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926 ORIGINE GÉOGRAPHIQUE DES ESPÈCES CULTIVEES.
combien la distribution des variétés est favorable a l'opinion de l'espèce
unique, adoptée dans des vues de botanique pure^ par Roxburgh, Desvaux et
R. Bro^vn. S'il existait deux ou trois espèces, probablement l'une serait
repi'ésentée par les variétés qu'on a soupçonnées originaires d'Amérique ;
une autre serait sortie, par exemple, de l'archipel indien ou de la Chine,
et la troisième de l'Inde. Au contraire, toutes les variétés sont géographiquement
mélangées. En particulier, les deux qui sont le plus répandues en
Amérique diffèrent sensiblement Tune de l'autre et se confondent chacune
avec des variétés asiatiques, ou s'en rapprochent beaucoup.
A n a n a s (Bromclla Ananas, L.).—L'Auanas Cultivé', dont RumphiuS,
Commelyn, Plumier, faisaient un genre distinct, avec raison, d'après plusieurs
modernes (Lindi., Bot. reg.^ tab. J068; DC., Mém. Soc. phys.
Genèv.y VII), me paraît, malgré les doutes élevés par quehjues auteurs, une
plante d'Amérique, introduite de bonne heure en Asie et en Afrique, iVana ,
d'après Marcgraf {Bras.^ p. 33), était le nom brésilien, d'où les Portugais
avaient fait Ananas. Les Espagnols avaient imaginé le nom de Finas ou
Pomme depiii^ à cause de l'analogie de forme avec le fruit du pin pignon
(Oviédo,trad. de Ramusio, ill, p. 113; Joseph Acosta, Hist. Ind.^ trad,
franç., p. 1(36). Tous les premiers écrivains sur l'Amérique en font mention
: Oviédo, Thevet, Pison, Marcgraf, J. Acosta, etc. Hernandez (Thes.^
p. 311) dit : « Alumna est Haitinoe insuloe, hujusque Novoe Hispanioe
calidarum regionum m,oniosisque in locis incola. » Il cite un nom
mexicain, Matzatli. On avait apporté un fruit d'Ananas à Charles V
(J. Acosta, l. c.),
Rheede (Hort. Mal.^ XI, p. 6) ne doute pas que l'Ananas n'ait été
transporté d'Amérique dans l'Inde. Après lui, Rumphius (Amh.^N, p. 228-
230) conteste, « parce que, disait-il, l'Ananas est cultivé dans toutes les
parties de l'Inde, et même on en trouve de sauvages aux Célèbes et ailleurs.
» J'ignore si ces Ananas sauvages appartiennent à l'espèce. Ils
peuvent, d'ailleurs, avoir été naturalisés, car l'Ananas donne quelquefois des
graines (DG., l. c.). Rumphius remarque cependant que l'Ananas n'a pas
de noms asiatiques. Il n'en connaît pas, et celui de Rheede, Kapa-tsjakka^
est évidemment tiré d'une comparaison avec le fruit du Jacquier. C'est sans
doute par erreur que Piddington (Index^ p. i!i) attribue a l'Ananas un
nom sanscrit, Anarush^ car ce nom même paraît venir d'Ananas, et Roxburgh
{FL Ind.y édit. 1832, v. II, p. 116) remarquait l'absence de nom
dans cette langue. Il nepouvaitmême pas citer de nom moderne indien autre
quecelui d'Ananas. Le Dictionnaire de Wilson n'indique pas le moi Anarush^
et les auteurs indiens disent positivement que l'Ananas a été introduit dans le
Bengale, sous le règne d'Akbar, en 159/i (Royle, III.^ p, 376). D'aprèsKir-
ORIGINE DES ESPÈCES LE PLUS GÉNÉRALEMENT CULTIVÉES. 927
cher, Chine illuslrée. trtid. de 1670, p. 253), les Chinois cultivaient l'Ananas;
mais on pensait qu'il leur avait été apporté du Pérou. Hernandez (ïVie^.,
p. 311) cite Acosta commeayant parlé du transport d'Amérique dans l'Inde;
il est vrai que c'est Christophe Acosta ( i rom. , dans Clus., Exot.^ c. XLIV,
p. 28/i), qui est une autorité bien moins grande que Joseph Acosta (a).
Clusius {Exot.^ 1. c.) met en note que des navigateurs revenus de Java en
1599, avaient rapporté des ananas confits dans du sucre, avec la couronne,
dont il publie la figure. Il en avait vu les feuilles apportées de
Guinée, quelque temps auparavant, sous le nom de Pinas, donné parles
Portugais. Ceci n'est pas incompatible avec le transport d'Amérique ; seulement
l'Ananas aurait été une des premières plantes répandues hors du
nouveau monde en Afrique et en Asie,
M. Pl. Brown parle de l'Ananas comme existant sur la côte occidentale
d'Afrique, mais il admet l'origine américaine (Congo^ p. 50).
L'absence complète d'allusion à l'Ananas dans les ouvrages des Grecs^
des Romains et des Ara])es, montre son introduction dans l'ancien monde
depuis la découverte de l'Amérique.
Si l'origine américaine n'est plus douteuse, il est moins aisé de constater
où et dans quelles conditions l'Ananas se trouve sauvage. Il a des
dispositions à se naturaliser, soit par les graines qu'il contient quelquefois,
soit par les couronnes et les bourgeons que l'on jette hors des cultures-
A Ceylan et près de Rangoon, dit le docteur Royle (/ZL, p. 376), l'Ananas
est si abondant qu'il paraît sauvage, etlecapitaine Turner en a trouvé beaucoup
dans lesjwigles près de Teshoo-Loomboo. Rumphius a voulu parler
peut-être de quelque plante naturalisée de cette façon, ou d'une espèce
analogue, dans son article sur les Ananas sauvages des îles Célèbes., etc.
(V, p. 228). Hughes (/iarftarf., p. 231) parle d'Ananas sauvages aux
Barbades, et M. Maycock (FL Barhad.^ p. 135) affirme que c'est bien
l'espèce. Hernandez (Thes.^^. 311)semble indiquer la qualité spontanée
à Saint-Domingue et au Mexique ; mais les termes ne sont pas précis sur
ce point. Marcgraf (j^ra^,, p. 33) el Vison (Bras., p. 88) mentionnent
positivement un Ananas sauvage au Brésil, donnant beaucoup de graines.
H est difficile de savoir si c'est bien l'espèce. M. de Martius m'a écrit
récemment avoir trouvé l'Ananas sauvage dans les Catingas de Bahia.
M. de Humboldt (Nouv.-Esp., 2' édit., II, p. /¡78) dit : « Nous avons
trouvé l'Ananas sauvage et du goût le plus exquis, au pied de la grande
montagne de Duida, sur les bords de l'Alto Orinoco. Souvent les graines
(a) On confond quelquefois les deux. Joseph Acoâta avait été au Pérou et a rédigé l'histoire
naturelle des Indes ; Christoval ou Christophorus Acosta était un médecin do Biirgog,
auteur du Tractado de las drogas (1578), traduit en latin par Clusius-
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