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rester toujours quelque doute dans l'esprit : ce peut être le résultat d'un
transport accidentel ou d'une ancienne culture ; du moins il n'est pas possible
de prouver absolument le contraire.
Les plantes cultivées ont pu naître dans des localités éminemment propres
à leur croissance ; ces localités, par ce motif même, ont dû être
envahies depuis longtemps par les cultures, et alors il est impossible de
distinguer les pieds qui descendent de l'espèce primitive, de ceux qui
descendent de pieds cultivés.
Enfin il est clair que les variétés et les races (variétés héréditaires), si
nombreuses, des plantes cultivées, sont un obstacle à la découverte des origines,
en même temps qu'un objet essentiel de recherches.
D'un autre côté, les documents historiques et linguistiques abondent au
sujet des plantes cultivées. C'est un avantage dont nous devrons profiter
autant que possible.
ARTICLE II.
HISTOIRE ET ORIGINE DES ESPÈCES LE PLUS GÉNÉRALEMENT CULTIVÉES.
Afin de mettre un certain ordre dans l'énumération des principales
plantes cultivées, je classerai les espèces suivant qu'elles sont cultivées
pour leurs racines ou tubercules souterrains, pour leurs tiges, leurs
feuilles, fleurs, fruits et graines. Cette classification est commode en ce que
certains organes sont sujets à plus de variations que d'autres, d'où résultent
certaines facilités ou certaines difficultés pour constater l'état primitif
des espèces, suivant qu'elles rentrent dans l'une ou l'autre de ces
diverses catégories.
A. Plantes cultivées pour leurs racines, leurs bulbes,
ou pour des tubercules venant de la tige.
S o l a n u m (iiberosiim, ï.. — La pomme de terre était cultivée à l'époque
de la découverte de l'Amérique dans toutes les régions tempérées du
Chili à la Nouvelle-Grenade, mais non au Mexique (Humb., Nouv.-Esp.,
2« édit., vol. II, p. hhi). Elle l'était aussi, dit-on, dans la Caroline septentrionale,
puisque Thomas Herriott, de l'expédition de Raleigh, ou
Raleigh lui-même la rapportèrent de ce pays (Banks, Trans, hort. soc
Lond., I, p. 8), et que Gerarde la reçut également quelques années après
de la même contrée {Herbal, édit. J597, p. 781). Il est possible cependant
que son introduction dans TAmérique septentrionale ne fut pas
alors ancienne, car comment aurait-elle manqué au Mexique, si elle avait
été propagée du Pérou aux États-Unis, par les indigènes? Le voyage de
Raleigh eut lieu 95 ans après la découverte de l'Amérique. Il ne serait
pas impossible que la pomme de terre transportée depuis quelque temps
d'un lieu à l'autre par les Espagnols, eût été introduite récemment dans
l'Amérique septentrionale par quelque navigateur resté inconnu, et le
peu de diffusion de cette culture chez les indigènes, en particulier vers le
nord, où elle réussit si bien, indiquerait une introduction peu ancienne (a).
Gerarde publia le premier une figure et une description assez médiocres,
d'après une plante de la Caroline, importée directement et cultivée dans
son jardin. Les tubercules en sont représentés comme fort petits, mais
probablement par réduction. L'espèce est mentionnée comme une des
plantes alimentaires principales du pays de Quito, par Pierre Cieca, auteur
d'une ancienne chronique, dont l'Écluse transcrit le passage.
Lui-même, l'Écluse, publia une planche et une description botanique
de l'espèce, en 1601 {Clus. rar. pl. hist., pars, ii, p. 79). On relit avec
intérêt cette description, comme preuve, soit de l'exactitude d'un grand
botaniste, soit du peu de variation de l'espèce, depùis son introduction
en Europe. En particulier la plante donnait alors jusqu'à 50 tubercules
de grosseur inégale, ayant de 1 à 2 pouces de longueur (6), irrégulièrement
ovoïdes, rougeâtres, mûrissant en novembre (à Vienne) ; la fleur était plus
ou moins rose [exterius ex purpurâ candtcans, interius purpiirascens,
radiis qiiinque hei^baceis), comme aujourd'hui; mais elle semble avoir
été plus odorante, car l'Écluse en compare le parfum à celui des fleurs de
tilleul. Certaines variétés répondent exactement, sauf peut-être l'odeur, à la
description de l'Écluse ; mais il s'est formé par la culture de nouvelles
variétés hâtives, et d'autres à très gros tubercules. L'Ecluse sema des graines
qui donnèrent des pieds à fleurs blanches, dépourvus de tubercules dans la
première année. Les plantes décrites si bien avaient été envoyées en 1588,
à l'auteur, par Philippe de Sivry, seigneur de Valdheim, gouverneur de
Möns, qui les tenait de quelqu'un de la suite du légat du pape en Belgique.
L'Écluse ajoute que la plante avait été reçue en Italie, d'Espagne ou d'Amérique
{cerium est vel ex Hispaniis, vel ex Americâ habuisse), et il
s'étonne de ce qu'étant devenue commune en Italie, au point qu'on la
mangeait comme des raves, et qu'on en donnait aux porcs, les -savants de
(а) M. le docteur Roulin, quia étudié avec tant de zèle les ouvrages concernant TAmérique,
m'a dit n'avoir aperçu aucune trace de la présence de la pomme de terre chez les
habitants des Etats-Unis avant leur contact avec les Européens. Je reviendrai sur cette
question, p. 815.
(б) Un auteur, ordinairement très exact, publiait récemment que la pomme de terre,
à son introduction en Europe, produisait fort peu de tubercules, qu'il a fallu une longue
culture pour Tamener à l'état actuel, etc. L'Écluse, au contraire, à rorig'ine, admirait
a rapidité de multiplication.