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CHANGEMENTS DANS L'IIABITATION DES ESPÈCES. DES PREUVES ET DES INDICES DE NATURALISATION. 629
Il est indispensable, dans toute recherche sur les langues anciennes, de
combiner des notions botaniques avec les notions linguistiques et historiques.
Ainsi, il y a des noms que les Celtes paraissent avoir empruntés
aux Latins, et pour lesquels la distribution géographique des espèces
montre que ce sont, au contraire , les Latins qui ont tiré le nom des
Gaulois (a).
Les noms vulgaires indiquent souvent une origine étrangère au pays. Je
ne dis pas qu'ils ne reposent quelquefois sur des erreurs, comme le blé de
Turquie, dont l'origine n'est point la Turquie; mais ces erreurs ont lieu
surtout dans des plantes cultivées, et je crois qu'une plante spontanée,
portant un nom pareil, serait probablement originaire de l'endroit indiqué,
ou du moins ne serait pas du pays.
Enfin, les indices botaniques sont nombreux et doivent nous occuper
spécialement.
La première chose à observer, quand on soupçonne une plante d'être
exotique, c'est la localité et le genre de station où elle se trouve. Si elle
existe près des ports de mer, dans le voisinage des rivières navigables et
des canaux, près des jardins, dans les cultures; en général, près de la
sphère de l'activité humaine, c'est une forte présomption d'importation. Il
faudra toujours, dans ce cas, s'assurer que la plante n'est pas simplement
adveniive, c'est-à-dire de ces plantes qui paraissent et disparaissent sans
se naturaliser véritablement. Si elle persiste, il faut savoir jusqu'à quel point
des importations successives de graines, ou la durée des premiers et seuls
individus introduits n'en seraient point la cause. Après avoir écarté ainsi
certaines erreurs, on arrive quelquefois à la probabilité que telle espèce
est naturalisée. On peut deviner même si une espèce commence à se naturaliser
et si elle a une bonne chance de réussir.
Ce sont surtout les plantes annuelles, venant parmi les cultures, les
planter à petites graines, celles qui sont abondantes et très répandues ailleurs,
qui se transportent le plus fréquemment. Si donc une espèce appartient
à l'une de ces catégories, la probabilité d'introduction sera plus
grande, toutes choses d'ailleurs égales. Si c'est un arbre, même une plante
vivace, l'origine étrangère sera moins probable, car l'extension géographique
de ces espèces est ordinairement moins grande. Nous avons vu
cependant que plusieurs plantes aquatiques, dont l'aire est très vaste, sont
rarement transportées d'un pays à l'autre.
grand dictionnaire des noms vulgaires de plantes, dans toutes les langues et dialectes,
d'après les Flores et voyages publiés, ouvrage immense, dont la publication serait utile
à la fois aux botanistes et aux philologues, ainsi qu'on en jugera bientôt par le parti que
j'en ai tiré.
• [a) Voyez ce qui concerne les Fagus, Castanea (p. 688, 689), Secale (p. 937), etc.
Les espèces nouvelles pour un pays commencent par y'être rares. Il
est vrai qu'ensuite elles peuvent y devenir communes. La circonstance
qu'une espèce étend son cercle d'habitation est toujours un signe de nouveauté
sur le continent où cela se remarque. Si l'espèce y avait été de toute
ancienneté, elle aurait atteint depuis longtemps les limites que le climat
lui impose.
Ces indices se rapportent tous aux premiers temps de la naturalisation
des espèces. En voici d'autres, qui peuvent servir dans le cas de naturalisations
plus anciennes, ou même fort anciennes.
Lorsqu'une espèce a atteint sur un continent l'extension complète que
son organisation et les circonstances physiques du pays peuvent comporter;
si cette même espèce présente sur un autre continent, placé d'une
manière analogue, une extension beaucoup moindre, il est probable qu'elle
y est naturalisée et qu'elle n'a pas achevé encore de s'y répandre. Ceci est
applicable surtout à l'Amérique septentrionale et à l'Europe. Il y a un très
grand nombre d'espèces existant en Europe, répandues de la mer Méditerranée
jusqu'en Écosse et en Suède, qui, dans le nord de l'Amérique,
occupent seulement les États de la Nouvelle-Angleterre^, ou les parties
anciennement colonisées du Canada, ou de quelques États du midi, comme
la Virginie et la Caroline. Il est impossible de ne pas les croire naturalisées,
quoique peut-être la preuve directe n'existe pas. En effet, si ces
espèces étaient américaines, on les trouverait aussi bien dans l'intérieur du
pays que près des côtes ; il semble même qu'on devrait les trouver sur la
côte nord-ouest plutôt que sur la côte orientale, car les climats occidentaux
concordent mieux en Europe et en Amérique, sous le point de vue de
l'humidité et de la douceur des hivers, que les climats des deux rives de
l'Atlantique. Ainsi, quand on voit le Genista tinctoria, borné en Amérique
à deux localités du Massachusetts ^Torr. et Gray, FL, I, p. 369);^ le
Dianthus Armeria, à une portion de la Nouvelle-Angleterre {id., p. 195);
le Saponaria officinalis, compris entre New-York et la Géorgie {id.,
p. 195), etc., etc.; quand on voit réciproquement, le Senebiera pinnatifida,
l'Impatiens fulva, le Mimulus luteus, etc., avoir une aire beaucoup
moins grande en Europe qu'en Amérique, et, pour citer un dernier
exemple, quand on mentionne le Tlantago major sur un seul point de
l'hémisphère austral, à la Nouvelle-Zélande, et encore dans une seule localité
de ce pays (a), il est impossible de ne pas reconnaître la force de ce
genre d'argument.
(a) A. Rich., Fl. N.-Zel, p. 184, et A. Cunn., Ann. of nat. hist., I, p. 457. Le docteur
Hooker, Fl. anlarct. et Fl. N.-Zel, n'en parle pas.