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092 ORIGINE GÉOGRAPHIQUE DES ESPÈCES CULTIVÉES.
ESPÈCES DISJOINTES. 998
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fications plus nonilireuses que les espèces absolument sauvages. Je déduis
de là une confirmation du mode d'action de l'homme pour faire varier les
plantes annuelles cultivées. Ce n'est pas la culture même qui les change,
c'est plutôt le soin avec lequel on isole, dans la culture, les graines "de
pieds oflrant certaines modifications utiles ou curieuses, afin de les semer à
part, et de répéter successivement ce choix pendant plusieurs générations.
Personne ne prend cette peine pour les nombreuses espèces de pavots, de
Galeopsis, de Linaria, etc., qui remplissent nos champs, aussi demeurentelles
extrêmement distinctes et invariables sous les influences extérieures
les plus diverses.
L'origine de ces plantes a souvent de l'intérêt. Chacune est un petit
problème historique, linguistique et botanique, où les indices doivent être
cherchés de divers côtés et pesés avec un certain jugement. Il en est comme
des plantes cultivées proprement dites, seulement à quelques égards on a
moins de peine pour remonter aux origines. Dans cette catégorie de plantes
et pour chaque pays, certaines espèces sont aborigènes; les autres sont
venues de régions tantôt voisines, tantôt éloignées.
Les premières doivent se trouver en dehors des cultures, dans des localités
complètement naturelles. Il peut arriver cependant qu'on ne découvre
pas d'une manière certaine des localités en dehors des cultures, ou qu'on
ait lieu de soupçonner un transport de graines des terrains cultivés dans
les localités naturelles. Ainsi on peut croire le Borago officinalis originaire
d'Italie, le Galeopsis Ladanum originaire de l'Europe tempérée, l'Adonis
autumnalis originaire de Grèce, parce qu'on les trouve quelquefois sauvages
dans ces divers pays hors des terrains cultivés. Cependant, comme
on ne les voit guère dans des localités éloignées des habitations, les graines
peuvent avoir été dispersées liors des cultures, et il devient nécessaire de
contrôler ce genre d'observations par d'autres. Il faut tâcher de s'assurer
que l'espèce dans les autres régions, d'où elle pourrait provenir, ne sort
pas des cultures, et que son ancienneté est grande dans le pays duquel on
la croit originaire. Enfin, il se pourrait à la rigueur que l'agriculture eût
envahi la totalité des endroits d'où une espèce est originaire et alors on
ne trouverait la plante nulle part dans des conditions bien probantes
Les espèces de terrains cultivés originaires de pays plus ou moins distants
de celui dans lequel on observe, sont ordinairement les plus nonv
breuses. J'ai examiné l'origine de plusieurs d'entre elles, répandues parmi
nos cultures européennes, lorsque j'ai énuméré les plantes naturalisées en
Angleterre ou soupçonnées de naturalisation dans ce pays ^p. 6àb à 697)
Il y aurait de l'intérêt à faire des recherches semblables pour les autres
parties de l'Europe et pour les États-Unis d'Amérique. On pourrait peutêtre
en déduire des lois sur la constitution des plantes qui s'introduisent
ainsi dans les cultures, sur leurs origines, leur mode d'extension, etc. Ne
voulant pas aborder tous les détails, je me contente de ces indications
générales; je renvoie aux pages 6/|5 et 7/i6, et m'estimerai heureux si un
autre étudie le sujet d'une manière plus complète.
CHAPITRE X.
D E S ESPÈCES DISJOINTES.
ARTICLE PREMIER.
D É F I N I T I O N ; IMPORTANCE DU SUJET.
L'épithète de disjointes me paraît convenir à certaines espèces dont les
individus se trouvent divisés entre deux ou plusieurs pays séparés, et qui
cependant ne peuvent être envisagées comme ayant été transportées de l'un
à l'autre, à cause de quelque circonstance tenant, ou à la structure des
graines, ou à la manière de vivre des plantes, ou à l'éloignement considérable
des pays d'habitation.
Comment des espèces peuvent-elles se trouver ainsi séparées, sans transport
probable, ni même possible? Ce doit être par l'effet de causes antérieures
à l'ordre de choses actuel : Voilà ce qui me fait attacher une
grande importance à de pareils faits. Je n'aurais pas voulu en parler avant
d'avoir examiné à fond les moyens de transport et les naturalisations de
notre époque. C'est après avoir mesuré par une foule de détails la portée des
moyens actuels de transport, et après avoir vérifié quelles sont les catégories
de plantes qui se naturalisent et quels sont les pays où cela arrive le
plus, qu'il m'a fallu reconnaître la réalité d'espèces disjointes sans communication
possible entre les deux habitations depuis des milliers d'années.
Elles appartiennent surtout à trois catégories : les plantes ligneuses à
grosses graines, qui n'habitent pas sur le littoral; les plantes aquatiques,
et celles des hautes montagnes. On en remarque aussi, mais en petit
nombre, parmi d'autres plantes et dans diflérentes régions de la terre.
Chaque espèce disjointe et chaque groupe d'espèces de cette catégorie
fait naître des conjectures relativement aux causes antérieures qui ont pu
transporter les graines, ou détruire l'espèce dans les points intermédiaires.
On ne peut se défendre aussi de remonter à la distribution primitive des
espèces, comme ayant produit peut-être ce singulier mode d'habitation.