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leur organisation, de leur degré de ressemblance et de leur degré de rapprochement
matériel. Graduellement la végétation se serait accrue d'individus
nombreux ayant des formes spécifiques nouvelles, pendant que des
formes anciennes duraient ou disparaissaient, se répandaient davantage ou
diminuaient à la surface de la terre; mais un botaniste, à chaque époque,
même à la première apparition des végétaux, n'aurait vu que des pieds
individuels plus ou moins analogues, les uns pouvant se féconder avec
d'autres et formant ainsi une espèce, malgré quelques légères diversités,
les autres ayant une ressemblance moins grande et formant entre eux des
genres ou des familles.
On dirait que Moïse exprime cette opinion en disant : Germinet terra
herham vivenlem et facientem semen ^ et lignum pomiferum faciens
fructumjuxta geniis simm^ etc. (a). N'est-ce pasen quelque sorte l'équivalent
d'une phrase comme celle-ci : Que la terre se couvre de verdure^
où chaque herhe produise sa graine^ etc.? On voit que l'idée n'est pas
nouvelle, et cependant elle a paru extrêmement hardie dans la bouche de
quelques naturalistes modernes, tant il est vrai que des définitions hasardées
de l'espèce ont fait regarder comme étranges, et, à certains points de
vue, comme hérétiques, des opinions qui, d'après le simple bon sens,
auraient paru peut-être les plus naturelles. Au lieu de dire que les individus
de la même espèce descendre d'un seul couple ou individu, ce
dont nous ne savons véritablement rien, on a dit descendent d'un même
couple ou individu. Le public a pris l'assertion pour un fait. Il lui faudra
peut-être cent ans pour comprendre à quel point la notion d'espèce est
difficile à préciser, et à quel degré l'origine des espèces est nécessairement
dans la région des hypothèses.
En supposant des individus multiples pour la même espèce, on peut
(a) La traduction de la Genèse, appelée la Vulgate, s'exprime ainsi, cap. I, v. 11 :
te Et ait : germinet terra herbam viventem et facientem semen, et lignum pomiferum
faciens fructum juxta genus suum, cujus semen in semetipso sit super terram. Et factum
est ita. » — V. 12 : « Et protulit terra herbam yiventem et facientem semen juxta
genus suum, lignumque faciens fructum et habens unumquodque sementem secundum
speciem suam. »
La traduction des pasteurs de Genève, édition de 1588, faite sur le texte hébreu, dit,
V. 11 : « Que la terre pousse son ject (assavoir) herbe portant semence et arbres fruictiers
portant fruicts selon leur espèce, qui aient lem^ semence en eux-mêmes, sur la
terre : et ainsi fut. )> — Y . 12 : « La terre donc produisit (son) ject, (assavoir) l'herbe
portant semence selon son espèce, et arbres portans fruict, ayant leur semence en euxmêmes,
selon leur espèce, m
La première traduction a une petite supériorité par l'emploi des mots genre et espèce
comme synonymes. Il est impossible, en effet, que la langue hébraïque possédât le mot
espèce dans le sens limité des modernes, puisque ce mot est encore aujourd'hui très difficile
à définir. Pour les Hébreux, ce qu'on traduit par espèce, ne pouvait signifier que
catégorie, sorte, nature de plante ou d'animal. Mieux vaut alors employer tantôt le mot
genre, tantôt le mot espèce, et mieux vaudrait encore un mot plus général.
ORIGINE ET RÉPARTITION PREMIÈRE DES ESPECES,
admettre un nombre très inégal et une distribution diverse selon l'espèce.
Ainsi, les plantes d'une organisation simple pourraient avoir eu dès l'origine
des représentants plus nombreux et plus dispersés^ que les plantes
d'une organisation compliquée. Ce serait une manière d'expliquer pourquoi
les premières ont aujourd'hui une aire plus vaste, en dépit de moyens
de transport quelquefois imparfaits, tandis que les Composées, au contraire^
ont une aire restreinte^ avec des graines pourvues d'aigrette. Cependant
l'époque de l'apparition, supposée ancienne pour les unes et récente pour
les autres, expliquerait cette circonstance tout aussi bien, et concorde avec
cet autre fait de la rareté des Composées et familles voisines dans les couches
géologiques les plus récentes et de leur absence dans les anciennes.
De même, l'hypothèse des origines très nombreuses pour les ctres simples,
tels que les végétaux et une partie des animaux, moins nombreuses pour
les animaux supérieurs compliqués, s'accorde avec l'habitation restreinte
de l'homme aiï commencement de son histoire; mais celle-ci peut s'expliquer
également par une apparition plus récente.
J'insiste sur ces doubles explications, pour montrer que les progrès modernes
de la géologie et de la géographie botanique rendent les hypothèses
surte mode primitif d'existence des espèces tous les jours moins nécessaires.
Que les espèces aient paru sous la forme d'individus multiples ou d'individus
uniques, la circonstance d'avoir paru probablement à des époques successives,
et celle d'avoir pu traverser une ou plusieurs époques géologiques, ayant
des configurations des terres, des climats et des moyens de transport différents,
auront toujours influé énormément sur la distribution actuelle. Ces
causes certaines et considérables d'action se présentent aujourd'hui à notre
esprit comme prépondérantes. On devra concentrer sur elles toute son
attention. Plus tard, si une connaissance plus avancée des formes successives
des continents et des époques d'apparition des espèces ne suffit
pas pour expliquer les phénomènes, on devra revenir aux hypothèses touchant
l'origine même et voir laquelle s'accorde le mieux avec les faits. Le
mérite des sciences d'observation est de marcher sûrement. Elles avancent
comme une armée bien organisée, et, si l'on me permet de poursuivre la
comparaison, je dirai que les faits sont comme le grog de l'armée et les
hypothèses comme les éclaireurs. On perd quelquefois ceux-ci, ou bien on
les fait rentrer dans le sein de l'armée ; mais il n'est jamais nécessaire de
les avancer au delà des besoins du momenti.
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