
propre ; mais, comme en affaires , les intérêts
font d’ une autre nature, ce n’eft que par la vérité
qu’on fe rapproche ; & le gouvernement
aura toujours un grand afcendant lorfqu’il pa-
roîtra la chercher , cette vérité, -fans prévention
& fans amertume.
Tous les corps , dans un pays monarchique,
t e l . que la France , connoiffent parfaitement la
puiffance du fouverain , & aux momens mêmes ,
où ils prétendent plus qu'ils, ne leur appartient,
ils ne demanderaient pas mieux que de fe relâc
h e r , fi la fageffe & la bonne foi de l’administration
leur préfentoient le point de raifon ou
elle vêtit s’arrêter.
Une des erreurs de l’ adminiftration en général,
& de celle des finances en particulier, c’eft de
fe conduire avec les corps & les parlemens
tantôt d’après d’ anciens fouvenirs , & tantôt
d’après des prérages 5 au lieu que la leule maniéré
face & grande à la fois , c’ eft de les conliderer
hardiment tels qu’ils doivent être, & tels quils
feraient en effet conftamment, fi 1 admimltra-
tion entretenoit avec eux un commerce .continuel
de raifon, de franchife & de loyauté.
, M ais le gouvernement craint l’empietement de
ces corps ; de leur c ô té , ils redoutent fes inva-
fions : & dans ce combat d’imagination , chacun
va fouvent trop loin , parce qu’il n’eft point de
ligne de démarcation pour les foupcons & la
défiance.
C ’eft ici qu’on découvre tout l ’avantage qu’ un
gouvernement pourroit tirer d une modération
éclairée, mais exempte de foibleffe : cette qualité
devient, dans l’ adminiftration ; la fecunte de
tout le monde , & l’on jouit encore de la fimp e
iuftice comme d’ un véritable bienfait, lorfqu elle
eft obfervée fcrupuleufement, par celui quielt
affez puiffant pour y manquer fans rifque.
Hommes publics, qui voulez arriver à la gloire,
oui voulez vous concilier l’ arr.our de toute une
nation ne ralentiffez jamais votre marche pour
obferve’r à chaque inllant les petites trames des
cours : on ne peut être tant à foi-meme, & veiller
alfiduement fur les devoirs de fa place. V o u s ,
fur-tout , âmes fières & honnêtes , vous qui ferez
toujours fuffifamment inftruites par un heureux
inftinai que votre conduite perfonnelle réponde
aux hauts fentimens qui doivent vous animer ;
fovez les gardiens fidèles des honneurs qui appartiennent
à- la vertu j défendez fa caufe avec
de nobles armes : vous brillerez plus alors dans,
votre défaite que l’intrigue dans fon triomphe!
Méprifez , confondez la politique adroite ; mais
ne defcendez jamais dans ces arènes obfcures ,
où io n s’exerce à dreffer des embûches ; fur-
tou t, ne rehauffez point involontairement ceméprifable
talent,, en lui rendant un hommage,"
par votre, étonnement ou par votre crainte !
Sans doute, toutes les petites attaques, toutes
les menées fourdes , qui viennent harceler un
miniltre dans fa route , font pénibles à fou-
tenir j & quand toutes ces traverfes viennent
fe joindre aux fatigues inféparables d’ une grande
place , les jours font mêlés d’amertume : mais ,
ce n’eft pas non plus par l’efpoir des douceurs
d’ une félicité privée , qu’ il faut être attiré vers l’adminiftration
; on y reconnoît bientôt qu’ il eft plus
aifé d’exciter l’envie que de reffentir le bonheur ,
& ce contrafte apparent ne doit pas furprendre.
Avant d’arriver au miniftère on n’en connoît
que l’extérieur, & ce dehors annonce le pouvoir:
idée vague , indéfinie , & toujours agréable aux
hommes , parce que l’imagination lui prodigue
fes couleurs, & parce que l’on envi Page la place
d’ un miniftre comme un point fortuné , où tous
les voeu x ’ doivent tendre , & dont l’illufioh
augmente par la difficulté d’y parvenir.
Il . faut être attiré vers l’adminiftratiqn par l’amour
des grandes.chofes , pour y trouver , non
pas encore le bonheur, mais cette fatisfaéliôn qui
naît d’un rapport entre fes goûts & fes. occupations,
entre fon caractère & fes. devoirs. On
éprouve aufti des peines ; mais les paffions nobles
ont cet avantage, qu’elles vivent d’elles-memes
& s’alimentent de leur propre ardeur , & que
prefque toujours unies à de hauts fentimens ,
elles rendent plus indifférent a ces illufions de
la vanité, qui tour-à-toür vous flatent & vous déçoivent.
De tous les attachemens qui font étrangers
aux mouvemens de la nature, le plus a é lif,
celui qui enveloppé davantage toutes lespenfées,
c’eft l’intérêt qu’on porte aux grands objets d’ad-
miniftrations & lôrfqu’on eft capable d’en faifir-
'les rapports, on trouve darçs. un pareil exercice
de l ’efprit une forte de majefté ,,dont le fentiment
vous élève* & vous en impofe.: c’ eft une occupation
, dont les réfultâts utiles & bienfaifans
vous ramènent fans cefïç à l’amour de l’humanité
5 c’ eft une conception enfin, dont la chaîne
eft immenfe , & qui femble vous unir, par un
point, à l’ordre du monde, & à l’harmonie de
l’univers.
N e de {irez point les grandes places , âmes
douces & paifibles , qui ne voulez que des jours
fereins & des fentimens agréables 5 recueillez les
plailïrs qui font près de vous s cultivez le bonheur
dont vous avez fait l’épreuve , & jouiffez tranquillement
des fatisfa&ions dont Je temps feul
eft l’ennemi : c ’eft au fein de la vie privée que
famé peut conferver fes plus douces illufions.
Les rapports circonfcrits de la fociété établirent
entre les hommes une partie d’intérêt & de convenance,
qui' les porte à fe confier a la pureté
de leurs fentimens mutuels., & au defintereffe-
ment du gpût qui les unit.
Mais dans les premières places du gouvernement
, dans l’adminiftration des finances, ou tan
d’inrérêts aboutiffent, qui fait développer autour
de l’adminiftrateur toutes les paffions j ou enfin
tant de gens peuvent attendre de lui de grands
fervices, & où il n’en a point a demander, tous
les rapports ordinaires font bouleverfes. On découvre
alors trop diftinétement 1 influence de 1 intérêt
perfonnel fur les aéhons, fur les paroles
& les fentimens; & ' quand on voit encore ce
même intérêt prendre continuellement le langage
de l’eftime &c de l’admitation , le charme
des premières idées de bonheur fe diffipe , &
pon a peine à fe-défendre des plus'trilles réflexions.
Mais ce s réflexions n'arrêteront point l’ardeur
de tous les petits ambitieux ; le Tpeiftacle qui |
préfente à l’avant-fcène eft trop brillant , pour
qu’ils puiffent porter plus loin leurs regards.
Ou’ elles ne ralentiffent point non plus le .zele !
de ceux q ui, avertis par un fentiment inteneur,
qu’eux aufli font propres aux grandes chofes ,
, ont un noble défir de la gloire : ce font ceux
qui entraînés par l’énergie de leur ame , fe trouvent
comme refferrés dans le cercle étroit des
occupations ordinaires;■ ce font ceu x , fur-tout,
oui épris de bonne heure des idees du bien
public, en font l’objet de leur méditation , &
l ’intérêt de leur vie.
Allez en avant, vous qui vous reconnoitrez
à de pareils indices ; allez en avant, vous qui au-
rez des amis affez furs & affez éclairés pour
revoir le jugement que, vous aurez porte de vous-
même. Allez en avant, vous q u i, apres avoir
fondé les replis de votre coeur , croirez avec
bonne foi que vous cédez bien moins au delir
vaniteux d'être compté parmi les ferviteurs d un
grand r o i , qu’ à l’efpoir orgueilleux d’etre utile
à une grande nation.
Mais fi vous parvenez aux premières places ^
du gouvernement, Courez-en noblement les ha- I
fards i ne prétendez point concilier l'honneur
avec la politique, la gloire avec les calculs per-
fonnek, la force avec la foibleffe ; fur tou t, ^oubliez
jamais , que de tous les fentimens qu mf-
pire un homme en pouvoir, Ultime eft le leul
qui lui relie après la difgrace.
Oue cette idée ne vous abandonne point, &
quelle ferve de règle à votre conduite..Ne vous
méprenez pas à l’empreffement de ceux qui vous
parleront de reconnoiffance, & qui vous entretiendront
de leur dévouement ; vous aurez peine
à les reconnoître , lorfque le vent de 1 efperance
ne les portera plus vers vous. Que de plus grandes
idées vous occupent & vous élèvent, s il le peut,
à la hauteur du pofte éminent que vous remplire
z , afin que vous en regardiez l ’éclat d un oeu
tranquille , pour n’en redouter que les devoirs.
Et lorfqu’après avoir combattu félon vos forces ,
le moment fera venu où vous ferez perfuade que
vous ne pouvez aller plus lo in , fans vous avilir,
ou fans perdre des moyens qui font mdrfpenfa-
bles pour faire le bien, quittez avec courage ,
& qu'un exemple honorable devienne votre dernier
fervice.
On ne répétera pas ici ce qui a déjà ete dit
au mot Im pô t; on y trouve d’excellens principes
de morale , applicables à la matière , & qui iont
puifés dans la nature des chofes, & diètes pat
la fageffe & la raifon. ' ;
On va rafle mbler ici les différens paffages que
fournit l'ouvrage que nous analyfons, & qui peuvent
être préfentés comme les leçons d une méditation
profonde, éclairée & foutenue pari ex-
1 périence.
Les meilleures inftitutions ont befoin detre
contenues dans de certaines bornes & /peut-etre
qu’en affaires publiques, il faut confiderer \ exagération
comme une métamorphofe. Les etabhl-
femens fur-tout, où le moindre abus en retrace
fi facilement d’autres plus grands, & qui ne font
point effacés de la mémoire, exigent encore plus
de circonfpeétiom II ne faut pas neanmoins que
le fouvenir des abus décourage des etabliflemens
raifonnables. On doit élever des fanaux pour 1 inf-
truétion ; on d o i t , par des difpofitions prudentes
prévenir les écarts dangereux; mais on aurait
tort de facrifier des avantages reels, a toutes
les craintes que l'imagination peut prefenterjj car
de cette manière on ferait arrêté prefque a chaque
pas : tant eft vafte le champ ouvert de toute part
aux méprifes de l’adminiftration. D arlleuK il
faut accorder quelque confiance aux progrès des
lumières : l’ ignorance d’un temps n e ll pas celle
d’un autre , & fouvent c’eft ce qu on a tait une
fois que l’on ne peut plus tenter.
Il eft devenu difficile de tromper long-temps
les hommes , dans toutes les difpofitions publiques
où leur fortune eft intéreffée ; & fi c ’eft
une grande faute du coeur que de le_ vouloir ,
c’eft suffi une grande erreur de 1 efprit que d y
prétendre.
Il n’eft point d'économie plus effentielle que
celle dont la levée des deniers publics ett ful-
ceptible : les dépenfes inutiles ne font jamais plus
tépréhenfibles que lorfqu’ elles fe trouvent lrees
d'un® manière plus étroite aux ftenfices des
1 Z jj