que dans la langue
italienne, le Maïs reçoit les noms de Grano turco, Sorgo turco, Formentone,
Granone, Grano siciliano, Grano d'India, etc. » Ainsi, en définitive,
l'acte d'Incisa ne prouve rien sur le Maïs, et le grain rapporté par les
croisés était plutôt une variété de Sorgho inconnue alors dans le Montferrat.
Les noms de Blé de Turquie, Blé turc, donnés au Maïs dans presque
toutes les langues d'Europe, ne démontrent pas mieux une origine orientale.
Les désignations de ce genre viennent souvent d'erreurs populaires au
moment de l'introduction d'une espèce. Le coq d'Inde, originaire d'Amérique,
a été appelé en anglais Turkey; le peuplier d'Italie ne croît pas
sauvage dans ce pays ; le riz a été importé en Garoline, malgré le nom de
riz de Garoline, etc. Le Maïs est appelé en Lorraine et dans les Vosges,
Blé de Rome; en Toscane, Blé de Sicile ; en Sicile, Blé d'Inde; dans
les Pyrénées, Blé d'Espagne ; en Provence, Blé de Barbarie ou Blé de
Guinée. Tous ces noms, moins répandus que celui de Blé de Turquie,
montrent que, dans chaque localité, on a désigné le Maïs, suivant le pays
d'où on le tirait immédiatement, sans remonter à une origine plus éloignée.
Les Turcs le nomment Blé d'Ègxjfle, les Égyptiens Douràh de
Sijrie, ce qui peut faire croire qu'il n'est originaire ni de Turquie, ni
d'Egypte.
Heynius (Opusc. acad., I, p. ^lili ; Gôttingen, 1785), et quelques
auteurs modernes ont supposé que le nom de Blé turc venait de ce que les
épis du Maïs sont terminés par des houppes de stigmates, semblables aux
ORIGINE DES ESPÈCES LE PLUS GÉNÉRALEMENT CULTIVÉES. 0/i5
houppes des bonnets de Turcs, On a cru aussi que c'était une allusion à
la barbe des Turcs, mais rien ne le démontre.
L'opinion de quelques auteurs du xvf siècle sur l'origine orientale du
Maïs, n'a pas plus de poids que les arguments tirés du nom de Blé de
Turquie. Ge nom même a pu les induire en erreur, ou, du moins, donner
à leur assertion plus de cours qu'elle ne méritait. Suivant Bonafous, le
premier qui ait parlé du Maïs est Bock (Tragus), en 1532, c'est-à-dire
quarante ans après la découverte de l'Amérique. Il aurait dit que cette
plante fut apportée de l'Arabie heureuse en Allemagne^ et qu'on la nommait
Blé d'Asie, grand blé et grand roseau (Tipha magna) ; mais Bonafous
n'avait pas vu l'édition originale, qu'il prétend être de 1532, et je
doute qu'elle existe, car elle n'est pas indiquée dans Pritzel, Thesaurus
litleraturoe. L'édition vue par Bonafous était la traduction de 1552, que
j'ai acquise récemment, et où je vois qu'il a défiguré complètement le
sens. En effet, l'auteur dit (p. 650) que l'Allemagne peut s'appeler en
quelque sorte l'Arabie heureuse, attendu qu'elle s'enrichit de plantes
étrangères^ entre autres du Frumenlum Turcicum, elc., dont il donne
une figure exacte. Il ajoute (p. 652) : « Hoc frurnentum quod Germani
Welschkorn, hoc est Italicum (ita enim omnia peregrina et prius nostro
orbi incognita appellare soient) vocant, jure equidem Tipha magna dici
possit. Quia vero e scriptis veterum nullum nominis hujus testimonium
habemus, vocabimus interea Asiaticum frumenlum. In Asia siquidem
ultra Bactram fluvium adeo grande frumentum fieri tradunt, ut núcleos
olivse sua eequiparet magnitudine. » Des voyageurs lui avaient montré
cinq grains de Maïs et lui avaient dit qu'ils venaient « ex India. » Enfin,
dans le doute de savoir ce qu'est la plante de Bactriane, il se décide à appeler
le Maïs : Typha magna, Triïicum magnum seu Asiaticum, en allemand,
Türkisch ou W elschkorn. Il n'est pas question du Maïs dans
l'opuscule du même auteur de 1531, reproduit dans le vol. Il de Brunfels,
en 1536; ni dans l'ouvrage de Dorstenius (Francf., 15/rO). Buellius
(Hist., 1536) dit en parlant du Maïs : « Hanc quoniam avorum nostrorum
setate e Grsecia vel Asia venerit Turcicuni frumenlum nominant, » ce que
Fuchsins (p. 82/ii) répète en 15/i3. Ge fut donc la première opinion
admise ; mais combien la base posée par Tragus était légère ! Quelle
bizarre idée de rapprocher le Maïs de cette plante inconnue, mais bien
différente, de Bactriane! Dodoens, enl583 (Pemj^L, p. 509) ; Gamerarius,
en 1588 {Hort., p. 9à) ; Matthiole (édit. 1570, p. 305) et autres firent
justice de ces opinions conçues à la hâte, et soutinrent de la manière la plus
positive l'origine américaine. Ils adoptèrent de préférence le mot Mays,
qu'ils savaient être américain.